[rencontre] La ruralité, zone blanche de l’éducation aux médias

Isabelle Bordes, hier, lors de la conférence « Résidences de journalistes, partage d’expériences ». Photo : Mathilde Lafargue/EPJT

Isolées géographiquement et peu représentées dans l’actualité, les zones rurales peinent d’autant plus à avoir accès à l’éducation aux médias.

« La ruralité, c’est un quartier prioritaire. » Elodie Cerqueira, journaliste et présidente du Club de la presse Centre-Val de Loire, n’y va pas par quatre chemins pour parler de l’éducation aux médias dans les campagnes. « La ruralité, aujourd’hui, est une vraie cible de l’EMI. Les lycées au milieu des champs, où il n’y a rien autour, c’est joli mais ça veut dire que pour la moindre chose il faut affréter un bus. Ce sont des coûts en plus », ajoute-t-elle.

« Des zones très enclavées »

Cela ne veut pas dire qu’il est impossible de faire de l’éducation aux médias en zone rurale. Mais souvent, ces initiatives tiennent à la détermination personnelle de quelques individus. Karen Prévost-Sorbe, référente EMI pour l’académie Orléans-Tours, confirme : « Les médias sont principalement localisés dans des petites villes ou en métropole. Mais, il y a aussi des collèges et des écoles dans des zones très enclavées, où il est compliqué de faire venir des journalistes. »

La coordinatrice Clemi prend l’exemple de ce petit collège de 95 élèves, « au fin fond de l’Indre », à Ecueillé. « On a une classe média, avec une vraie web radio. Un ancien directeur de France Bleu est venu les encadrer et leur offrir cette chance. » La classe s’est d’ailleurs déplacée aux Assises du journalisme à Tours, « à plus de deux heures de bus. »

Isabelle Bordes fait le même constat. La journaliste, qui a travaillé pendant trente ans à Ouest-France a décidé il y a un an et demi de quitter son poste et de se lancer dans l’éducation aux médias. Depuis septembre 2022, elle effectue une résidence, une semaine par mois, dans un village de 2000 habitants dans le Calvados.

Un café des médias

Quand elle arrive dans le village, elle ne trouve aucun interlocuteur : « Il y a très peu de structures et il est très difficile d’aller vers les gens », raconte-t-elle. En plus de cela, « la difficulté, c‘est que l’EMI, c’est une notion qui est étrangère au grand public et ce sont des enjeux qui ne sont pas dans l’ère du temps dans ces territoires-là », poursuit la journaliste, pas habituée à ce genre de public.

Elle a finalement joué sur l’effet village. Chaque mercredi matin, jour de marché, elle organise « le café des médias », et s’installe à une table avec des journaux « pour se mettre à disposition des habitants, faire du lien et montrer que les journalistes sont des gens comme les autres ». Ce qu’essaient de faire aussi le collectif la Friche ou encore l’annuaire Vu des quartiers, qui visent eux à recréer un lien de confiance entre médias et habitants des quartiers prioritaires. Que ce soit dans les zones rurales ou les banlieues, le même problème d’accessibilité à l’EMI persiste.

 

 Fanny Uski-Billieux (EPJT)

Depuis 15 ans, La Chance donne la possibilité à tous de devenir journaliste

Chaque année, près de 80 étudiants bénéficient du dispositif égalité des chances grâce à la prépa gratuite La Chance. Un dispositif qui offre aux aspirants journalistes une possibilité d’intégrer une des 14 écoles reconnues par la profession.

« J’ai essayé de préparer seule les concours. Je me suis rendue compte qu’il y avait un fossé avec les autres étudiants, que je n’avais pas le bagage culturel nécessaire. » Mais La Chance lui a souri, et Lune Armand est parvenue à intégrer l’antenne de Strasbourg de cette association créée en 2007 pour plus de diversité dans les médias. Et comme elle, qui est entrée à l’École publique de journalisme de Tours, 45 étudiants sur les 80 de la promotion 2022, ont été admis à la rentrée suivante une école des quatorze écoles de journalisme reconnues.

« Représenter toutes les diversités dans tous les médias »

L’association La Chance est née d’une volonté d’offrir la possibilité à tous les étudiants, notamment boursiers, d’aspirer à un avenir de journaliste. Président depuis 2015, Marc Epstein perpétue cette philosophie avec un objectif : « représenter toutes les diversités dans tous les médias ». Les diversités d’origine, de parcours, de territoire. Lui-même, ancien grand reporter des pages internationales de l’Express et du Monde, a pu le constater durant sa carrière : l’entre-soi est omniprésent dans le métier.

