EMI, travaux en cours

EMI, travaux en cours

Photo : Kelvin Jinlack/EPJT

L’éducation aux médias et à l’information s’intensifie en classe. Mais les intervenants manquent de formation et de coopération pour que tous les élèves en profitent.

Au bout du fil, une professeure documentaliste au ton agacé. Elle a l’impression de se battre dans le vide. Presque gênée, elle s’en excuse. Enseignante dans un collège d’Indre-et-Loire, Caroline* ne mâche pas ses mots lorsqu’elle évoque l’éducation aux médias et à l’information (ÉMI). Le lendemain, coup de fil à la rédaction : elle ne veut pas que son nom apparaisse, consciente d’avoir dépassé son droit de réserve. Pour elle, c’est tous les ans la même chose. Vingt ans qu’elle s’efforce de mener à bien des projets de ce type au sein de son établissement. « Je dois négocier avec chaque prof, avec chaque classe et dans chaque discipline », souffle-t-elle. Quand un enseignant ou un directeur s’en va, c’est pire encore. Il faut tout recommencer.

Cette année, elle n’a vu que trois classes sur les trente que compte son collège. L’éducation aux médias et à l’information, créée quarante ans plus tôt, fait pourtant consensus. « L’ensemble du personnel de l’Éducation nationale est concerné », assure Karen Prévost-Sorbe, référente ÉMI à l’académie d’Orléans-Tours. Le ministère est conscient de son importance.

Pas d’heures obligatoires

Si Jean-Michel Blanquer, ancien ministre de l’Éducation nationale, l’a décrite comme un pilier du parcours de chaque élève, ce n’est pas une discipline à part entière. En clair, les élèves n’ont pas d’heures obligatoires dédiées à cet enseignement. Les professeurs, toutes disciplines confondues, sont encouragés à l’inclure dans leurs heures de cours.

En réalité, l’ÉMI passe souvent au second plan à cause du manque de temps pour finir les programmes. Les « profs docs », responsables ÉMI au sein des établissements, en sont réduits à se greffer aux cours de leurs collègues. « Parfois, je comprends. Ils n’ont pas le temps. Le souci, c’est qu’on travaille toujours avec les mêmes », témoigne Anne Esnon, professeure documentaliste au lycée professionnel Martin-Nadaud de Saint-Pierre-des-Corps (Indre-et-Loire). Le manque de communication et de reconnaissance accentue l’incompréhension. Un sentiment d’isolement d’autant plus fort selon la taille de l’établissement scolaire.

C’est le cas de Caroline qui est seule face à plus de 800 élèves pour mener à bien des projets d’ÉMI : « J’ai beaucoup de mal à mettre en place des projets concrets sur le long terme. » Comme le précise Anne Esnon, pour que les projets d’établissement soient réalisables, il faut que tous les acteurs de l’équipe pédagogique s’investissent : « C’est un vrai travail d’équipe, ça ne peut pas venir d’une seule personne. »

Karen Prévost-Sorbe, référente ÉMI, en conférence. Photo : EPJT

Si les professeurs ont conscience de la nécessité de l’ÉMI, ils n’y sont pourtant pas initialement formés. En effet, les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (Inspé), qui visent à préparer les futurs enseignants, n’intègrent pas l’éducation aux médias dans leurs programmes. « Dans mon établissement, il y a une collègue stagiaire en formation initiale. Elle n’a pas suivi de modules sur l’ÉMI et elle ne savait même pas ce que c’était », s’étonne Anne Esnon.

La question est de savoir comment placer l’ÉMI comme priorité dans le parcours d’un élève si les professeurs ne sont pas eux-mêmes préparés à cette discipline ? À défaut d’avoir été formés lors de leur cursus initial, les professeurs peuvent suivre une formation continue. Mise à disposition par le Centre pour l’éducation aux médias et à l’information (Clémi), elle propose des vidéos en ligne auxquelles chacun peut s’inscrire… s’il le souhaite. Quelques heures devant l’écran permettent, par exemple, de se sensibiliser au journalisme de guerre, à la lutte contre la désinformation, ou aux réseaux sociaux. 

