Frédéric Pommier est journaliste à France Inter. Sa chronique de décembre 2017 alarme sur les conditions de traitement des personnes âgées dans les Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Publié aux éditions Équateurs Littérature, son livre Suzanne alterne entre le récit de la vie de sa grand-mère et son parcours en Ehpad. Il dépeint la dure réalité de son traitement où le soin a bien souvent fait place à la négligence.

Frédéric Pommier, auteur de Suzanne, au salon du livre des Assises internationales du journalisme. (Photo Louise Gressier / EPJT)

Le livre raconte la vie de Suzanne, votre grand-mère. Comment avez-vous réuni autant de détails sur elle ?

Frédéric Pommier : Elle a toujours raconté sa vie à nous, ses petits-enfants. Et pour aller plus dans les détails, j’ai passé des heures et des heures au téléphone avec elle. Je me suis aussi basé sur un récit que ma grand-mère avait écrit il y a vingt ans. Pendant quinze ans, elle a pris des notes sur ce qu’elle avait vécu pendant son enfance et son adolescence. Je me suis appuyé sur ces souvenirs qu’elle avait déjà fait ressurgir. Je l’ai interrogée plusieurs fois. Et c’est comme ça qu’elle a réveillé d’autres souvenirs. Je me suis aussi appuyé sur une correspondance et le journal intime de mon grand-père, Pierre, qu’il a écrit durant les six dernières années de sa vie. Parfois, je lui faisais référence à des faits dont il faisait allusion et elle réagissait. Tout cela, ça a fait surgir des souvenirs de voyage, de vacances. Évidemment, si j’avais utilisé toutes ces informations, mon livre aurait sans doute fait mille pages. J’ai sélectionné ce qui me semblait le plus parlant, le plus amusant parfois à écrire.

Suzanne est une femme de caractère qui avait soif d’aventures. Elle rêvait d’être comédienne à New York. Elle ne se préoccupe pas de la mort, ça ne l’intéresse pas. Est-ce une manière de mieux vivre la vieillesse ?

F. P. : Elle n’a jamais trop supporté dans la réalité de voir son corps décrépir. Elle a fait du tennis et a conduit jusqu’à assez tard, trop même. Comme beaucoup de personnes, elle n’accepte pas l’idée d’être devenue moins alerte. Elle voudrait continuer de conduire, même si elle ne peut plus se tourner. Tant qu’elle peut appuyer sur les pédales, elle voudrait continuer. Je ne sais pas si elle est exemptée du fait qu’on puisse bien vieillir. Les deuils qu’elle a vécus, à mon avis, c’est normal à son âge. Ce sont toujours des moments qui la rendent extrêmement triste, comme la mort de son fils et son mari. On peut vivre avec ses deuils, on peut se remettre de ces épreuves.

Pensez-vous qu’on puisse inventer un modèle social permettant de mieux traiter nos personnes âgées ?

F. P. : Je pense effectivement qu’il faut que l’on se sente tous concernés, que l’on y réfléchisse. Les personnes âgées appartiennent aujourd’hui à une catégorie de population « invisibilisée ». Tout comme celle des prisonniers. Ce sont des gens qu’on ne voit pas dans la rue, ni à la télévisionn ni dans les journaux, parce que ça ne fait pas plaisir de s’intéresser à des gens d’une grande classe d’âge. Je pense qu’il faut se demander si ce sont les Ehpad qu’on veut voir se développer. Les Français sont de plus en plus nombreux à vivre vieux. Un lycéen sur deux aujourd’hui sera centenaire. À ce rythme-là, je crains que l’on soit contraint d’ouvrir de nouveaux établissements calqués sur le modèle actuel. Faut-il que le secteur soit obligatoirement en partie marchand ? Je ne suis pas sûr qu’il y ait plus de dysfonctionnements dans les établissements à but lucratif que dans les établissements publics. Et au moins, on peut s’interroger sur la place que l’on veut accorder à nos aînés, le livre pose cette question au lecteur. Il avance aussi le sujet de la mémoire, du dialogue entre les générations.

Propos recueillis par Victoria Geffard.