Salaheddine Lemaizi, journaliste pour « Les Inspirations » et « Les Ecos », au Maroc, participait à l’atelier. Photo : Clara Gaillot

Depuis le début de la guerre en Syrie, la question migratoire est de plus en plus traitée par les médias du monde entier. Mais puisque les journalistes peinent à accéder aux sources, le sensationnalisme prime souvent sur l’information.

Des familles syriennes émigrées en France, au camp de réfugiés de Choucha en Tunisie, en passant par les réfugiés syriens qui retournent dans leur pays, il y avait beaucoup de sujets candidats au prix du Migration Media Award, financé par l’Union européenne (UE).

En septembre 2018, la seconde édition de remise des prix, à Tunis, a récompensé 41 journalistes pour leurs reportages sur les migrations. « L’objectif est de mettre en lumière des travaux journalistiques de qualité sur ce sujet. C’est-à-dire qui reposent sur des faits tangibles et respectent l’éthique journalistique », précise Dominique Thierry, chef d’équipe et expert en gestion des médias à l’Open Media Hub, l’un des organisateurs de l’événement. Les reportages primés traitent des migrations sur une zone allant du Maroc à la Russie. Qu’ils soient des pays de départ, de transit ou d’arrivée des migrants, les pays de cette région sont tous concernés par la migration.

Un accès difficile aux informations

Les journalistes qui travaillent sur ces territoires éprouvent souvent des difficultés à traiter les enjeux migratoires. « L’accès aux sources est très difficile. Lorsqu’on parle de ces sujets, on a parfois à faire à des cas d’immigrations clandestines ou de trafic d’êtres humains, analyse Dominique Thierry. Par nature, ces activités ne font pas l’objet de données statistiques. Il est presque impossible de se procurer des chiffres précis sur les mouvements migratoires. »

Parfois, ce sont les pouvoirs qui ne donnent pas accès aux données, comme l’explique Salaheddine Lemaizi, journaliste marocain au quotidien Les Inspirations éco et spécialiste des questions migratoires : « On a beaucoup de difficulté à accéder aux chiffres, même lorsque l’on demande des précisions au gouvernement [marocain]. Ils ont des choses à cacher car, quand nous fouillons dans les dossiers, nous arrivons à trouver des choses. »

Ce manque de données est à l’origine de plusieurs problèmes majeurs. Il entraîne, par exemple, une déformation de la réalité : « Dans la presse marocaine, on ne trouve pas d’articles avec des données statistiques, qui apportent de la finesse et de la nuance aux problématiques migratoires, déplore Salaheddine Lemaizi. Les articles emprunts de sensationnalisme se focalisent sur les drames liés aux migrations, comme les décès de migrants. » Mais le Maroc n’est pas un cas isolé : « Dans les pays du nord comme dans les pays du sud, la migration irrégulière est surdimensionnée », poursuit le journaliste.

« Après un reportage sur le terrain, je reçois parfois des plaintes de migrants. Ils nous demandent pourquoi on s’intéresse à eux et pourquoi nous traitons ces sujets-là »

Cette analyse est d’ailleurs partagée par son confrère Dominique Thierry : « Les raisons de départ sont rarement abordées. Les migrations sont trop souvent assimilées à une inondation ou un mouvement de masse. » A cause de cette vision globale, les migrations ne sont pas toujours traitées en lien avec le contexte de chaque pays. « Très peu de journalistes marocains effectuent un recul historique pour expliquer les enjeux », constate Salaheddine Lemaizi.

L’enjeu est d’autant plus grand que la couverture médiatique des questions migratoires influence l’opinion publique, notamment par le choix sémantique opéré par les journalistes dans leurs articles est déterminant. « Les confusions entre migrants, réfugiés, exilés ou encore demandeurs d’asile sont très courantes. Chaque terminologie renvoie à des droits juridiques  très spécifiques », explique Heba Obeidat, journaliste jordanienne.

Paradoxalement, les migrants eux-mêmes sont parfois un obstacle au traitement de la migration. Par peur, ils ne font pas toujours confiance aux journalistes. « Après un reportage sur le terrain, je reçois parfois des plaintes de migrants. Ils nous demandent pourquoi on s’intéresse à eux et pourquoi nous traitons ces sujets-là », explique Nembe Onesiphore, rédacteur en chef d’Afrique Progrès, un magazine camerounais.

Vers plus de formation

Face à tous ces problèmes, la formation est peut-être la solution. Les Nations Unies et des fondations publiques organisent d’ailleurs des programmes de formations sur le traitement de la migration à destination des journalistes. C’est le cas de l’Open Media Hub, qui propose des séminaires. Le prochain se tiendra mi-novembre à Tunis. « Nous voulons susciter une prise de conscience chez les médias qui jouent un rôle particulier, ajoute Dominique Thierry. En promouvant des couvertures de meilleure qualité on espère libérer les décideurs politiques afin qu’ils prennent leurs décisions de manière plus informée, plus cohérente et basées sur des faits tangibles et non des perceptions. »

Ils ont aussi créé un manuel à destination des journalistes. Dans cette même optique, Salaheddine Lemaizi et plusieurs de ses collègues tunisiens qui traitent des questions migratoires, projettent de se réunir au sein d’une association. Leurs objectifs : défendre la liberté d’expression et améliorer l’accès à l’information.

Tiffany Fillon et Ewen Renou