En montant un projet d’ÉMI, les professeurs se sentent parfois démunis. Les secrets de la fabrication journalistique, sans compter les subtilités techniques, sont difficiles à appréhender. Ils se tournent vers les professionnels du secteur pour les épauler. « Le problème c’est qu’il n’y a pas de journaliste référent pour chaque projet d’ÉMI initié, regrette Karen Prévost-Sorbe. Il faut qu’ils arrivent à dégager du temps tout en sachant qu’ils ont un agenda chargé au sein de leur rédaction. »

La demande des établissements scolaires est bien plus importante que l’offre journalistique. Face à ce manque de disponibilité, une solution est souvent utilisée : se tourner vers les radios associatives.

« Par moment, c’est du bricolage »

S’ils disposent de compétences techniques, les bénévoles ne sont pas tous formés à l’ÉMI, ni au journalisme. « Il faut le dire, par moment, c’est du bricolage », reconnaît Anne Esnon. Au niveau de l’accompagnement et des formations, les moyens ne sont pas à la hauteur des enjeux pour les professeurs documentalistes.

L’initiative a la particularité d’allier trois compétences pour rendre l’ÉMI optimale : le journalisme, la technique et la pédagogie. Un équilibre difficile à obtenir. En Centre–Val de Loire, plusieurs personnes réfléchissent à la création d’un annuaire en ligne, qui recenserait les acteurs certifiés.

L’objectif est d’assurer la formation des intervenants et d’améliorer la qualité de l’éducation aux médias. Une idée insufflée par Élodie Cerqueira, nouvelle présidente du Club de la Presse Centre – Val de Loire. Depuis son élection en novembre 2022, elle place l’ÉMI au cœur de ses préoccupations. Même son de cloche chez Karen Prévost-Sorbe : « À terme, il y aura des journalistes et des intervenants certifiés en ÉMI qui se différencieront des autres. »

Sarah COSTES, Jane COVILLE, Arnaud FISCHER et Kelvin JINLACK

(*) Le prénom a été modifié.

Défi éminent

Mardi 28 mars débutent les 16e Assises internationales du journalisme à Tours. A cette occasion, les étudiants en première année du master de l’EPJT réalisent La Feuille, dont les numéros seront distribués lors des Assises mais que vous pouvez également trouver ci-dessous.

Bonne lecture

Déclics politiques

Lundi soir débutent les 15e Assises international du journalisme à Tours. A cette occasion, les étudiants en première année du master de l’EPJT ont réalisé ce numéro de La Feuille qui sera distribué lors des Assises mais que vous pouvez également trouver ci-dessous.

Bonne lecture

La Feuille, le journal des Assises de l’EPJT

Les étudiants en journalisme de l’EPJT ont travaillé sur la réalisation du journal La Feuille au printemps 2021. Découvrez ce numéro exceptionnel consacré au thème « Chaud devant » de cette édition des Assises du journalisme.

“Chaud Devant”, le thème des Assises du Journalisme 2020, a été repris pour créer le journal La Feuille. L’organisation des Assises n’a pas participé à la réalisation de ce magazine, entièrement conçu par les 35 étudiants en master de l’École publique de journalisme de Tours (EPJT). L’idée était de proposer un journal qui fasse écho aux questions et débats mis en avant lors de cette nouvelle édition.

Du brainsto à l’impression, une réalisation aux petits oignons

Eco-dépression, fausses informations ou encore météorologie, le choix des sujets traités dans La Feuille a fait l’objet de multiples discussions. Le journaliste indépendant, Michel Dalloni, a été le rédacteur en chef de ce journal.

Après un brainstorming collectif et plusieurs conférences de rédaction, le chemin de fer s’est dessiné au fil des articles retenus.