« Quand on a grandi dans une famille où il n’y a pas de journalistes, où on est éloigné du monde des médias […] ou que l’on est issu dune zone rurale éloignée des grandes villes, La Chance est là pour les aider dans ces fameux concours. », assure Marc Epstein, qui se consacre pleinement à l’association depuis 3 ans.

« La prépa ma tout payé »

La prépa offre une formation de près de 250 heures ainsi qu’un accompagnement financier, à hauteur de 600 € en moyenne par étudiants. Sans cette aide, Lune n’aurait pas passé autant de concours. « La prépa m’a tout payé : déplacements, concours, aide au déménagement… », apprécie-t-elle. Des financements qui ne seraient d’ailleurs pas possible sans la quinzaine de partenariats noués par La Chance et parmi lesquels on recense Le Parisien, L’OBS, France TV ou encore La Croix.

Mais le recrutement, même s’il est fondé sur des critères sociaux, reste exigeant. Les candidats doivent passer un véritable concours : une première sélection sur dossier en ligne, puis un oral avec des épreuves écrites et d’actualité. Beaucoup le reconnaissent : cet examen permet de supprimer le sentiment d’illégitimité des étudiants. Et le résultat est incontestable : « Aujourd’hui, ce sont les médias qui nous contactent, […] peut-être par une prise de conscience qui s’ouvrent davantage vers des profils plus diversifiés. »

Sarah Costes. Montage : Maëva Dumas

Née à Paris, La Chance est aujourd’hui présente sur tout le territoire. De Bordeaux à Grenoble, en passant par Marseille, Strasbourg, Toulouse et Rennes. Elle compte 6 salariés et plus de 350 bénévoles dont la plupart sont d’anciens étudiants. Parmi eux, Yousra Gouja. Après un an de préparation au sein de La Chance en 2018-2019, elle est à présent pigiste dans la presse spécialisée. « La Chance nous aide et nous prépare à ce à quoi nous pourrons être confrontés après les écoles. Ils sont là pour nous challenger. » Une préparation intense qui lui a permis d’intégrer l’ESJ Pro Montpellier.

En parallèle du processus de tutorat, la prépa est un accompagnement sur le long terme. Elle fournit des aides pour trouver des stages, des alternances ; elle transmet des offres d’emploi et dispose d’un pôle insertion professionnelle. Lune le confirme : « La Chance, c’est une communauté. Tu n’es pas lâché, c’est un collectif tout au long de la vie de journaliste. »

Sarah Costes

[Article] Vente de livres : Les livres en dédicaces caracolent déjà en tête

Les locaux de la librairie « La Boite à Livres » sont situés 19 rue Nationale à Tours. Photo : Mathilde Lafargue/EPJT

Chaque année, en marge des Assises du journalisme, la librairie “la Boite à Livres” tient son stand où elle propose à la vente uniquement des ouvrages qui concernent les médias et le journalisme. Et comme tous les ans, ce sont les livres en dédicace et les grands auteurs qui mènent la danse.  

Même si elle confie ne pas avoir encore de chiffres, Margot, la gérante du stand de la Boîte à Livres, est magnanime : « Il ne faut pas se le cacher, ce qui se vend mieux, ce sont les livres des auteurs en dédicace. » Elle ajoute : « en deuxième position, je dirais que ce sont les grands auteurs un peu classiques qui ont du succès comme Bruno Patino, Marc Endeweld ou encore Florence Aubenas. »

Cependant, les ouvrages des intervenants ont aussi du succès. C’est le cas de Mieux s’informer d’Anne-Sophie Novel. Le livre dans lequel elle guide les lecteurs pour se repérer dans le monde des médias, pour mieux les comprendre et éviter l’indigestion « se vend comme des petits pains », de l’aveu de Margot. L’autrice est d’ailleurs intervenue mardi aux Assises dans le cadre de l’atelier “La jungle des médias avec Anne-Sophie Novel et un bout des médias”.  

