Depuis quelques années, les robots-journalistes s’immiscent dans les rédactions. Et commencent à inquiéter la profession. Peut-être à tort. 

Dans la presse française, Le Monde a ouvert le bal en 2015. En collaboration avec la société Syllabs, 36 000 articles ont été générés automatiquement. Claude de Loupy, de Syllabs, précise : « Notre objectif n’est pas de remplacer les humains. » Photo : Martin Esposito

N’imaginez-pas un humanoïde qui tape sur son clavier. En réalité, le robot-journaliste s’apparente plus à un algorithme qui transforme différentes données en articles. L’expression laisse imaginer une forme d’intelligence artificielle, et donc une capacité à la prise de décision. Le robot-journaliste est, certes moins sociable, mais tout aussi performant.

Ces robots, ou plutôt ces algorithmes, ne sont pas que pure fiction. Ils existent déjà. Aux Etats-Unis, Forbes, le Los Angeles Times, ou encore Associated Press ont déjà eu recours au système. Leur utilisation reste, pour le moment, limitée à des dépêches ou des résultats sportifs, voire à des biographies. À la lecture de ces articles, difficile de dire si l’auteur est un journaliste ou un robot. 

 

Une percée au Monde

La forme des papiers est plutôt basique, mais l’écriture, elle, tend à se complexifier. « Certains robots ont déjà des dispositifs qui leur permettent d’angler et de s’adapter dans les choix du vocabulaire en fonction du lectorat », explique la journaliste Laurence Dierickx, spécialiste des questions liées à la génération automatique de textes. 

La France n’est pas en reste. Lors des dernières élections départementales de 2015, la société Syllabs a conçu un robot pour le site internet du Monde. L’objectif ? Se démarquer de la concurence en donnant les résultats sous forme d’articles pour chaque canton. En tout, 36 000 papiers ont été publiés par ce biais. Créée en 2006, Syllabs a été l’une des première en France à s’attaquer au marché du robot-journalisme. Avec sa solution nommée « data2contents », elle propose de transformer des données en texte. « Nous ne faisons pas du journalisme, tient à rappeler Claude de Loupy, cofondateur de l’entreprise. Nous produisons juste de l’information sous la forme de texte. Notre objectif n’est pas de remplacer les humains. » Un leitmotiv que matraquent les entreprises spécialisées en programmation. Le robot-journaliste n’est pas présenté comme un concurrent mais plutôt comme un allié du rédacteur. Pour Laurence Dierickx, « il est nécessaire que les journalistes s’approprient ces nouveaux outils qui doivent les aider dans leur travail. Nous sommes dans une dynamique dans laquelle les journalistes ont de plus en plus de données à traiter. Et dans ces données, il y a de l’information qui est intéressante ».

Aider, un autre maître-mot qui a poussé Benoît Raphaël à créer Flint, une newsletter innovante. Derrière cette lettre d’informations, on retrouve un robot. Il sélectionne des articles qu’il définit lui-même de qualité, et qu’il juge susceptibles d’intéresser son lecteur. Pour cela, il s’appuie notamment sur « l’intelligence collective » de Twitter.

Les robots-journalistes arrivent à retranscrire des émotions dans leurs articles. Photo : Arthur Garanta

 

À partir du réseau social, il analyse comment sont partagés les articles. « Dans la masse de contenus qui est produite et publiée chaque jour, il y a énormément de choses. Seul un robot est capable de faire émerger le contenu qui saura nous intéresser », explique Benoît Raphaël. 

La technologie utilisée va au-delà de l’algorithme. C’est ce que l’on appelle du « machine learning ». Une expression un peu barbare pour qualifier l’apprentissage automatique d’un robot. En effet, il peut avoir la capacité de s’enrichir au fur et à mesure. Une forme d’intelligence artificielle qui, dans un futur proche, serait capable d’analyser et de rédiger de manière autonome des sujets sans que la différence puisse se voir à l’écrit. « Par exemple, ils vont lire toutes les critiques culinaires auxquelles ils ont accès. Ils vont ensuite s’inspirer du style des journalistes humains pour écrire leur propre critique », note Jean-Hugues Roy, professeur à l’école de médias à Montréal. De quoi remplacer certains journalistes ?

 

Les mains dans le code

Dans un secteur qui peine à trouver son modèle économique à l’ère du numérique, l’inquiétude autour de l’emploi est légitime face à ces nouveaux concurrents. « Il y aura sans doute un impact, mais pas à très grande échelle. Nous avons besoin de l’humain. Il y a des choses qu’un logiciel ne peut pas faire. Est-ce qu’il peut donner une opinion ? Est-ce qu’il peut être créatif ? Il y a aussi un rapport humain entre le journaliste et ses sources », nuance Laurence Dierickx.

Ainsi les machines, comme les journalistes, ont encore besoin d’adaptation. Ces derniers vont, en effet, devoir apprendre de nouvelles compétences. Pour Jean-Hugues Roy, c’est dans l’air du temps. « Il ne sera pas nécessaire que tous les journalistes sachent programmer mais il faudra au  moins qu’ils aient quelques notions. Les algorithmes tendent à devenir des sièges de pouvoirs. Il faut que les rédacteurs puissent leur demander des comptes de la même manière qu’un journaliste demande des comptes aux élus, aux entreprises. »

Développer des robots-journalistes et travailler avec, tend aujourd’hui à prendre de l’importance. Programmer, coder ou éditer seront des compétences bientôt indispensables dans les différentes rédactions. Plus qu’un ennemi, le robot pourrait bien permettre aux journalistes d’approfondir leur compétences. Ils programmeront peut-être bientôt les robots, pour écrire les articles de demain.

 

Sauriez-vous reconnaître la plume d’un robot ? 

Comment écrivent les robots-journalistes ? Nous avons sélectionné deux exemples d’articles :

Une biographie de Marvin Lee Minsky, sur le site wired. com (traduit de l’anglais) : « Marvin Lee Minsky, 88 ans, est décédé 24 janvier 2016 à Boston, dans le Massachusset, d’une hémorragie cérébrale. […] Marvin Minsky était connu pour sa contribution dans le domaine de l’intelligence artificielle. […] On retiendra de lui la création du MIT Computer Science et du laboratoire d’intelligence artificielle en 1959. Minsky était marié à Gloria Minsky et avait trois enfants. […] »

Un compte-rendu de la finale de Roland Garros Djokovic-Murray en 2015, par la société Yseop : « Malgré la perte du premier set, Djokovic a remporté le tournoi de Roland Garros en battant Murray (3-6, 6-1, 6-2 et 6-4). Le faible pourcentage de premières balles (42 %) de l’Écossais ne l’a pas empêché de gagner le premier set en seulement 32 minutes de jeu. Encore moins performant dans ses premières balles lors de la deuxième manche, l’Écossais s’est fait logiquement breaker à deux reprises et a concédé le deuxième set 6-1. Il est à noter que Djokovic a réussi 6 aces dans cette manche, et que ses vingt-cinq coups gagnants lui ont permis de renverser le cours du match. »

Théo Caubel et Mary Sohier