Un total de 21 étudiants s’est chargé de la rédaction des papiers, 9 en tant que secrétaire de rédaction et 5 en charge de l’iconographie. Un duo de deux étudiantes s’est occupé de relire les articles avant l’envoi aux secrétaires de rédaction et de faire la passerelle entre les étudiants et Michel Dalloni. 

Malgré le contexte sanitaire, des équipes se sont rendues sur le terrain. L’une a sillonné les terres bretonnes sur les traces de l’Amoco-Cadiz tandis que d’autres ont franchi les portes des rédactions à la rencontre de journalistes. 

Responsabilité climatique

La principale vocation de La Feuille était d’entraîner les étudiants à la réalisation d’un journal. Distribué dans l’espace Mame lors des journées des Assises du Journalisme, nous espérons qu’il sera le plus instructif possible sur le métier de journaliste et leurs responsabilités face à la crise climatique. 

Pour le retrouver : https://assises-journalisme.epjt.fr/le-journal-des-assises-2021

[ENQUÊTE] Le bonheur est dans le papier…

De plus en plus de journalistes prolongent leurs investigations dans des livres. Une manière, parfois, de dépasser la frustration du format court.

« On écrit sur des sujets qui nous passionnent », assure Matthieu Aron, auteur du Piège américain et journaliste à L’Obs. Écrire un ouvrage offre une plus grande liberté dans le choix des sujets, moins présente au sein d’une rédaction dépendante de l’actualité. Romain Capdepon, avec son ouvrage Les Minots (éd. JC Lattès), a décidé de parler des jeunes guetteurs qui participent aux trafics de drogues : « Dans mon travail de tous les jours, à La Provence, c’est l’angle qui m’intéresse le plus. Malheureusement, je le traite très peu dans mes articles, souvent par manque de temps. Je reste plutôt sur le trafic en général. » 

Travail au long cours

Le journaliste possède bien souvent un antécédent avec le sujet, parfois la frustration de ne pas être allé au bout des choses par manque de temps. « J’interviewais des interprètes afghans et mes articles se terminaient en disant que le ministère des Affaires étrangères n’avait pas souhaité me répondre », raconte Quentin Müller, auteur de plusieurs articles sur les interprètes afghans abandonnés par la France, avant de cosigner un livre sur le sujet (Tarjuman. Une trahison française, éd. Bayard). Sa rencontre avec Brice Andlaeur aura été décisive, les deux ont pu croiser leurs sources et les informations qu’ils avaient amassées chacun de leur côté. Ces deux ans d’enquête leurs auront permis d’obtenir les réponses qu’ils cherchaient. 

Matthieu Aron a entendu le coach de rugby de son fils parler d’un haut dirigeant d’Alstom emprisonné aux Etats-Unis. Cette histoire a éveillé sa curiosité. « J’ai enquêté pendant plus de quatre ans sur cette affaire. Je savais que ça allait être très long, raconte celui qui a écrit Le Piège américain. Alors que je faisais aussi des sujets pour France Inter ou L’Obs. »

Les pages d’un livre offrent plus d’espace qu’un article de presse pour approfondir un sujet. L’exercice demande néanmoins beaucoup de temps et se fait parfois en parallèle d’un travail en rédaction. C’est ce qu’a vécu Isabelle Roberts, co-autrice avec Raphaël Garrigos de La Bonne Soupe (éd. Les Arènes) sur le 13-heures de Jean-Pierre Pernault, en même temps qu’elle travaillait à Libération. « Il fallait regarder tous les JT, chaque soir pendant trois ans, nous avons vraiment souffert [rires]. On devait aussi trouver des moments pour écrire, le week-end ou après le boulot. » Les jours de repos et de RTT, deviennent alors des jours consacrés au livre.