Ce soir la venue de l’académicien Érik Orsenna pour sa carte blanche (dans l’Auditorium à 18h30) devrait doper les ventes. L’auteur, qui a sorti cette année Histoire d’un ogre, métaphore des conquêtes médiatiques de Vincent Bolloré, saura à coup sûr attirer les foules.

Zachary Manceau

 

 

Panthéon du journalisme : découvrez les dix premiers noms

Jérôme Bouvier dévoile les dix premières personnalités retenues pour le panthéon du journalisme. Photo : Mathilde Lafargue/EPJT

Jérôme Bouvier, organisateur des Assises du Journalisme à Tours, a présenté les dix premiers noms qui incarnent les valeurs de la profession, à travers son panthéon du journalisme.

Ce mercredi après-midi, Jérôme Bouvier, le président de l’association Journalisme et Citoyenneté, qui organise les Assises du Journalisme à Tours, et le président du comité du prix Albert Londres, Hervé Brusini, ont révélé les dix premiers noms les plus cités en vue d’intégrer un panthéon du journalisme. « Nous avons assez peu de bagage historique sur notre profession, dans un moment de grande discussion sur qui est journaliste », a-t-il argumenté pour justifier le lancement de ce projet. « Le drame du journaliste, c’est l’ignorance de son histoire », déclare Hervé Brusini, qui veut y remédier. Pour y parvenir, Jérôme Bouvier a lancé une grande consultation sur le site journaliste.com où chacun pouvait choisir dix noms parmi une liste en contenant une cinquantaine, jusqu’à l’automne.

Voici les dix premiers noms :  Albert Londres, Albert Camus, Françoise Giroud, Emile Zola, Hubert Beuve-Méry, Joseph Kessel, Cabu, Louise Weiss, Pierre Lazareff et Theophraste Renaudot.

Ces personnalités ont été retenues parmi une cinquantaine de journalistes disparus. Pour poursuivre leur héritage, le panthéon est amené à s’agrandir chaque année avec l’entrée de deux nouveaux noms. En 2023, les Assises européennes du journalisme de Bruxelles seront aussi l’occasion de créer un panorama des journalistes qui continuent d’inspirer la profession à plus grande échelle, au sein de chaque pays de l’Union européenne.

 

Mathilde Lafargue (EPJT)

Créer un Panthéon du journalisme, l’ambitieux projet de Jérôme Bouvier

Jérôme Bouvier aux Assises du journalisme de Tours de 2023. Photo : Mathilde Lafargue/EPJT

Le président des Assises du Journalisme a lancé une grande consultation sur les illustres journalistes qui mériteraient d’entrer dans un panthéon de la profession. Mercredi après-midi, il a révélé les dix noms les plus cités par les journalistes.

Donner « une photo de comment la profession se voit ». Tel est l’objectif de Jérôme Bouvier, qui a lancé en marge des Assises du Journalisme de Tours une grande consultation pour créer un panthéon des journalistes. ». L’idée est de savoir « d’où nous venons », explique le président de l’association Journalisme et citoyenneté. « Nous avons assez peu de bagage historique sur notre profession, dans un moment de grande discussion sur qui est journaliste », ajoute-t-il.

Albert Londres, premier choisi !

A l’instar du Panthéon où se retrouvent les héros et les héroïnes de la nation, ce panthéon du journalisme veut instaurer un débat démocratique autour des valeurs qui rassemblent la communauté de journalistes, environ 35 000 en France. L’objectif est de créer un véritable panthéon avec la BnF, avec la reconnaissance de deux nouveaux noms chaque année. Pour le lancement, cette année, Jérôme Bouvier a révélé les dix premiers noms – en tête desquels figure l’illustre Albert Londres – les plus cités par les quelque 500 journalistes qui ont pris part à la consultation disponible sur le site journaliste.com.

Le procédé est simple et pédagogique : chaque nom qui peut être retenu par le votant est associé à une biographie. Ceci permet de partir à la découverte de figures qui ont incarné le journalisme, de l’Ancien Régime à aujourd’hui. On y retrouve par exemple Marguerite Durand, dont le fondateur du panthéon ne connaissait pas l’existence. Elle est à l’origine du premier titre de presse féminine à la fin du XIXe siècle, La Fronde.

