Le photojournaliste Robert Capa fait de nouveau l’actualité avec l’exposition « Capa et la couleur », qui a lieu au Château de Tours, jusqu’au 29 mai. L’année dernière, un ancien critique du New York Times a remis en question l’histoire des clichés de Capa pris lors du débarquement de Normandie.

Domaine public/Robert Capa

Domaine public/Robert Capa

Le 6 juin 1944, Robert Capa couvre le débarquement sur la plage Omaha Beach, en Normandie. «C’était une peur nouvelle, qui secouait mon corps de la tête aux pieds et déformait mon visage […] J’ai tenu mes appareils au-dessus de ma tête, et soudain j’ai su que je m’enfuyais », a-t-il écrit dans son roman autobiographique Juste un peu flou. Il envoie ensuite les quatre pellicules au journal londonien Life Magazine. Seulement onze photos ont pu être tirées de ce célèbre événement. D’après John Morris, alors directeur du magazine, un jeune laborantin a commis une erreur lors du développement des centaines de photos prises sur place. Il a fermé la porte du placard où les films étaient suspendus pour sécher. Faute de ventilation nécessaire, l’émulsion sur la pellicule a fondu. « Je brandis les quatre rouleaux l’un après l’autre. Il n’y avait rien à tirer des trois premiers, mais sur le quatrième, 11 images étaient distinctes », explique Morris dans Des hommes d’images.

Cette légende n’avait jamais été remise en cause et a perduré pendant soixante-dix ans, jusqu’à la publication de l’enquête menée par Allan Douglass Coleman. Historien et ancien critique de The New York Times, il a réalisé une série d’une quarantaine d’articles échelonnées de juin 2014 à août 2015, sur son site internet. Avec l’aide du photographe Rob McElroy, ils démontrent que si l’émulsion sur la pellicule avait fondu à cause de la température, c’est l’ensemble des quatre pellicules qui auraient été détériorées.

Un personnage flamboyant, un grand photographe

«  Au début je n’y croyais pas. Tous les livres d’histoire mentionnent les faits rapportés par John Morris, donc je n’avais pas raison de douter ce qui était écrit », se souvient Patrick Peccatte, chercheur en histoire visuelle qui a traduit et publié une synthèse de l’enquête de Coleman sur son carnet de recherches. Cependant, il précise que personne n’a réalisé une analyse physico chimique des pellicules. Il n’y a donc aucune preuve tangible qui affirme qu’une telle perte a pu avoir lieu, ou non, lors du séchage. Mais l’ancien responsable de Life Magazine est revenu sur sa version des faits, qui était la même depuis soixante-dix ans, lors d’une interview accordée à CNN. « Je pense qu’il est possible que Bob (Robert Capa) n’ait fait que renvoyer l’ensemble de ses pellicules à Londres, en sachant qu’il n’y avait des photos que sur l’une d’entre elles », a confié John Morris.

« L’image que j’ai de Robert Capa n’est en rien bouleversée », affirme Patrick Peccatte. « C’était un personnage flamboyant, qui prenait parfois des libertés avec la vérité historique (lire l’encadré). Il avait cette personnalité là et ça reste un très grand photographe. » Cette remise en cause de l’histoire qui entoure les photos du débarquement de Normandie contribue à le rendre plus humain et moins héroïque. Malgré les déclarations de John Morris sur CNN, certains ne souhaitent pas entendre parler de l’enquête menée par Coleman. « J’invalide cette théorie car c’est une réécriture de l’histoire, établie sans archives et sans documents. Pour moi il n’y a aucune preuve », soutient Bernard Lebrun, grand reporter à France 2 et historien ayant co-écrit l’ouvrage Robert Capa : sur les traces d’une légende, avec Michel Lefebvre, journaliste au Monde.
Soixante-deux ans après sa mort, Capa est donc toujours un sujet d’étude sans fin. « C’est intéressant car ça ajoute du mythe au mythe », s’enthousiasme Michel Lefebvre. « C’est assez probable que cette histoire de pellicule brûlée soit fausse, donc la thèse que défend Colman est possible. Mais je n’ai pas enquêté là-dessus, et pas d’éléments pour avoir un avis définitif. » Pour le journaliste du Monde, c’est une « jolie histoire qui ne retire rien à la légende et à la gloire de ce photographe. »
Robert Capa est tout de même le seul journaliste à avoir ramené des clichés du débarquement à Londres. En plus d’être entré dans l’histoire avec ses photos, il est pour beaucoup l’inventeur du photojournalisme moderne. Dans les années trente, les clichés appartenaient au journal. Ils étaient souvent recadrés, détournés de leur sens par des légendes sur lesquelles les photographes n’avaient aucune prise. « Robert Capa est le premier à avoir défendu l’idée d’exploiter lui même ses négatifs », souligne Michel Lefebvre. A la suite de cette réflexion, il fonde l’agence Magnum en 1947 et peut enfin profiter pleinement son travail. Pour Bernard Lebrun, Capa n’est peut-être pas le premier photojournaliste à immortaliser des hommes en situation de guerre, « mais c’est celui qui le fait le mieux. »

Flora BATTESTI

La mort d’un soldat républicain est sans doute l’une des photos les plus célèbre de la carrière de Robert Capa. Elle a été prise en 1936 lors de la guerre d’Espagne et a suscité de nombreuses polémiques. Il s’agirait d’une mise en scène orchestrée par le photographe, qui ne parvenait pas à trouver de scènes de combat. Alors que la mise en scène s’établissait entre les soldats républicains, un espagnol qui s’était caché a tiré sur un soldat. Capa a réussi à prendre la photo à cet instant précis. Il l’avoue lui même dans son roman autobiographique, « écrire la vérité est tellement difficile, alors pour mieux la traduire je me suis permis de faire quelques retouches. »