 

 

Et l’investissement financier peut aussi être important. « On a pris beaucoup de plaisir mais pour l’instant, ça a été un gouffre financier », confie Brice Andlauer, coauteur de Tarjuman. Une trahison française, publié le 6 février dernier. Les journalistes-auteurs ne sont pas tous logés à la même enseigne par les éditeurs : certains touchent une avance, plus ou moins élevée, généralement en fonction de leur notoriété.

Mais les bénéfices tirés d’une telle expérience peuvent être nombreux : elle permet par exemple de développer ses contacts et d’affûter son regard sur un sujet au point d’en devenir expert. « Avec mon enquête, j’ai pu mieux comprendre les guetteurs que je serai peut-être amené à recroiser dans mon travail », explique Romain Capdepon, également chef de la rubrique police-justice de La Provence.

La rédaction d’un livre et le travail au sein d’un média peuvent très bien s’allier, comme le fait Les Jours. Le site raconte des faits d’actualité, leurs « obsessions », qu’ils divisent en épisodes. Certaines sont parfois publiées sur papier. « On trouvait cohérent que l’enquête sur Bolloré se retrouve chez un libraire », confirme Isabelle Roberts, coautrice de L’Empire : Comment Vincent Bolloré a mangé Canal+. Ici, l’éditeur est arrivé après la rédaction mais dans d’autres cas de figure, il peut aussi être présent pendant la rédaction du livre. Il lui arrive alors de donner des indications quant à l’écriture.

un lectorat différent

Dans le cas de Romain Capdepon : « Les éditions JC Lattès ne voulaient pas d’un texte trop journalistique, plutôt d’un texte qui ressemblait à un roman inspiré de faits réels, précise-t-il. Je travaille depuis treize ans dans la presse quotidienne régionale donc j’ai dû adapter mon écriture. » Brice Andlauer, lui, nous confie qu’il n’a eu que peu de modifications de fond à faire sur son manuscrit. « L’éditeur nous a laissé plus de marge de manœuvre qu’un rédacteur en chef. »

Les livres, aussi, s’adressent à un lectorat différent des médias. « Aux Jours, on est lu surtout par des jeunes. Avec les livres, on touche un public plus large et plus âgé, attaché au papier en tant que support », affirme Isabelle Roberts.

Les livres du média dont elle est cofondatrice se vendent très bien. Environ 80 000 exemplaires pour les quatre ouvrages publiés avec les éditions du Seuil, dont Les Revenants de David Thompson ou Le 36. Histoires de poulets, d’indics et de tueurs en série, de Patricia Tourancheau. Romain Capdepon est formel, l’écriture de son enquête a servi à sa rédaction. « Dès qu’on parle du livre, on dit qu’il a été écrit par un journaliste de La Provence. » Malgré la fatigue accumulée lors de ses d’investigations, le travail d’une année a porté ses fruits. « J’espère que mon livre permettra à certains d’avoir un regard plus humain quand un jeune se fait tuer dans les quartiers Nord », conclue-t-il. Car c’est le but d’un livre d’investigation, aller au fond des choses et, pourquoi pas, faire évoluer les mentalités.

Victor FIEVRE

[ENQUÊTE] : Aux gros maux les remèdes

Violence, méfiance, méconnaissance… La relation entre les médias et les Français est parfois conflictuelle. Des solutions existent pourtant.

Des journalistes pourchassés et insultés, leurs agents de sécurité roués de coups… Les violences envers les journalistes se sont intensifiées ces derniers mois. Selon un baromètre commandé par La Croix, datant de janvier 2019, 19 % des Français considèrent que ces insultes et agressions sont compréhensibles et justifiées. Les causes de cette haine sont nombreuses. Il est notamment reproché aux professionnels de l’information un certain manque de neutralité, un manque de proximité avec le public et un décalage avec la réalité. Pour lutter contre cette défiance, la profession cherche des solutions. Voici trois d’entre elles.