Des spécialistes de la presse et des historiens sollicités

Pour réunir les premiers noms, des journalistes, des spécialistes de la presse et des historiens ont été sollicités. L’entrée de certaines personnalités dans la liste a parfois été discutée, comme celle d’Émile Zola, déjà présent au Panthéon, ou encore de Jean Jaurès. Cela fait écho à « l’entre-deux de la presse française, dont l’évolution est intimement liée à la politique, au débat d’idées, à la littérature ou encore au genre du récit de voyage », rappelle Jérôme Bouvier. Pour lui, c’est Albert Camus qui est la source de son envie de devenir journaliste.

Lors de leur deuxième édition en 2023, les Assises européennes du journalisme de Bruxelles seront aussi l’occasion d’encourager tous les pays de l’Union européenne à faire de même, pour dessiner un panorama de l’héritage journalistique à plus grande échelle.

[INTERVIEW] Caroline Hayek : «Beaucoup de journalistes franco-libanais ont songé à partir»

Photo : Irène Prigent/EPJT

Caroline Hayek est une journaliste franco-libanaise installée au Liban. Après sa série de reportages sur les explosions qui ont touché Beyrouth, elle a été récompensée du prix Albert Londres 2021. Elle continue aujourd’hui d’enquêter sur des sujets de société au sein du quotidien francophone L’Orient-Le jour. Elle évoque les difficultés rencontrées dans ce pays marqué par la guerre civile et la crise économique.

Pourquoi avoir choisi de travailler au Liban ?

Caroline Hayek. Parce que c’est mon pays, je suis franco-libanaise. Je suis née au Liban et j’ai grandi au Liban. Quand je suis rentrée [au Liban] fin 2010 après mes études en France, je n’avais pas en vue le métier de journaliste. J’ai travaillé auprès d’architectes dans le design. A un moment donné, je me suis dit : « stop », il faut que je revienne auprès de ce que j’aime faire, c’est-à-dire écrire. Je me suis lancée en tant que pigiste pour des magazines notamment culturels. J’ai ensuite trouvé un poste à l’Orient-Le-Jour. On m’a fait confiance alors que j’avais vraiment très peu d’expérience. Cela fait sept ans maintenant que je travaille là-bas et j’en suis très heureuse.

Comment en êtes-vous venue à vous intéresser aux reportages de société ?

C. H. Au début, je couvrais essentiellement la guerre syrienne depuis Beyrouth. On n’y allait pas pour des raisons sécuritaires et notamment budgétaires. Quand je suis passée aux informations locales, je me suis intéressée à plusieurs problématiques. Juste après les explosions du port de Beyrouth, j’ai voulu donner la parole aux Beyrouthins mais également aux réfugiés syriens qui ont souffert de ces explosions. De fil en aiguille, j’ai couvert plusieurs thématiques de société, notamment la pédophilie au sein de l’église au Liban. Je suis aussi beaucoup les élections législatives qui vont se dérouler en mai normalement. C’est une période assez intéressante et enrichissante au Liban.

Quels obstacles rencontrez-vous dans l’exercice de votre métier quand vous vous confrontez à de tels sujets ?

C. H. Au sein de la rédaction, je ne suis pas entravée. On a vraiment le champ libre parce qu’on est un média indépendant. Nos actionnaires ont leurs business à l’étranger donc on ne dépend pas des partis politiques, ni de pays étrangers. Ils n’interfèrent jamais dans nos choix rédactionnels. En revanche, on a parfois des réactions assez terribles de la part de nos lecteurs. Je reprends le cas de la pédophilie au sein de l’église. Quand on s’attaque à un membre au sein d’une communauté religieuse, c’est toute la communauté qui monte au créneau et c’est assez compliqué à gérer. Quand je traite la question des réfugiés syriens, il y a beaucoup de racisme. C’est très dur de faire bouger les lignes et de combattre les stéréotypes au quotidien.

Avez-vous déjà subi des pressions ou des menaces ?

C. H. Jamais de menaces. Des pressions, oui. Des appels ici et là…Des personnes qui demandent : « Qu’est-ce que tu prépares ? » ou bien qui disent « Ça on préfère ne pas en parler ». J’ai quelques procès sur le dos notamment de business men syriens, proches du régime de Bachar Al Assad. Je ne suis pas trop inquiète. On va bientôt sortir une enquête sur les écoles financées par le Hezbollah. Pour cet article, on s’est heurtés à plusieurs obstacles, mais sans jamais recevoir de menaces, parce que tout le monde sait déjà la plupart des informations que l’on a rassemblées.

