En deux ans, les réseaux sociaux et Google ont bouleversé la manière de consommer l’info avec des outils qui optimisent la lecture des articles sur smartphone. Une innovation qui ravit tout le monde, mais qui n’est pas sans risques.

« Il se peut que dans 10 ans, Facebook et Google soient les seuls éditeurs d’infos », selon Lyès Jmili de France Médias Monde. Photo : Bastien Bougeard

Chaque matin, vous partez au travail smartphone en main. En chemin, vous consultez votre réseau social préféré. Entre deux photos de vacances et trois publicités, vous voyez qu’un journal publie une nouvelle importante. Vous cliquez mais vous n’arrivez pas sur le site du journal qui a produit le contenu. Une simple page avec le contenu logo du quotidien et le nom du journaliste apparaît et vous lisez votre article depuis Facebook ou Google. Ces petits outils s’appellent Google AMP (accelerated mobile pages) ou Facebook Instant article. Leur recette ? Ils optimisent la lecture sur smartphone en chargeant plus rapidement les pages, sans renvoyer chez les médias producteurs. Même si les médias restent très discrets, le nombre de pages consultées explosent, selon les spécialistes. Une certitude : ces deux innovations apparus il y a deux ans en France, touchent un large public, pas forcément habitués aux sites médias. 

France Média Monde, qui regroupe France 24 et la radio RFI, utilise Facebook Instant article et Google AMP. « Nous vivons avec depuis mai dernier, explique Lyès Jmili en charge du buisness developement du département numérique. Après plusieurs mois d’exploitation, nous tirons un bilan très satisfaisant. » L’avantage, c’est que les pages prennent très peu de temps à charger. « Les Facebook Instant pages comportent très peu de données. Nous couvrons certains territoires, notamment en Afrique où la connexion internet n’est pas optimale. C’est un réel plus pour le lecteur. » Mais Lyès Jmili reconnaît qu’Instant article peut faire baisser le trafic vers le site web. « France Médias Monde étudie la possibilité que le site devienne seulement une vitrine pour nos application mobiles. On ne publierait plus rien sur un site. »

Des éditeurs britanniques unis pour garder le contrôle

Du côté du Parisien, le son de cloche est un peu différent. Guillaume Bourzinien, manager du marketing digital se félicite du gain « pratique. Quand on publie un article sur le site du journal, il se retrouve sur Facebook. » Pour lui, la mort des sites web n’est pas pour dans dix ans. « Au Parisien, utiliser Instant article permet de créer des passerelles vers le site web du journal. » Il estime que les lecteurs continueront de se rendre sur les sites web. « Sur internet, beaucoup de fausses informations circulent et les lecteurs continueront d’aller sur les sites d’informations pour vérifier la véracité des faits. »

Mais une crainte est en train d’émerger dans les rédactions : que Facebook prenne de plus en plus de pouvoir sur les éditeurs. Comme le raconte un article du New York Times, des médias britanniques cherchent à faire front commun pour garder le contrôle de leurs publications sur le réseau social. Pour David Douyère, ce risque n’est pas nouveau. « Amazon a essayé d’imposer ses prix par rapport aux livres numériques et sur les livres papiers. Il a fallu que les bibliothèques montent au créneau pour qu’ils aient encore la main sur ces questions. Ici, Facebook et Google ont une forte emprise sur le public et c’est logique qu’ils puissent avoir ce désir. »

Du côté du Parisien, Guillaume Bourzinien estime que les réseaux sociaux « n’ont aucun intérêt à vouloir imposer leurs règles et remplacer les rédacteurs en chef. Et il faut que les titres de la presse française se parlent et s’entendent pour sauvegarder leur indépendance ». Pour sa part Lyès Jmili, concède que ces innovations ne sont « pas faites pour les beaux yeux des médias. » Mais il reste confiant sur le sujet car « en France, il y a un arsenal législatif important. L’autorité de la concurrence peut intervenir en cas de problème. De plus, Google et Facebook ne se font pas la guerre sur le contenu mais plutôt sur la pub qui génère beaucoup plus de revenus. »

60 centimes pour 1000 impressions

La publicité, c’est l’autre nerf de la guerre sur ces nouveaux outils. Quelles les recettes publicitaires les éditeurs peuvent-ils espérer grâce à ces nouveaux dispositifs. « La répartition des recettes entre le réseau social et l’éditeur n’est pas clair, admet Lyès Jmili. Mais je sais que Facebook nous rémunère juste au-dessus du minimum légal. A savoir 60 centimes les 1 000 impressions. »

Le problème, c’est que Facebook a la main mise sur tout le processus publicitaire. Dans un premier temps, le réseau social travaille avec l’annonceur et lui fait plusieurs offres. C’est Facebook qui fixe le prix de l’encart publicitaire. L’entreprise américaine s’entretient ensuite avec les éditeurs pour fixer la distribution des différents encarts publicitaire. Les éditeurs ne savent pas à quels prix l’encart pub a été acheté par l’annonceur. « La marge que dégage Facebook est importante, souligne Lyès Jmili. Mais comme ce n’est pas clairement dit, c’est difficile de contester. »

Minutebuzz a fermé son site

Pourtant, des médias n’hésitent pas à jouer la carte du tout social. C’est le cas de minutebuzz. En octobre dernier, le pure player prend le pari de miser sur les réseaux sociaux. Fermeture du site web, transfert du contenu sur les différents réseaux sociaux, changement de la ligne éditoriale. « Les plateformes ont envahi les mobiles et ne génèrent plus de trafic », explique le fondateur du siteMaxime Barbier dans une vidéo. «Les articles sont dépassés, les millennials (les personnes nées à partir de 1980) bloquent de plus en plus les pubs. Prerolls (pub avant une vidéo, ndlr), display-roll (pub pendant une vidéo, ndlr), ils n’en veulent plus ! », assure Laure Lefèvre, directrice de la publication. Pour survivre, la start-up s’est également lancé dans le brand-content, des contenus éditoriaux sponsorisés par une marque. EDF, AccorHotels ou encore Danone sont les principaux clients. «Nous renonçons à cette audience, celle du site web, mais c’est pour concentrer toute notre énergie sur une autre : 8 millions de 18-35 ans nous suivent sur les plateformes sociales et nous voulons doubler ce chiffre», explique encore Maxime Barbier sur le site du magazine stratégies. Nous avons contacté les fondateurs de minutebuzz sur ce sujet via les réseaux sociaux. Etrangement, aucun ne nous a répondu.

Bastien Bougeard