Renouer le contact avec le public

Presque toutes les rédactions possèdent désormais leur propre service de vérification de l’information appelé « fact-checking ». Si ce système existe depuis longtemps, la manière de procéder a évolué. Libération est, par exemple, passé de la simple vérification d’informations à la réponse aux questions directement posées par les internautes. « Cela crée un lien direct avec le lecteur et permet également au journaliste de sortir de sa bulle », précise Pauline Moullot, journaliste de Checknews. Par souci de transparence, la rédaction est allée jusqu’à révéler le scandale de la Ligue du LOL, qui concernait deux de ses rédacteurs. Dans les écoles de journalisme, des cours sont dispensés sur le sujet. Pour Laurent Bigot, journaliste, maître de conférence et responsable de la presse écrite à l’École publique de journalisme de Tours (EPJT), « le but du fact-checking est d’aider les étudiants à acquérir des réflexes de vérification avec des standards plus pointus que ceux qui sont généralement mis en œuvre dans les rédactions ». Le Parisien a lui aussi créé Le labo des propositions citoyennes, une passerelle qui répond aux questions des lecteurs. Créée dans le cadre du Grand Débat, elle propose des informations vérifiées, développées et contextualisées.

Créer de nouveaux formats

Pour lutter contre le manque de diversité des médias traditionnels, certains journalistes innovent avec des nouveaux modèles de diffusion. Brut, créé en 2016, utilise les réseaux sociaux pour partager ses reportages vidéo. La formule fonctionne : en 2018, plus de 400 millions de vues ont été dénombrées sur Facebook. Lors de la crise des Gilets jaunes, Rémy Buisine, journaliste à Brut, s’est démarqué en réalisant de nombreux Facebook live des manifestations. « L’avantage des directs sur les réseaux sociaux, ce sont les commentaires des internautes. C’est une valeur ajoutée car on est connecté directement avec notre audience », détaille-t-il. Mais le direct n’enlève rien à la véracité du contenu selon lui : « Ce n’est pas parce que je suis en direct que je ne peux pas avoir de recul sur les événements. Je suis en contact permanent avec ma rédaction et les autorités compétentes. »
D’autres médias sociaux sont également de plus en plus présents et importants, comme le témoigne l’essor de la chaîne YouTube Hugo Décrypte, lancée en 2015 par Hugo Travers, alors étudiant à Sciences Po. L’objectif de son format est d’expliquer l’actualité à des jeunes, âgés de 15 à 25 ans. « L’une des causes de la défiance, c’est que beaucoup de jeunes ne suivent pas les informations. Avec ma chaîne, j’essaie de leur apporter un certain contenu d’information », explique le jeune homme de 21 ans.

Sensibiliser les jeunes

Former pour comprendre de quelle manière les médias fonctionnent est également un enjeu pour lutter contre cette haine. Créé il y a quarante ans, le Centre de liaisons pour l’éducation aux médias et à l’information (Clémi), promeut l’éducation aux médias sous différentes formes. « Zéro Cliché », par exemple, est un concours ouvert aux écoliers, collégiens et lycéens, qui prône la déconstruction des stéréotypes sexistes à travers la production de contenus journalistiques. Serge Barbet, directeur du Clémi, placé sous la tutelle du ministère de l’éducation, estime la mission nécessaire. « Quand on apprend à faire la différence entre une bonne information et une manipulation, on évite déjà un certain nombre de pièges. C’est ce qui permet de devenir un citoyen éclairé. » Des initiatives existent aussi localement. En Indre-et-Loire, l’association Jeunes reporters (8-13 ans et 13-18 ans) a été créé en juin 2017, suite à un projet scolaire datant de 2007. Le but est de « faire découvrir le journalisme, apprendre à écrire pour les autres, mais aussi aller jusqu’au bout de leur démarche », explique Gaëtan Després, qui encadre les jeunes. Les médias prennent également des initiatives pour l’éducation. Estelle Cognacq, directrice adjointe de la rédaction à France Info, insiste sur cette thématique, selon elle « incontournable ». « On organise de nombreuses rencontres entre les journalistes et les classes. Il y a une nécessité pédagogique de la part des médias d’aller vers les jeunes et de démystifier notre métier. »

Une haine qui a traversé les siècles

Mélina RIVIERE et Suzanne RUBLON

[ENQUÊTE] : Journalistes, au tableau !

