[LE RÉSUMÉ] « Le blues du fact-checkeur et les moyens d’y remédier »

(Photo : Alice Blain)

Retrouvez l’essentiel de la conférence « Le blues du fact-checkeur et les moyens d’y remédier »

Animé par Gilles Bruno, rédacteur en chef de L’Observatoire des médias. Avec Laurent Bigot, responsable presse écrite à l’École publique de journalisme de Tours et responsable du projet Factoscope ; Alexandre Capron, journaliste spécialiste de la vérification des images pour Les Observateurs France 24 ; Mathilde Cousin, journaliste à 20 minutes, rubrique Fake off ; Guillaume Daudin, responsable du blog Factuel de l’AFP ; Mathieu Dehlinger, chef des infos à Franceinfo.fr en charge de « Vrai ou fake » ; Rodriguez Katsuva, journaliste à Congocheck.

LES ENJEUX

Le fact-checking s’est aujourd’hui imposé dans de nombreuses rédactions françaises et sur tous les supports (presse écrite, radio et télévision). Les citoyens soutiennent globalement cette volonté de vérification permanente de la part des journalistes. Problème : les artisans du fact-checking, les fact-checkeurs, eux, n’ont pas le moral.

CE QU’ILS ONT DIT

Mathilde Cousin : « Nous n’avons pas le blues à Fake off. L’impact de notre travail est visible de plusieurs manières, nous recevons souvent des mails de remerciement. Les commentaires sur les réseaux sociaux sont aussi un bon indicateur. Sur Facebook, les gens taguent leurs amis sur nos articles de fact-checking pour leur montrer que telle ou telle information s’avère vraie ou fausse. »

Guillaume Daudin : « Si j’étais venu aux Assises l’année dernière, j’aurais pu dire que j’avais le blues. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les choses évoluent, AFP Factuel se développe. On arrive à faire travailler les spécialistes du fact-checking à l’AFP avec nos autres journalistes. Cette collaboration fonctionne. Au bout d’un an d’existence d’AFP Factuel, le constat est positif, même s’il y a toujours des choses perfectibles. »

Rodriguez Katsuva : « Au Congo, avoir internet coûte très cher, la plupart des informations sont consultées sur Facebook et WhatsApp. Les fake-news ne peuvent donc pas être vérifiées car la plupart des gens n’ont pas accès à Google. Lors des dernières élections, les politiques se sont servi des fake-news. Ils les ont instrumentalisées. C’est pour ces raisons que nous avons créé Congocheck. Nous voulons donner accès au fact-checking à tous les congolais, de la manière la plus simple possible. »  

Alexandre Capron :  « En tant que fact-checkeur, je n’ai pas le blues. On sent une volonté de vérification de la part du public. Notre format participatif, alimenté par des vidéos amateurs, fonctionne bien. Il faut néanmoins faire un constat : toutes les intox qui circulent sont beaucoup plus partagées que tous nos articles de fact-checking rassemblés. Une question d’efficacité se pose. Le deuxième point est qu’il ne faut pas faire de marketing avec le fact-checking. Certains politiques s’en servent. Il faut faire attention à l’utilisation de ce terme. »

Laurent Bigot : « Factoscope a été pensé avec les étudiants en les faisant réfléchir à des méthodes de vérifications plus poussées. En matière de rumeurs et de propos tenus par les politiques, on retrouve très souvent les mêmes arguments. Si un fact-checking a été fait sur une déclaration d’un politique, il ne va pas pour autant la délaisser. Les effets du travail des fact-checkeurs sont très difficiles à mesurer. Par exemple, il est compliqué de voir ce qu’à apporté le fact-checking à la suite d’une élection présidentielle. La difficulté avec Factoscope est d’avoir une visibilité aux yeux du grand public, mais cela reste un projet pédagogique. Nous avons néanmoins lancé une application pour apprendre au public à jouer avec le fact-checking. Le site du journal Le Monde abrite également une rubrique Factoscope. »

Mathieu Dehlinger : « À France Info.fr, nous avons décidé de nous baser sur les questions posées sur le live du site. Nous recevons parfois des invectives mais beaucoup de gens nous remercient pour nos explications. C’est plutôt satisfaisant et cela montre que notre travail plait. Notre plateforme « Vrai ou fake » qui rassemble l’ensemble du fact-checking accompli dans l’audiovisuel public, nous a permis d’être plus efficaces. » 

