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La soirée du 13 novembre a mobilisé des dizaines de journalistes dans chaque rédaction. (Capture d’écran BFM TV)

Le 13 novembre au matin, aucun journaliste imaginait être mobilisé le soir même pour couvrir la plus grosse attaque terroriste de France. Retour sur cette soirée spéciale.

Libé est en fête. Dans ses locaux, le journal célèbre son déménagement en présence de plus d’une centaine de personnes. Tous les journalistes sont là. « On avait commencé à boire et à danser », se souvient Luc Peillon, journaliste économique.

Place de la République, Nicolas Chapuis et Élise Barthet, journalistes au Monde, commencent leur soirée autour d’un verre. Ce soir-là, la fête tourne court. Pour tout le monde. Trois hommes se font sauter à l’extérieur du Stade de France, un commando tire sur les terrasses de restaurants dans l’est de Paris et un autre s’attaque au Bataclan. Nous sommes le 13 novembre 2015.

« Au début, les flics se cachaient, je me cachais, on se cachait tous. » Luc Peillon est envoyé au Bataclan. La salle de concert est à moins d’un kilomètre de la rédaction. Comme les autres journalistes, il est tenu à l’écart, à quelques centaines de mètres des lieux du drame. « On entendait des tirs », se souvient-il. Les deux journalistes du Monde, eux, devaient se rendre sur une terrasse visée par les terroristes lorsqu’ils s’arrêtent devant le Bataclan moins d’une dizaine de minutes avant l’assaut des assaillants. « Il y avait seulement deux agents de police lorsqu’on est arrivés, se rappelle Élise Barthet. C’était hallucinant, il y avait des gens qui détalaient sur le boulevard en vélib’. »

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Pendant un peu plus d’une heure, Francis Letellier a assuré l’édition spéciale sur France 3. (Capture d’écran France 3)

Les policiers mettent en joue ceux qui tentent de trop s’approcher. « Quand je suis arrivé, les policiers avaient leurs revolvers braqués sur le Bataclan », explique Maxime Cogny, de BFM TV. Au fil de la soirée, les journalistes sur place entendent les rafales de tirs, les sirènes des véhicules de secours. Rapidement, ils commencent leur travail. Via Twitter, le journaliste de Libération témoigne de ce qu’il voit. Idem pour celle du Monde qui récupère les premiers témoignages de rescapés. « J’observe tout, j’écoute, mais je n’harcèle pas de questions », explique-t-elle aujourd’hui. « Il est difficile d’avoir des informations sur place, se remémore Maxime Cogny. Mon boulot est alors de décrire ce que je vois et ce que je ressens. Je suis concentré là-dessus. » Toute la nuit, il sera le relais de la chaîne sur place.

Pendant ce temps-là, Francis Letellier tient l’antenne sur France 3. Il anime pendant près d’une heure et demie, dès 23 heures, une édition spéciale, en remplacement de l’habituel Soir 3. « Je suis tombé en plein dedans », explique-t-il. C’est dans son oreillette qu’on lui souffle l’ampleur des attaques. À la différence des chaînes d’information, il est décidé de mettre les événements en perspective très vite. « J’ai un souci, c’est celui d’être cohérent et de ne pas dire de bêtises, se souvient Francis Letellier. La seule catastrophe qu’il pouvait y avoir en plateau, c’était celle de donner une imprécision. » Lorsqu’il rend le direct, il est alors autour de 00h20 : « Je rappelle le bilan de ces attaques à Paris ce soir : 40 morts, 60 blessés graves. » Plus tard dans la nuit, les chaînes d’informations annonceront un bilan beaucoup plus lourd : une centaine de morts.

 

Sur place, les journalistes n’ont pas le temps d’avoir peur. « À ce moment-là, je n’ai pas peur et je suis même très sereine. Je sais ce que j’ai à faire », confie Élise Barthet. Le 7 janvier, c’est déjà elle qui avait couvert l’attaque contre Charlie Hebdo : « J’ai su que ça allait se reproduire et je sais que ça va se reproduire. » C’est à 4 heures du matin que Maxime Cogny peut s’approcher du Bataclan. « On se rapproche et on voit, explique t-il. Là, on réalise ce qu’il s’est passé. »

Paris est désert, seulement éclairée par la lueur des gyrophares des véhicules de secours. Olivier Rogez, grand reporter à RFI, traverse la capitale en scooter. Il vient relayer son collègue au Bataclan pour la matinale : « Il n’y a pas un chien, les derniers corbillards viennent de quitter les lieux, se souvient-il. L’ambiance est glaçante. » Pourtant habitué aux scènes de guerre, le journaliste est touché comme jamais. « J’ai interrogé quelques personnes du quartier, puis à un moment je n’avais plus envie alors j’ai arrêté. » À l’antenne, il se contentera alors de quelques descriptions des lieux et de cette ambiance, « triste et blême ». « On entend les sirènes et le croassement des corbeaux, se souvient Élise Barthet. Paris est couvert de corbacs. »

Aubin LARATTE