Le conseil de la presse : un outil de régulation magique à brandir à loisir pour faire respecter les règles de démocratie. (Photo : Suzanne Rublon)

 

La création d’un conseil de presse fait de nouveau débat chez les journalistes et les éditeurs. Certains plébiscitent un outil de régulation. D’autres craignent la censure. 

Entre les médias et leur public, le climat est délétère. Les journalistes sont régulièrement pris pour cible dans l’espace public. Une fracture symbolisée par le mouvement des Gilets jaunes. Alors comment rétablir la confiance entre la profession et la population ? Une proposition revient souvent dans les débats : l’autorégulation des médias, avec l’instauration d’un conseil de presse déontologique. Jean-Luc Mélenchon avait porté cette idée dans son programme lors de l’élection présidentielle de 2017, avant, quelques mois plus tard, de lancer une pétition en ligne qui avait recueilli plus de 190 000 signatures. En 2014, Aurélie Filippetti, alors ministre de la Culture, avait lancé une mission sur le sujet qui avait conclu à l’absence de consensus entre syndicats de journalistes, ouvertement favorables, et éditeurs.

« Sujet sensible »

En octobre 2018, le ministère de la Culture s’est réemparé du dossier en confiant une mission sur le sujet à Emmanuel Hoog. Initialement prévue en janvier, la publication du rapport, qui n’engage pas le processus de création d’un conseil de presse, devrait être faite d’ici quelques jours.

Franck Riester, le ministre de la Culture, se dit « prudent » quant à cette démarche, parlant même de « sujet sensible » dans les colonnes du JDD du 10 mars. « Le rapport et ses conclusions pourront être une base de travail pour les journalistes, mais sa vocation première sera de faire de la pédagogie : expliquer ce qu’est un conseil de presse. C’est aux professionnels de s’entendre sur le périmètre d’action », précise Emmanuel Hoog.

La déontologie occupe d’ores et déjà une place importante au sein du paysage médiatique du pays. La presse française se réfère à différents textes déontologiques, comme la Charte de Munich, quand les rédactions n’ont pas leur propre code, à l’image de Ouest-France ou France Télévisions. Radios et télés, quant à elles, relèvent du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) qui peut, dans les cas les plus extrêmes, émettre des sanctions.

Mais la France demeure une exception sur le Vieux continent. Une vingtaine de pays européens se sont déjà dotés d’un conseil de presse, parmi lesquels figurent la Belgique, la Suède, le Danemark ou la Norvège, membres du top 10 du classement de la liberté de la presse de Reporters sans frontières.

Soupçon de corporatisme

« La présence d’un conseil de déontologie de la presse n’entraîne pas automatiquement une montée au classement, mais cela peut expliquer en partie la bonne place qu’y occupent certains pays comme le Danemark », analyse Paul Coppin, le responsable des activités juridiques de l’organisation. Selon les pays, les priorités de ces instances diffèrent. Régulièrement mis en avant, le traitement des plaintes du public n’est pas forcément la tâche principale de ces conseils conçus pour être des médiateurs forts entre le public et les journalistes.