À RETENIR

Globalement, le fact-checking se porte bien. Le constat est unanime : les citoyens sont demandeurs de vérification, qu’elle soit sur la question politique ou non. Aujourd’hui, le fact-checking s’est imposé comme format à part entière dans les rédactions françaises et aux yeux du public. Selon la plupart des invités, les fact-checkeurs n’ont pas le blues. AFP Factuel, tout comme France Info et Fake off, se diversifie, à l’image du fact-checking en général qui évolue en tant que pratique. Le travail pédagogique accompli dans les écoles sur la question du fact-checking semble, lui aussi, satisfaisant. Cependant, tout le monde n’est pas égal sur la question des financements. Tandis qu’AFP Factuel dispose de bons moyens financiers, à Congocheck la situation est plus compliquée. Le site de fact-checking ne dispose d’aucun financement de la part du gouvernement et ne fonctionne qu’avec ses propres fonds.

Les fact-checkeurs vont devoir faire face à de nombreux défis à l’avenir et répondre à une problématique d’efficacité. Alexandre Capron dresse un constat plutôt parlant : « Toutes les intox qui circulent sont beaucoup plus partagées que tous nos articles de fact-checking rassemblés. » 

Emmanuel HADDEK-BENARMAS

« Nous avons lancé Africa Check, avant que l’on parle de fake news »

Africa Check, site de fact checking africain souhaite se développer via la coopération avec d’autres médias. Capture d’écran.

Africa Check, premier site de fact-checking par son envergure sur le continent de demain, a été lancé en 2012. Son fondateur et directeur exécutif britannique, Peter Cunliffe-Jones, revient sur les deux missions principales de ce média : la coopération face aux fake news et la formation des journalistes de demain.

C’est LE premier site de fact-checking en Afrique, qui n’a pas réellement d’équivalent dans le monde. Lancé en 2012, ce pure-player a pour ambition de lutter contre les fake news sur tout le continent grâce à ses journalistes répartis dans plusieurs pays. « Nous travaillons en partenariat avec des dizaines de médias dans les quatre pays où nous sommes présents », résume ainsi son fondateur, Peter Cunliffe-Jones. Un projet qui ne peut vivre que par la coopération et la formation des journalistes, comme l’explique le journaliste britannique, passé par l’AFP. 

Comment est né la projet Africa Check ?

J’ai travaillé pour l’AFP pendant 25 ans. En 2011, j’ai intégré la fondation AFP. J’ai discuté avec un professeur en journalisme de l’université de Johannesburg, en Afrique du Sud, à propos du mouvement du fact-checking, initié aux Etats-Unis. Nous avons constaté qu’il n’y avait pas de site de fact-checking sur le continent africain. Nous avons donc mis en place le projet d’en créer un avec une équipe basée à Johannesbourg. Le site a été lancé le 31 octobre 2012 avec l’ambition de le prolonger dans d’autres pays du continent. Aujourd’hui il couvre également le Nigéria, le Sénégal et le Kenya. L’équipe est composée d’une trentaine de personnes dont quinze journalistes répartis dans ces quatre bureaux.

En quoi le fact-checking est-il essentiel sur le continent africain ?

Il y a besoin d’en faire un peu partout dans le monde. C’est pour cela que l’on compte plus de 150 sites de fact-checking sur la planète. Nous avons lancé Africa Check bien avant que l’on parle de fake news. Mais c’est évident pour moi que la désinformation a causé beaucoup de problèmes depuis des siècles. C’est la raison pour laquelle j’ai lancé le site. Par exemple, quand je travaillais pour l’AFP et que j’étais basé au Nigéria, il y a eu une campagne de l’OMS contre la poliomyélite. Des rumeurs se sont propagées et disaient que cette campagne de vaccination visait à réduire la population dans le monde musulman. À cause de cela, cette campagne a été un échec total. Au lieu d’être éradiquée, la poliomyélite a explosé. Le fact-checking a une importance réelle sur les sociétés, au-delà de la politique. L’impact des fake news est différent selon les pays, mais partout dans le monde cela cause des problèmes.

Un prix africain pour le fact-checking

Pour mettre en avant le travail des journalistes, Africa Check a lancé en 2014 le prix de fact-checking en Afrique. « Des journalistes provenant d’une vingtaine de pays ont candidaté à nos différents prix », explique ainsi Peter Cunliffe-Jones. Une bonne manière pour faire émerger des projets et des têtes. « Cette année, l’un des lauréats est un jeune journaliste sénégalais, qui va travailler avec nous dans notre bureau de Dakar ». Le pure-player leur propose aussi des formations sur le fact-checking en vue, donc, d’intégrer ensuite les rédactions. Pour toujours mieux lutter contre les fake news.

