C’est l’une des figures du journalisme en France. Laurent Joffrin est revenu « sauver » Libération en 2014. Le directeur de la rédaction du quotidien de gauche, président du jury des Assises, insiste sur la nécessité de se diversifier.

Claude Truong-Ngoc / Wikimedia Commons

(Photo: Claude Truong-Ngoc / Wikimedia Commons)

Les Clés de la presse. Dans ces Assises, on parle d’économie, un point qui cristallise les tensions à Libé. Pouvez-vous faire un état des lieux aujourd’hui ?
Laurent Joffrin. La situation est nettement meilleure qu’il y a deux ans. Nous avons rétabli en grande partie les comptes et maintenu la diffusion du journal sur l’année 2015. A côté des chiffres, Libération a été créatif, nous avons transformé l’équipe, créé de nouvelles formules pour le site et pour le print. Le journal se redresse, il n’y a pas de doute là-dessus.

La solution proposée par les actionnaires, à l’époque de votre arrivée, de faire de Libé une marque transmédias vous semble-t-elle toujours être la bonne?
L.J. Un journal ne peut plus se contenter de publier un quotidien papier. Il faut que ce quotidien s’unifie autour d’un numérique étroitement lié au print. Puis nous devons trouver d’autres sources de revenus, dans la mesure où la simple diffusion d’informations ne permet désormais plus de faire vivre le papier. Il faut être créatif. A Libération, nous organisons un certain nombre d’événements afin de compléter notre chiffre d’affaires. Notre journal a un rôle d’information, de spectateur et d’animateur certes, mais également une vocation d’animateur social. Le projet des actionnaires avec le bar, le restaurant Libération, n’était en aucun cas central.

L’économie n’est-elle pas intimement lié à la question de l’indépendance des médias, l’un des thèmes de votre conférence?
L.J. L’indépendance des médias vis-à-vis des pouvoirs économique et politique est une question primordiale. Beaucoup de journaux sont aujourd’hui inclus dans des groupes (ce qui est le cas de Libération, propriété du groupe Altice média, NDLR), ce qui peut poser un certain nombre de questions. Il me semble que pour être indépendant, il faut indubitablement être équilibré économiquement.

Quand les difficultés économiques pointent leur nez, comme à Libération, n’y a-t-il pas un hiatus entre nécessité de s’en sortir et indépendance?
L.J. L’indépendance s’assure aussi autrement. A Libération, en plus des chartes internes respectées par les actionnaires, il y a une culture rédactionnelle ancienne qui permet aux journalistes de travailler librement. Même la nomination du directeur de la rédaction est ratifiée par un vote.

Quand le prix de l’information est évoqué, il est difficile de ne pas penser à la situation des journalistes d’investigation, qui ont besoin de temps et donc de moyens. Ont-ils encore leur place dans les quotidiens?
L.J. L’investigation, c’est de l’enquête à long terme sur des sujets d’indignation, de révélations, voire de scandale. C’est le travail quotidien d’un journal. Il faut donc essayer de dégager du temps. Récemment, nous avons sorti une longue enquête sur Areva qui a demandé beaucoup de temps. Nous devons continuer de le faire, même si les moyens sont clairement moins important qu’avant. Il est nécessaire de préserver l’identité du journal, notamment constituée d’investigations.

Propos recueillis par Théo Sorroche