Leur composition varie également selon les pays. La plupart ont une représentation tripartite, avec des journalistes, des éditeurs et des représentants de la société civile, afin d’éviter les soupçons de corporatisme. Une particularité que le futur conseil de presse français pourrait présenter. « Ceux qui se sont montrés favorables à un conseil de presse ont tous dit qu’il fallait une représentation de la société civile au sein de cette instance », confirme Emmanuel Hoog. Le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil) se dit ouvert au principe d’un conseil de presse. Tout comme le Syndicat national des journalistes (SNJ) qui revendique la « création d’une instance nationale de déontologie » et demande l’inscription de la Charte de Munich dans la convention collective des journalistes. Jean-Marie Charon, sociologue au Centre national de la recherche scientifique et spécialiste des médias, estime que cette dernière requête suffit. « Reconnaître un texte qui soit opposable par les journalistes serait beaucoup plus intéressant que d’avoir un conseil au-dessus de tout », juge-t-il, considérant comme « inutile » la création d’un conseil de presse. « On peut envisager la médiation d’une autre manière, comme par exemple avoir des structures au sein des rédactions », argue encore Jean-Marie Charon. Mais la création de ce conseil ne solutionnerait pas tout. Plusieurs critiques reviennent souvent sur la mission d’Emmanuel Hoog.

La principale : que l’État soit à l’initiative du projet. « Même s’il n’aura aucun pouvoir dans le conseil une fois celui-ci créé, cette démarche n’envoie pas un bon signal », estime par exemple Jean-Christophe Boulanger, président du Spiil. Emmanuel Hoog tempère : « Ce n’est pas parce que l’État me missione qu’il jouera un rôle dans le futur conseil de presse. Sa place sera nulle. »

La solution aux problèmes déontologiques pourrait d’abord passer par les rédactions et par des journalistes qui se remettent quotidiennement en question. En janvier 2018, le quotidien La Voix du Nord a officiellement mis fin à la relecture de ses papiers par les interviewés. Une pratique imposée par certains hommes politiques, mais aussi, parfois, par ceux qui militent pour la création d’un conseil déontologique…
Les spécificités des conseils de presse à l'étranger

Ariel GUEZ et Camille MONTAGU

[ENQUÊTE] Tous les mêmes ?

Tous les mêmes ?

Les écoles de journalisme reconnues fabriqueraient-elles des clones qui inondent ensuite les médias ? C’est oublier que seuls 19 % des titulaires de la carte de presse sont passés par une école de ce type… (Photo : Alice Blain)

De gauche, europhiles, parisiens…Les journalistes sont-ils tous pareils ? Dans un contexte de défiance, la profession cherche des solutions. Collabos », « macronistes », « journalopes »… Les mots pour dénigrer les journalistes ne manquent pas. Pour ceux qui les critiquent, les journalistes sont tous les mêmes, au point de tenir le même discours. Comment expliquer une telle perception ?

 

Pour certains, la formation pourrait être l’une des causes de l’uniformisation des troupes. Mais pour Cédric Rouquette, directeur des études du Centre de formation des journalistes (CFJ), les écoles de journalisme ne mènent pas forcément à l’homogénéisation des profils. « Nous ne donnons aucun prêt-à-penser, assure-t-il. Nous leur transmettons une méthode de travail et de la rigueur. » Certains avancent aussi que les écoles reconnues par la profession ne dispensent pas les mêmes enseignements. « On ne forme pas de la même façon dans les DUT de Tours, de Cannes ou de Lannion que dans les masters des autres grandes écoles », considère Claude Cordier, président de la CCIJP (Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels).

