Dysturb est un collectif de photojournalistes qui affichent sur les murs des villes les clichés de grands photographes pris dans le monde entier. L’objectif est de rendre visible leur travail et de relayer des informations étrangères. Dans la nuit de mercredi 9 au jeudi 10 mars, le collectif crapahutait dans les rues de Tours.

DYSTURB image

Le collectif Dysturb placarde la photo de Giles Clarke. « Ateeq, 15 ans, avec sa mère Shehnaz à Bhopal. Il est né de parents contaminés par de l’eau cancérigène. » (Photo : Lucas Barioulet)

Vingt-deux heures dans le centre-ville de Tours. Cinq hommes d’une trentaine d’années collent 4 affiches de 2,30 mètres sur un mètre, les unes à côté des autres. Trois silhouettes de femmes en noir et blanc se dessinent peu à peu dans la nuit. En légende : « 24 février 2016. Turquie. Des habitants de Diyarbakir, la capitale du Kurdistan turc, fuient les gaz lacrymogènes lancés par la police. »

« C’est quoi ça ? » s’interrogent deux jeunes noctambules. « Ça », c’est Dysturb, un collectif de photographes né en mars 2014 à l’initiative de Pierre Terdjman. Au retour d’un voyage en Centre-Afrique, le reporter vend quelques clichés de l’actualité à Paris Match. Mais cela ne lui suffit pas, il veut montrer au plus grand nombre la situation sur place. Il décide alors d’exposer ses photos dans la rue, pour plaquer la réalité à la face du monde. Benjamin Girette se lance avec lui. Il se souvient : « Vers minuit à Bastille, les passants ont été interpellés, ont réagi aux photos. » Une victoire pour les photographes qui décident alors de poursuivre l’expérience.

DE PERPIGNAN A MONTRÉAL

En deux ans, les murs de Perpignan, New-York, Sarajevo, Montréal et une dizaine d’autres villes sont recouverts de photos de reporters à l’étranger. « On veut faire en sorte que les images des photojournalistes soient affichées dans chaque coin du monde », explique Benjamin Girette.

Dans leur chambre d’hôtel à Tours, vers 21h30, les préparatifs sont encore en cours. Les affiches doivent être nommées et numérotées.  « Jan, 1G, 2G, 3G, 4G », détaille Matthieu Rondel, photojournaliste indépendant. Il a rejoint le collectif et, cette nuit, ils sont également accompagnés de Pierre Morel et de deux journalistes tourangeaux. Une fois que tout le matériel est prêt, l’équipe entre en piste.

A l’avant du groupe, casquette vissée sur la tête, pot de colle dans une main et rouleau dans l’autre, Benjamin Girette parcourt les rues de Tours en quête de murs. Trop haut, avec des clous, problème de revêtement, tous n’auront pas l’honneur d’attirer le regard. A l’angle de la rue Colbert et de la rue Voltaire, un premier mur semble convenir : « On met quoi ? Turquie ? Lesbos ? », demande Matthieu Rondel à Benjamin Girette. Le cliché du photojournaliste Jan Schmidt-Whitley en Turquie est choisi pour cet emplacement. Pendant le collage, l’appareil photo n’est jamais loin. L’humour aussi : « T’aurais dû standardiser les affiches à ta taille », s’amuse Pierre Morel alors que Benjamin Girette doit s’étendre de tout son long pour coller le haut de la photo.

PAS D’AUTORISATION, PAS D’INFORMATION

Un peu plus loin, sur la vitrine de l’ancienne boutique « La bulle verte », c’est la photographie d’une femme aspirée par la mer près de Lesbos qui est affichée en grand puis, sur une palissade en bois près du dôme de la Basilique, le cliché d’une mère et son fils à Bhopal, zone contaminée par des produits chimiques toxiques.

Arrivés sur les quais, les photographes commencent leur troisième collage. Mais le mur n’aura pas l’honneur de promouvoir le photojournalisme. Une patrouille de police vient mettre fin à la virée nocturne. L’argument de la colle biodégradable et la programmation du collectif dans l’agenda des Assises n’y changeront rien. Tant qu’ils n’ont pas d’autorisation écrite, les photojournalistes ne peuvent pas continuer. Le collectif n’insistera pas. « Disturb » (« déranger ») oui, mais pas créer la polémique.

Le collectif connait ses limites : « On ne fait pas partie d’une fondation, on n’a aucun soutien particulier donc si quelqu’un veut détruire le collectif, il n’aura pas beaucoup de difficultés », commente Benjamin Girette. Le groupe se fait discret et se fixe des barrières, dès le choix des photos : « On choisit une actualité importante, comme les droits de l’homme, et qui n’est pas forcément assez relayée. Ensuite, on sélectionne les meilleurs photographes et on fait le tri dans les photos. Par exemple, un gamin de 4 ans qui passe devant le mur ne doit pas être choqué par le cliché », explique le photographe.

Les enfants, ce sont justement l’une des principales cibles du collectif. Les photojournalistes ont compris la nécessité de l’éducation aux médias et se rendent dans des établissements scolaires pour expliquer leur travail. Ce jeudi, ils avaient rendez-vous dans un collège de Joué-lès-Tours et un lycée de Tours.

Noémie Lair