La coopération est au cœur du projet Africa Check. Pourquoi ce choix ?

Si on travaille seuls, l’impact est moindre. C’était donc très important pour nous dès le début de collaborer avec des journalistes de différents médias et de différents pays. Nous travaillons par exemple avec un nouveau site de fact-checking, Zimfact, qui s’est lancé au Zimbabwe en mars ; ou encore Congo Check qui a démarré cette année. Il y a beaucoup de sites qui se créent, au Botswana ou en Côte d’Ivoire notamment. Nous travaillons avec eux pour les aider à s’établir. Le rôle d’Africa Check est de soutenir toutes les initiatives en Afrique.

 

Peter Cunliffe-Jones, fondateur d’Africa Check, est aujourd’hui le directeur exécutif. Photo : site africacheck.org

 

Est-ce que cela passe aussi par le financement de projets de fact-checking ?

Non, nous n’avons pas les moyens de le faire. Nous proposons notre aide à travers les formations, que ce soit sur les principes du fact-checking ou sur l’aspect technique. Mais nous n’avons pas de financements, malheureusement.

Comment se déroulent ces formations ?

Des membres de ces nouveaux sites viennent travailler à nos côtés pendant deux semaines. Les anglophones viennent dans le bureau de Johannesbourg et les francophones dans le bureau de Dakar. Tous les mois nous organisons une réunion virtuelle avec les partenaires de notre projet. En novembre 2017, nous avons organisé une réunion de deux jours pour parler des problèmes auxquels ils sont confrontés. Nous espérons que cela les aidera à s’établir.

« Nous espérons travailler avec le plus de journalistes possible »

Avez-vous des échanges avec des sites de fact-checking américains ou européens ?

J’appartiens au conseil d’administration de l’International Fact-Checking Network, ce qui nous permet d’avoir des échanges avec d’autres membres internationaux. Actuellement, j’échange avec le site de fact-checking anglais Full fact. Nous avons très souvent des échanges avec Chequeado, un site de fact-checking argentin. Il y a deux mois, nous avons organisé un échange entre nos équipes pour mettre en place un projet d’éducation aux médias. L’année prochaine, nous accueillerons au Cap [toujours en Afrique du Sud, ndlr] la conférence Global Fact, qui se déroule tous les ans depuis quatre ans. Africa Check va l’organiser pour la première édition sur le continent africain.

À Johannesbourg, comme au Sénégal, vous êtes installés dans le centre de formation de journalistes de l’université. Pourquoi est-ce important pour vous d’être en lien avec les écoles de journalisme ?

Les principes et techniques du fact-checking représentent une partie très importante de l’avenir du journalisme. Être dans les écoles de journalisme nous permet d’étendre la connaissance des journalistes de demain dans le domaine.

Comment cela se concrétise ? Avez-vous des perspectives d’évolution ?

Nous proposons ces formations gratuitement parce que nous espérons travailler avec le plus de journalistes possible pour avoir un impact important. Nous essayons aussi de créer pour l’année prochaine un cursus en journalisme que nous proposerons gratuitement aux écoles de journalisme du continent. Les écoles pourront s’approprier ce cursus pour en faire un cours à leurs élèves.

 

Propos recueillis par Clément Argoud

[LE RÉSUMÉ] « Face à la désinformation : utilité publique et limites du fact-checking »

Chercheurs et journalistes ont débattu sur les limites et l'utilité du fact-checking. Photo : Clara Gaillot.
Retrouvez l’essentiel de l’atelier-recherche « Face à la désinformation : utilité publique et limites du fact-checking »

Atelier animé par Nicolas Sourisce et Jérémie Nicey, de l’équipe Pratique et ressources de l’information et des médiations (Prim) de l’Université de Tours. Avec Romain Badouard, maître de conférences à l’Université Cergy-Pontoise et auteur de Le désenchantement de l’Internet : désinformation, rumeur et propagande ; Vincent Couronne, docteur en droit public de l’Université de Versailles, fondateur du site internet Les Surligneurs ; Alexandre Pouchard, responsable adjoint des Décodeurs, au journal Le Monde et Nikos Smyrnaios, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’Université de Toulouse, coordinateur du rapport sur l’expérience CrossCheck. (suite…)

[LE RÉSUMÉ]  « Un journalisme utile, un journalisme de certification »

Journalisme utile, journalisme de certification

Retrouvez l’essentiel de la conférence « Un journalisme utile, un journalisme de certification »

Animé par Aude Carasco (La Croix), avec Robin Andraca, journaliste à la rubrique Checknews (Libération), Estelle Cognacq, directrice adjointe de la rédaction de Franceinfo chargée de la vérification et de la certification de l’information, David Dieudonné, directeur du Google News Lab en France et Grégoire Lemarchand, adjoint à la rédaction en chef en charge des réseaux sociaux à l’AFP, média partenaire de Crosscheck.

