Fréquemment la cible de critiques, les journalistes suscitent aussi l’admiration. C’est ce qui ressort de notre étude, menée auprès de 300 professionnels.

 

« Journalopes », « fouilles-merde », « complotistes ». Au quotidien, les journalistes sont témoins de la mauvaise réputation de leur métier. Une profession qui n’inspire pas confiance, comme le montre le dernier Baromètre des médias de La Croix, qui fait pourtant toujours rêver les plus jeunes : chaque année, les concours d’entrée débordent de candidats. Si la plupart des enquêtes d’opinions demandent leur avis aux lecteurs, auditeurs et spectateurs, nous nous sommes nous tournés vers des journalistes, et plus précisément vers les anciens élèves de l’École publique de journalisme de Tours (EPJT), qui fête cette année ses cinquante ans d’existence, pour comprendre ce phénomène. Au total, 303 personnes ont répondu à notre questionnaire. Le but : mieux cerner le climat de défiance qui entoure la profession, à l’aide de ses acteurs.

Reproches et insultes en cascade
Près d’une personne interrogée sur deux dit avoir déjà été insultée à cause de son métier. Parmi les critiques régulières : celles « d’être à la botte du pouvoir, vendu aux lobbys » ou « soumis aux élites politiques et industrielles ». Sur le terrain, les journalistes ont pu être accusés de « mentir, déformer les propos », qualifiés de « vautours » et de « voyeuristes ». Ils encaissent aussi des critiques adressées à d’autres. « On m’a reproché le traitement du conflit en Roumanie, que je n’avais pas couvert », confie une interrogée. Sept anciens de l’école sur dix ont déjà essuyé des refus d’interviews parce que les personnes n’avaient pas confiance en eux. Ils sont même plus d’un tiers à estimer que la profession est détestée.

Une défiance en hausse ?

Pour deux tiers des interrogés, la défiance envers la profession a augmenté depuis le début de leur carrière. « Les gens nous alertent moins », résume une journaliste. « Nous sommes de plus en plus considérés comme des communicants », analyse un autre. D’après certains sondés, les journalistes méritent cette défiance : « Cela fait longtemps que notre statut est critiqué. Aujourd’hui, les citoyens ont plus de facilités à nous le dire. Mais le problème, c’est qu’il n’y a pas de véritable remise en cause de la profession », explique l’un d’eux.

Un autre est conscient que le journaliste doit faire face à un défi double : réagir vite face à une information et en même temps être très scrupuleux sur la vérification. Cette contrainte est souvent difficile à respecter : « Nous devons être respectueux des gens dont on parle et des règles déontologiques… que l’on a parfois tendance à sacrifier sur l’autel du buzz ». La peur de voir ses propos déformés, l’impression que tous les journalistes font partie de l’élite… Le lien de confiance journaliste-lecteur se dégrade, alors que les moyens pour interpeller les journalistes n’ont jamais été aussi nombreux.

Insultés sur Facebook
La défiance envers les professionnels se manifeste ainsi sur les réseaux sociaux. Certains articles publiés sur les pages Facebook des médias sont commentés de façon très violente par les internautes. « Dès que l’on parle de sujets comme l’immigration, certaines personnes se défoulent en postant des commentaires xénophobes sous nos articles », explique un salarié de Ouest-France. Sur les réseaux, il arrive aussi que des journalistes soient insultés. Dans cette enquête, plus d’un tiers d’entre eux expliquent avoir été attaqués personnellement. « Des personnes m’envoient des messages sur mon compte Facebook. “ Fils de pute ”, “ journalope ”, je suis habitué. Au début, on a envie de répondre à ces messages provocateurs mais finalement il faut plutôt les ignorer », raconte un membre de l’hebdomadaire 7 à Poitiers.

Mal-aimé ou mal connu ?
En dépit de tout cela, une écrasante majorité (85,4 %) a déjà ressenti de l’admiration pour ce métier. La même proportion estime exercer une profession utile. « C’est souvent extrême dans les deux sens : soit les gens sont admiratifs, soit ils crachent sur la profession », explique un des journalistes. Pour un grand nombre, la principale solution reste la communication avec le public. « Il faut discuter avec les gens pour qu’ils se rendent compte qu’ils ont une image galvaudée et instrumentalisée de notre métier, poursuit une autre. Qu’ils comprennent combien la corporation est précaire, loin des idées reçues. Il faut avoir cet espace d’échanges avec nos lecteurs, auditeurs et spectateurs. » 

Pablo Menguy, Lorenza Pensa et Daryl Ramadier


La méthode : un coup de main des anciens

Pour réaliser cet article, nous avons envoyé une enquête aux anciens de l’École publique de journalisme de Tours (EPJT), en leur demandant de répondre à 19 questions. Sur les 303 journalistes ayant répondu à notre étude, la parité est presque parfaitement respectée: 152 sont des hommes et 151 des femmes. 61 % travaillent en presse écrite ou sur le web, 22 % à la télévision, 12 % à la radio. Les autres sont multi-supports. Quant au statut, si 62 % sont en CDI, 24 % sont pigistes ou indépendants et 14 % sont en CDD. En moyenne, les journalistes sondés travaillent depuis seize ans dans le domaine et sont âgés de 37 ans.