« 90% de son contenu pour les pages villages est issu des correspondants ». Photo : Malvina Raud

Ils sont inconnus des lecteurs mais indispensables à la presse quotidienne régionale. “Ils”, ce sont les correspondant locaux de presse. Chargés de couvrir des secteurs géographiques très précis, ils n’ont pas le statut de journaliste professionnel, même si certains ont réussi à prouver le contraire.

Fin janvier, le site du journal régional L’union titrait : « Huit correspondants rendent copie blanche à l’hebdomadaire La Thiérache », hebdomadaire des Hauts-de-France. Ils réclamaient le paiement de leurs articles publiés, chose qui n’avait pas été faite depuis le mois d’août. Cette mobilisation des petites mains du journalisme, suffisamment rare pour être signalée, met en lumière les rouages de la presse quotidienne régionale. Les correspondants locaux de presse, aussi appelés CLP, sont ceux qui fournissent l’information de proximité aux quotidiens régionaux. Un accident dans un petit bourg, la kermesse de l’école, une nouvelle exposition photographique dans la mairie du village sont autant d’exemples d’événements qu’ils couvrent.

Indispensables mais pas journalistes

Anonymes et invisibles – puisqu’ils ne signent pas les articles qu’ils envoient à la rédaction – les correspondants sont indispensables au fonctionnement de la presse régionale. Ils fournissent une large majorité des articles qui concernent les pages des communes locales, comme c’est le cas du Midi-Libre. « 90% de son contenu pour les pages villages est issu des correspondants », explique Christine Didier, responsable du service correspondants. Et, contrairement à ce que l’on pourrait penser de prime abord, ils ne sont pas journalistes. Les CLP ont le statut de travailleur indépendant car cette activité est souvent un complément de revenu et ne peut pas être considérée comme un travail à temps plein. C’est le cas de Loïc Feltrin, correspondant de presse pour le Dauphiné Libéré, dans le secteur de Grenoble. « Je fais ça depuis plus de 3 ans. Mais depuis 6 mois je suis correspondant à temps plein car je veux tenter ma chance dans le journalisme. (…) C’est très compliqué financièrement car je ne suis payé qu’à l’article », ajoute-t-il.
On estime leur nombre à plus de 30 000 en France. En réalité, il est difficile de savoir combien il y a de correspondants car, si leurs revenus mensuels sont inférieurs à 496,65 euros pour l’année 2018, ils ne sont pas obligés d’en informer l’Urssaf. Contactés, peu de journaux ont été en mesure de nous donner des chiffres précis sur le nombre de correspondants qu’ils sollicitent. La rédaction en chef de La Nouvelle République indique « qu’en 2016, il y avait environ 800 correspondants sur la zone de diffusion pour environ 184 journalistes. Dans le département de l’Indre-et-Loire , on compte 70 correspondants pour environ 40 journalistes. »

Puisqu’ils ne sont pas salariés, les correspondants peuvent voir leur collaboration cesser du jour au lendemain. Sans oublier qu’ils coûtent également moins cher car il n’y a pas de salaire fixe et de charges salariales à prendre en compte. Cette ambiguïté sur le statut de l’emploi entraîne parfois des dérives. Plusieurs journaux ont été condamnés en justice. C’est le cas de La Charente Libre. Après plusieurs mois de collaboration, un correspondant a été remercié. Contestant cette décision, il a décidé d’attaquer le journal aux prud’hommes. Le tribunal a décidé de requalifier le correspondant comme journaliste professionnel. « Les preuves et justificatifs fournis par son avocat, Maître Arianna Monticelli, ont démontré que durant près de deux ans [le correspondant] a assumé des fonctions qui relèvent d’un travail de journaliste et non pas d’un correspondant local de presse », indique la CFDT. « Il ne s’agissait absolument pas pour La Charente Libre d’employer à vil prix un jeune journaliste, seulement de donner sa chance à un jeune homme, passionné de web et d’infos, mais qui, à 19 ans et avec un simple bac pro en poche, était loin d’avoir les compétences d’un journaliste », s’est défendu la direction du journal.
Loïc Feltrin, lui, ne se considère pas journaliste. « Je n’ai pas cette prétention. Je ne suis pas quelqu’un qui a une carte de presse. Sur le terrain, je ne me présente pas comme un journaliste. Je ne fais pas le même boulot qu’eux. Je ne décide de rien, si ce n’est la manière dont j’écris mes articles. » Pour les journalistes, il existe la charte de Munich (1971) qui fait référence en matière de déontologie et permet d’encadrer la profession. Il n’y a pas d’équivalent pour les correspondants et c’est l’une des différences entre les deux professions. Les correspondants peuvent faire ce que des journalistes n’oseraient pas comme écrire à leur propos, confondre information et communication… Il reste donc difficile pour les rédactions de pouvoir totalement encadrer leurs productions.

 Ce que dit la loi

Le statut du correspondant local de presse est défini à l’article 16 de la loi du 27 janvier 1993 portant diverses mesures d’ordre social : « Le correspondant local de la presse régionale ou départementale contribue, selon le déroulement de l’actualité, à la collecte de toute information de proximité relative à une zone déterminée ou à une activité sociale particulière pour le compte d’une entreprise éditrice. Cette contribution consiste en l’apport d’informations soumises avant une éventuelle publication à la vérification ou à la mise en forme préalable par un journaliste professionnel. » Autrement dit, le correspondant local propose ses sujets, la rédaction ne lui impose rien. Un journaliste, souvent une personne travaillant au secrétariat de rédaction, doit ensuite mettre en forme et corriger, s’il le faut, les articles du correspondant avant la publication.

 

Thomas Cuny et Taliane Elobo