Ils sont un demi-million à s’installer, chaque soir, devant un journal télévisé. Les enfants entre 4 ans et 10 ans visionnent les mêmes images que les adultes. Alors, pourquoi n’auraient-ils pas leur propre émission ? Nos voisins britanniques et allemands ont leurs JT destinés aux enfants depuis plus de trois décennies. En France, les tentatives sont timides, laborieuses ou de courte durée.

Franck-André Rauschendorf, l’un des présentateurs d’Arte Journal Junior. Photo : Capture d’écran d’Arte

« Salut, je suis heureux de vous retrouver pour ce journal junior ! Soyez les bienvenus », lance Frank-André Rauschendorf. Le présentateur d’Arte Journal Junior prend place sur le plateau. Classique jusqu’ici. Mais derrière lui, les décors des capitales sont remplacés par une mascotte animée. Et tous les reportages lancés par le présentateur ont été écrits spécialement pour des enfants de 8 à 12 ans.

Cette émission est la seule à occuper le créneau des JT destinés aux enfants en France. La grande ligne directrice ? Décrypter et expliquer le monde. En 2014, Jean-François Ebeling, rédacteur en chef d’Arte Journal Junior, se rend en Allemagne pour voir comment travaille la rédaction de Logo!, la référence des journaux pour enfants depuis 1989 : « Je ne savais pas comment m’y prendre. Je faisais essentiellement du news. J’ai surtout retenu une leçon : il ne fallait censurer aucun sujet. »

Lancé en 2014 en hebdomadaire, Arte Journal Junior devient un JT quotidien un an plus tard. Axé sur l’international, le journal propose toujours une formule plus longue et magazine le dimanche. Un portrait d’un enfant étranger sert de fil rouge, comme celui de Marcos Jesus, un enfant andalou dans une école de corrida ou encore Aminata, une jeune Malienne qui ne peut pas aller à l’école, faute d’argent.

« L’audience est très variable, explique Jean-François Ebeling. On passe du simple au double, de 50 000 à 100 000 téléspectateurs. » Une audience faible par rapport à celle des dessins-animés. « On n’est pas TF1 ou France 2. Nous avons du mal à se faire connaître auprès des parents. » La chaîne franco-allemande fait pourtant confiance à l’émission. Récemment, Jean-François Ebeling a pu embaucher un assistant de production. « Ça ne se verra pas directement à l’antenne, mais on va pouvoir développer plus de projets. »

Problème : le journal est diffusé à 7 h 35, et l’horaire sera même avancé à 7 h 10 à partir du 13 mars. Or, selon la psychologue Geneviève Djenati, qui travaille sur les images des scénarios de dessins animés, il faudrait diffuser ces JT destinés aux enfants à l’heure du goûter : « Les écrans occupent trop l’esprit le matin, et l’enfant n’a pas possibilité d’échanger avec des adultes sur ce qu’il a vu alors que le soir si. »

Jean-François Ebeling ne cache pas son désir d’avoir un JT en fin d’après-midi et regrette que ce ne soit pas en son pouvoir. Pour pallier ce problème, la chaîne donne exceptionnellement la priorité au web. Le journal est diffusé la veille, à 18 h sur le site et la chaîne Youtube, avant de passer à la télévision le matin.

Le journal, parce qu’il est également diffusé outre-Rhin, en allemand, fait très peu écho aux préoccupations nationales. C’est un parti-pris compréhensible et cohérent avec la ligne éditoriale forte de la chaîne. Mais en conséquence, les enfants français n’ont pas accès à un JT sur l’actualité de leur pays.

Si l’offre existe en France, elle reste fragile, incomplète, alors qu’ailleurs, elle fonctionne. La BBC diffuse Newsround depuis 1972 et la chaîne publique allemande ZDF a fait de son magazine Logo! une référence depuis sa création en 1989. Rien d’impossible donc d’autant plus que la France a déjà fait l’objet de tentatives.

En 1998, l’idée d’un journal télévisé pour enfants est évoquée lors du Parlement des Enfants. Message reçu pour France Télévisions qui lance en 2000, A toi l’actu@, sur France 3. Présenté par Peggy Olmi, Thomas Sotto puis François Barré, le programme propose un véritable journal d’information quotidien, après l’école. Tous les sujets sont évoqués, des marées noires aux Pokémon, des enfants soldats aux célébrités de l’époque.

Au bout de deux ans, le programme est remplacé par Mon Kanar, produit par 2P2L et présenté par François Pécheux. D’abord en quotidienne, le programme change plusieurs fois d’horaires pour passer en hebdomadaire à la rentrée 2005. Des bouleversements qui ont contribué à l’arrêt du programme quatre mois plus tard. Entre 2005 et 2014, en France, plus aucun programme d’information n’est proposé aux jeunes.

Après la violence des attentats de Charlie Hebdo, on prend alors conscience de l’importance d’adapter l’information pour les enfants. Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Éducation, en visite dans une école fin janvier 2015, s’interrogeait très clairement : « Est-ce qu’il ne faudrait pas un journal télévisé d’actualité pour les enfants ? »

L’appel lancé par la ministre a été entendu par LCI en mars 2015, avec l’hebdomadaire le Petit JT en partenariat avec Mon quotidien. Présenté par Benjamin Cruard, le programme devient bihebdomadaire en 2016 et est diffusé le mercredi et le week-end. Mais la direction a décidé de concentrer ses forces sur l’élection présidentielle. Le Petit JT, en stand-by depuis fin décembre, n’est même pas sûr de revenir à la rentrée 2017. Ce choix montre que, pour le moment, l’information destinée aux enfants n’est pas une priorité dans les rédactions, alors que l’élection présidentielle est un enjeu de taille à leur expliquer.

Pour Benjamin Cruard, l’année électorale n’est pas la seule fautive : « La chaîne n’avait sûrement plus les moyens de mettre en oeuvre l’émission. Pour une économie de chaîne d’information en continu, cela coûte cher. » Pourtant, LCI doit beaucoup au Petit JT. L’émission a aidé la chaîne à plaider son dossier auprès du CSA pour passer sur la TNT gratuite. Il fallait montrer une différence par rapport aux autres chaînes. « Le problème aussi, c’est que les enfants n’ont pas le réflexe d’aller voir ces JT, complète le présentateur du Petit JT. Mais quand ils sont devant, qu’ils prennent l’habitude, ils ne lâchent pas. Le manque de communication fait échouer ces émissions. »

Mémona Hintermann-Affégée, présidente du groupe de travail Audiovisuel et Éducation au Conseil supérieur de l’audiovisuel, souhaite mettre une pression supplémentaire sur les chaînes, publiques et privées. « Il y a une solution : que l’Etat force l’audiovisuel public à faire un journal pour enfants. Pour les chaînes privées, elles exploitent gratuitement des fréquences qui appartiennent à notre pays. Il faut donc exiger des programmes lors des renouvellements de convention. C’est au CSA d’agir. »

Mais que fait le service public ? Mis à part la pastille Un jour Une question et le contenu riche sur la plateforme francetveducation, on ne trouve pas de reportages pour les enfants sur France Télévisions. Amel Cogard, directrice de France TV Education, confie qu’un projet est en réflexion mais pas encore à l’oeuvre : « C’est vrai qu’il n’y a rien à l’antenne. Nous ne savons pas quelle forme ça doit prendre : de l’actualité pure, du magazine, du décryptage, du reportage… Nous vous en dirons plus pendant les Assises du journalisme. »

Marcellin Robine et Léna Soudre