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Les outils du fact-checking

 

L’élection de Donald Trump a révélé au grand jour le pouvoir des fake news. Les journalistes ont senti l’urgence de proposer au public des outils de vérification. Plusieurs médias ont ainsi créé de nouvelles plateformes de fact-checking.

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[EN PLATEAU] Jason Reifler, chercheur spécialisé
du fact-checking

Le fact-checking, ou l’art de vérifier les faits relatés par les personnalités politiques, les experts ou les médias eux-mêmes. Pourquoi est-il si populaire aujourd’hui ? Est-ce un effet de mode ? Quels impacts a-t-il sur la société et peut-il renouer le lien de confiance entre journalistes et publics ? Pour répondre à ces questions, Lénaïg Le Vaillant et Salomé Mesdesirs ont reçu Jason Reifler, Professeur en Sciences politiques à l’Université d’Exeter (UK) et chercheur spécialisé dans le fact-checking.

La vidéo étant en anglais, nous vous conseillons d’activer les sous-titres afin de bénéficier d’une traduction en français.

[LE RÉSUMÉ] « Présidentielle : le règne des communicants »

Découvrez l’essentiel de la conférence « Présidentielle : le règne des communicants ».

Journalistes et communicants, le même univers mais des rôles bien distincts. Photo : Martin Esposito

Animé par Aurore Gorius, journaliste pour le site lesJours.fr, avec Franck Louvrier, ancien conseiller en communication de Nicolas Sarkozy, Arnauld Champremier-Trigano, ancien conseiller en communication de Jean-Luc Mélenchon, Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l’Ifop, Elisabeth Pineau, journaliste pour Reuters et présidente de l’Association de la presse présidentielle (APP).

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[LE RÉSUMÉ] « Fact-checking, contournements politiques et enjeux de vérité »

Découvrez le résumé de l’atelier : « Fact-checking, contournements politiques et enjeux de vérité ».

En cette période de campagne électorale, le fact-checking est plus que tout au centre des rédactions. Photo : Lucie Martin

 

Animé par Jérémie Nicey, équipe de recherche Prim, Université de Tours. Sont intervenus Jason Reifler, lab, CEmaP, Université d’Exeter, Laurent Bigot, lab. CARISM, IFP/Université Panthéon-Assas, Pascal Froissart, lab. CEMTI, Université de Paris 8 et Pauline Moullot, journaliste, Désintox, Libération.

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[ENQUÊTE] En revenir aux faits ?

Antidote aux fake news, le fact-checking, « vérification des faits », obnubile les rédactions. Nouveau projet du Monde : le Décodex, un outil qui évalue la fiabilité des sites d’information.

Les détracteurs s’interrogent sur la légitimité du Décodex à départager les bons des mauvais élèves. Olivier Berruyer a découvert que son site les-crises.fr figurait sur liste rouge et envisage de poursuivre Le Monde en justice pour diffamation. Photo : Martin Esposito

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[EN PLATEAU] Alexandre Pouchard, responsable adjoint des Décodeurs, Le Monde

Alexandre Pouchard, responsable adjoint des Décodeurs au Monde.fr, était sur le plateau de l’EPJT avec Simon Abraham et Mary Sohier, étudiants en journalisme, afin de parler du Décodex, le nouvel outil de fact-checking du journal. Lancé il y a quelques semaines, il propose de lutter contre les fausses informations en classant plus de 600 sites d’information. Ces derniers se voient attribuer une couleur. En vert, le site est jugé crédible. En orange, il s’agit de publications peu fiables. Et enfin le rouge est associé aux sites pas du tout fiables.

Factoscope, l’usine de la vérification des faits

À l’approche de la présidentielle, l’École publique de journalisme de Tours a lancé Factoscope : un site qui fact-checke les déclarations des candidats. Depuis le 14 mars, il est complété par une application qui se veut éducative.

En plus du site internet déjà existant, Factoscope vient de dévoiler sa déclinaison sur mobile. Photo : Capture d’écran du site

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