Thomas Morel et Marie-France Etchegoin
Retrouvez l’essentiel de la rencontre avec Thomas Morel (Les Enchaînés – Un an avec des travailleurs précaires et sous-payés (2017) aux éditions les Arènes, et Marie-France Etchegoin pour J’apprends le français (2018) aux éditions JC Lattès.

Animée par Frédéric Carbonne, journaliste à France Inter.

 

LES ENJEUX

Pour être utile, faut-il enlever sa casquette de journaliste pour en porter une autre ? Ne plus être un journaliste est-il le meilleur moyen pour faire du journalisme?  Le point commun entre ces deux livres c’est qu’ils ne proposent pas un récit classique, mais une incarnation.


CE QU’ILS ONT DIT

Thomas Morel: « Je suis resté un an clandestinement dans une agence d’interim. Le point de départ, c’est de parler des salariés. On ne parle jamais du quotidien des ouvriers. On en parle quand il y a des conflits sociaux, mais on ne parle jamais de leur quotidien. Le seul cas où j’ai pu voir de la solidarité dans une usine, c’était des travailleurs qui étaient ensemble depuis longtemps. Dans les quatre autres entreprises où je suis passé, les ouvriers étaient seuls. Ils étaient tellement précarisés et individualisés qu’ils passaient leur journée seuls. Les rapports humains sont totalement détruits. Après le livre, je n’ai pas eu de reproches, justement les ouvriers m’ont remercié d’avoir parlé d’eux. En France, il y a sept millions d’ouvriers. Ils font des choses que je suis totalement incapable de faire. C’est éprouvant psychologiquement et physiquement. »

Marie-France Etchegoin« J’ai donné des cours de français à des demandeurs d’asiles pendant deux ans. Ce livre est fait pour montrer un autre visage des migrants, aux personnes qui en ont peur. Quand les migrants arrivent, ils n’ont plus rien, ils sont arrachés à leur famille, leur pays, et n’ont même plus la langue pour les aider. Quand ils commencent, ils n’ont aucune base. Ils partent de zéro. Certains parlent un peu anglais, d’autres pas du tout. Certains ne sont jamais allés à l’école. C’est donc une redécouverte totale de la transmission. L’apprentissage des mots est lié à un contexte. Il faut arriver à trouver des moyens de transmettre. Je pense aussi sincèrement qu’ils seront des ambassadeurs de la langue française, plus tard. Ce qui m’a aussi beaucoup touché, c’est cette soif d’apprendre. Ils ne racontent pas leurs histoires facilement, mais à travers les mots qu’ils apprennent je découvre en même temps leur vie. »

À RETENIR

Selon Thomas Morel, le métier de journaliste, c’est aller où les autres ne peuvent pas aller. Les deux auteurs ont chacun  découvert une communauté. Pour Thomas Morel, le terme de communauté est paradoxal car les ouvriers sont seuls. Tout est fait pour attiser l’individualisme, faire en sorte que les salariés ne constituent pas une solidarité qui pourrait être néfaste à l’entreprise. Pour Marie-France Etchegoin, c’est l’inverse. Là où les individus sont seuls à la base, une communauté se forme autour de ses cours de français. Les deux sont d’accord : ils auraient été incapables d’écrire leurs livres sans cette incarnation.

 

Pablo Menguy