Diversité à l’école

Pour certains, c’est la sélection des étudiants qui ne favoriserait pas la diversité. C’est le point de vue de Denis Ruellan, sociologue des médias et directeur adjoint des études du Celsa : « Les écoles de journalisme prennent les meilleurs, qui sont en fait ceux qui possèdent les valeurs des classes sociales dominantes, analyse-t-il. C’est ce qui conduit ensuite à avoir une homogénéité blanche et originaire de la classe moyenne supérieure dans les rédactions. » Pourtant, certaines écoles de journalisme ont mis en place des mesures destinées à diversifier les promotions. L’École supérieure de journalisme de Lille (ESJ) a par exemple créé sa propre prépa « Égalité des chances ». Des jeunes « avec un bon dossier scolaire et universitaire, mais issus de familles à revenus modestes », selon le site de l’ESJ, se voient chaque année offrir l’opportunité d’intégrer l’une des meilleures écoles de journalisme de France. Il existe également des dispositifs externes aux écoles. Depuis 2007, l’association La Chance aide des étudiants boursiers à préparer les concours des écoles de journalisme gratuitement. Cette démarche porte ses fruits : 80 % de ses anciens étudiants travaillent dans le journalisme. Mais un problème persiste : certaines classes sociales ne se dirigent pas naturellement vers le journalisme. « Beaucoup de jeunes sont faits pour ce métier, mais n’osent pas tenter les concours, déplore Cédric Rouquette du CFJ. La majorité de ceux qui se présentent proviennent de la classe moyenne supérieure. » Denis Ruellan trouve une explication logique à ce phénomène : « Dans ces milieux, les gens ont tendance à être très portés sur les médias. Donc forcément, ça aide à aller vers le journalisme. »

Le fossé

Ces inégalités se retrouvent dans le profil des professionnels, à la télévision en particulier. Selon le baromètre annuel de la diversité dans les médias publié par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), en janvier 2018, les catégories socio-professionnelles supérieures occupent 74 % de la représentation à la télévision alors qu’elles ne représentent que 27 % des Français, d’après l’Insee. Pour autant, il serait faux de penser que les journalistes sont formés dans le même moule. Les écoles de journalisme ne représentent pas la seule voie d’entrée dans la profession. En réalité, cette origine est même très minoritaire. « Seulement 19 % des journalistes professionnels sont issus de ces écoles reconnues », atteste Claude Cordier, de la Commission de la carte de presse. N’en déplaise à ses plus ardents détracteurs, la profession ne se résume pas aux quelques figures médiatiques qui occupent les plateaux de télévision ou qui signent des tribunes à succès. Du pigiste pour M6 à la localière de Ouest-France à Bayeux, en passant par le secrétaire de rédaction de L’Humanité : les statuts sont divers. De multiples fractures existent, comme celles concernant la rémunération et les types de contrat (lire ci-dessous). Un journaliste en contrat indéterminé exerçant pour un quotidien national gagne, en moyenne, deux fois plus qu’un journaliste en contrat déterminé. Alors pourquoi les journalistes continuent-ils de renvoyer une image éloignée de la réalité ? « C’est trop facile de chercher une explication de type purement sociologique. Quand les gens parlent de cet éloignement entre les journalistes et la société, ils prennent pour exemple Jean-Michel Aphatie. Pourtant, ce journaliste politique a un parcours complètement différent du reste de la profession », pointe Jean – Marie Charon. Après son brevet des collègues, Jean Michel Aphatie a arrêté l’école pour enchaîner les petits boulots. Il a repris ses études plus tard et passé à son bac à 24 ans, avant de s’orienter vers le journalisme.

Les médias, conscients du problème de représentativité, placent désormais la diversité au cœur de leurs priorités. Chacun tente de recruter des profils plus représentatifs de la société. France Télévisions accueille par exemple dans ses rédactions des stagiaires boursiers ou issus de zones urbaines sensibles. Radio France réserve un nombre de places défini pour les boursiers et favorise la formation en alternance. Ces efforts semblent porter leurs fruits, avance Jean Marie Charon. « Le journalisme est aujourd’hui une profession hétérogène en termes d’origines sociales. Cela permet une meilleure représentation de l’ensemble des Français », considère le sociologue des médias. Mais le chemin, de l’avis de tous, est encore long.

 

Le revenu mensuel médian des Français s’élevé à 1 710 euros, selon les chiffres de l’Insee publiés en septembre 2018. Un journaliste au CDI gagnerait 3 591 euros brut, 2 000 euros pour un pigiste et 1 954 euros pour

 

Lorène BIENVENU, Léa SASSINE et Théo TOUCHAIS