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Le métier de journaliste est sans cesse remis en question par le public. Manque d’indépendance ou d’impartialité, absence de légitimité… Les reproches sont nombreux. Le passage mouvementé de Jean-Luc Mélenchon dans l’Émission politique, en décembre dernier, a relancé le débat sur la création d’un conseil de presse pour sanctionner les manquements des journalistes à la déontologie.

Contrôler le bon respect de la déontologie et de l’éthique des journalistes : c’est ce qu’a proposé le leader de la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon. Une proposition faite lors de son passage dans l’Émission politique, le 30 novembre 2017, alors qu’il se disait « maltraité, brutalisé, insulté, manipulé, trompé, truqué, enfumé ». Vivement critiquée, cette annonce s’est suivie, cinq jours plus tard, du lancement d’une pétition adressée à la ministre de la Culture. En trois mois, elle a recueilli plus de 186 000 signatures, sur 200 000 exigées. Selon lui, ce conseil devrait être composé de citoyens « usagers des médias » et de journalistes. Il serait un recours qui garantirait aux citoyens leur droit à une « information objective », selon les mots du leader de la France insoumise. Son mode de fonctionnement et de sanction ne sont pas encore précisés.

Plus de cent tribunaux dans le monde

Qu’on les appelle tribunaux ou conseils de presse, près de cent pays dans le monde disposent de ce type d’instances. L’idée n’est pas nouvelle. Le premier a vu le jour en Suède en 1916.  En Europe, la Macédoine, le Kosovo, la Bosnie-Herzégovine, l’Italie, l’Allemagne, la Grande-Bretagne ou encore la Belgique sont dotés d’instances de régulation de la profession.

Le « plat pays » a créé un Conseil de déontologie journalistique (CDJ) en 2009, à l’initiative, notamment, des journalistes de l’Association des journalistes professionnels (AJP, équivalent du SNJ en France, NDLR). Il est composé de représentants de journalistes, éditeurs, patrons de presse et de membres de la société civile. N’importe quel citoyen belge peut déposer plainte contre un média, s’il estime qu’un article, un reportage ou une émission a manqué à la déontologie de la profession. La première étape est une procédure de médiation entre les deux parties. En cas d’échec, l’institution examine la plainte.

Si le conseil reconnaît une faute, le média incriminé doit publier l’avis rendu sur la page d’accueil de son site internet pour une durée d’au moins 48 heures, et sous l’article incriminé. Cette association privée, considérée comme service public, est financée en partie par l’Etat belge. Sans condamner les rédactions, le CDJ a un pouvoir de sanction morale. Le média fautif perd en crédibilité. Le conseil a aussi un rôle pédagogique, notamment au sein des rédactions. S’il a réactualisé le code de déontologie journalistique en 2013, il ne remplace pas l’institution judiciaire. Un plaignant peut cumuler les démarches auprès du conseil de déontologie et auprès de la cour d’assises belge, en cas de délit de presse.

Pour Jean-François Dumont, secrétaire général adjoint de l’Association des journalistes professionnels et membre fondateur du CDJ, « la proposition de Jean-Luc Mélenchon engage le débat dans une mauvaise direction. Pour lui, cette instance permettrait de faire respecter le droit à une “information objective”. Un non-sens car ce n’est pas le rôle d’un conseil de déontologie de refaire des enquêtes journalistiques. Au contraire, c’est de faire respecter des principes dans la production de contenu. »

Pour ses voeux à la presse, le 3 janvier, Emmanuel Macron a invité les journalistes à organiser les règles de déontologie de leur profession, « autour de principes fortement réaffirmés ». Une déclaration qui vient en addition de la proposition du député des Bouches-du-Rhônes sur la création d’un conseil de la presse dans l’Hexagone. D’après Juliette Prados, attachée de presse de Jean-Luc Mélenchon, ce dernier échange avec plusieurs syndicats et des associations pour nourrir son projet. Elle annonce qu’il sera reçu prochainement par le président de la République, auprès duquel il a demandé audience sur le sujet.

Qui pour juger les journalistes français ?

D’après Alexis Lévrier, historien de la presse et des médias, « la question d’une régulation de l’information est très ancienne en France. Jusqu’à la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, les choses étaient assez simples, puisque la presse était placée sous le contrôle de l’Etat. Le pouvoir politique s’occupait lui-même de la régulation. »

La création du SNJ, en mars 1918, a eu un rôle déterminant dans l’organisation et la création des codes de déontologie qui régissent la profession. La charte d’éthique professionnelle des journalistes, rédigée une première fois en 1918 et actualisée en 1938 puis en 2011, est considérée comme le texte fondateur de la profession. Le projet d’une juridiction de pairs, prévu par la Charte de 1918, a été abandonné.  La question d’un ordre des journalistes avait également été proposée par le Syndicat des journalistes français dans les années 1920. À cela s’ajoute la charte de Munich, adoptée en 1971 par la Fédération européenne des journalistes. Ces chartes n’ont aucune valeur juridique. D’où la primauté de la loi sur la liberté de la presse qui définit un cadre à toute publication, réprime la discrimination, l’incitation à la haine ou à la violence, la diffamation et l’injure publique. La loi Bloche de 2016 a instauré l’obligation, pour toute les rédactions, d’établir des chartes de déontologie. Mais des sanctions sont-elles appliquées ?

En France, il existe d’ores et déjà une instance chargée de gérer les questions éthiques, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), créé en 1989. Il dispose d’un pouvoir de sanction, « même si l’on peut regretter qu’il intervienne souvent très voire trop tardivement », ajoute Alexis Lévrier. D’autant que ses sept membres sont nommés par le président de la République, le président du Sénat ou par le président de l’Assemblée nationale. Assez pour que certains remettent en cause son impartialité.

Pour Alexis Lévrier, la solution serait, « plutôt que la création d’une nouvelle instance, une réforme du CSA qui devrait également se consacrer à la régulation de la presse écrite et à la presse en ligne. Mais l’organe devrait assurer son indépendance vis-à-vis du pouvoir politique, pour une autorégulation de la presse, un contrôle exercé par la société elle-même et non par le pouvoir. »

Entre le CSA et l’appareil judiciaire, la France a déjà de quoi sanctionner sévèrement les médias, les programmes ou les journalistes qui commettent des fautes déontologiques très graves. Mais dès qu’il s’agit de fautes n’atteignant pas ce degré extraordinaire, il n’existe pas d’outil adapté d’autorégulation et de dissuasion.

Les propositions d’Emmanuel Macron et du chef de file de la France insoumise sont pour l’instant très vagues. « Elles traduisent surtout une profonde défiance à l’égard des journalistes et de leur travail, avance l’historien des médias. Dans la première version de son post de blog, Jean-Luc Mélenchon avait d’ailleurs parlé de tribunal des médias. Cela dit tout de sa conception du journalisme et du rapport de forces qu’il veut créer avec la presse. »

Alizée Touami