Comment avez-vous procédé lors de votre enquête sur les familles réfugiées syriennes victimes des explosions ?

C. H. En couvrant la guerre syrienne pendant six ans, j’ai monté un grand réseau en Syrie et au Liban. De fil en aiguille, j’ai interrogé une personne puis une autre. Je me suis laissée guider jusqu’à trouver des familles qui ont malheureusement été touchées. Les réseaux sociaux sont aussi des outils merveilleux parce que tout le monde partage ses expériences. C’est comme ça que j’ai pu trouver certaines familles endeuillées.

Les explosions du 4 août ont-elles marqué un changement dans la profession de journaliste ?

C. H. Je ne dirais pas après les explosions. C’est surtout à cause de la crise économique. Parce que vivre en tant que journaliste au Liban quand vous êtes payés des cacahuètes, ce n’est plus possible. J’ai de la chance parce qu’avec notre rédaction, on tient le coup. Nos actionnaires investissent beaucoup pour nous garder. Mais beaucoup de journalistes franco-libanais ou qui ont une autre nationalité ont été nombreux à songer à partir pour trouver pour trouver un emploi à l’étranger.

On sait que la guerre du Liban a marqué le pays. Pourtant, on ne l’apprend pas à l’école. Quelle est la place des journalistes dans la transmission de l’histoire de la guerre civile libanaise?

C. H. Bien sûr, il faut en parler ! Moi j’aime beaucoup l’évoquer avec les anciennes générations qui l’ont connue [la guerre] de près. Mais c’est encore un sujet très tabou. Chaque Libanais a sa version, c’était une guerre entre frères. J’ai constaté au moment de la révolution en octobre 2019 que les jeunes ont très peu de notions de cette guerre. Ils ne savent pas vraiment ce qu’il s’est passé parce qu’on ne l’apprend pas à l’école. Notre rôle à nous en tant que journaliste, c’est de couvrir l’actualité mais aussi de rappeler toutes les horreurs qui se sont passées pour que cela ne se reproduise plus.

L’État essaye-t-il d’effacer les traces de la guerre ?

C. H. Pas d’effacer les traces mais en tout cas, il occulte tout ce qu’il s’est passé.

 

 

 

Recueilli par Irène Prigent/EPJT et Nadia Vossen/IHECS

[INTERVIEW] Syrine Attia : « Etre authentique peut défaire ce sentiment de défiance contre les journalistes »

A gauche, Syrine Attia. Photo : Laure d’Almeida/EPJT

Tunisie, Maroc et depuis deux mois, l’Égypte. Ce n’est pas le programme d’un tour opérateur, mais l’implantation de Brut en Afrique du Nord. Le média français, créé en 2016, exporte sa maîtrise des réseaux sociaux de l’autre côté de la Méditerranée. Pour coordonner le tout, il y a la rédactrice en chef de Brut Tunisie. Rencontre avec Syrine Attia.

Parmi les grands thèmes de Brut, on retrouve le féminisme ou encore la discrimination envers les minorités. Comment parler de ces sujets dans des pays où ces droits sont plus précaires qu’en Europe ?

Syrine Attia. Je me rends compte qu’on peut rapidement être étonné par les réactions de l’audience, qu’on penserait beaucoup plus réfractaire à ces sujets-là, et qui en fait l’est beaucoup moins qu’on l’on pensait. Surtout sur des plateformes où on touche les plus jeunes.

Sur Instagram par exemple, les réactions sont tout aussi enthousiastes que celles qu’on peut retrouver en France. En fait, les gens ont envie qu’on leur parle de ça, ont envie de faire bouger les choses dans ce sens-là.

Quand on prend le cas de la Tunisie, l’année dernière il y a eu un mouvement social, en janvier, avec principalement des manifestations de jeunes qui se sont exprimés sur ces questions, qu’on retrouve chez Brut. Ces thématiques existent aussi dans les pays qu’on couvre, donc c’est important d’accompagner ces acteurs qui peut-être ne trouvent pas de plateformes qui pourraient les accompagner de la même manière que Brut.

L’image de la presse chez les jeunes a changé depuis que Brut lancé a sa branche tunisienne ?

S.A. Brut est arrivé il y a un an en Tunisie. Entre temps, il y a eu des acteurs locaux qui, comme nous, ont aussi proposé des vidéos sur les réseaux sociaux. On n’a pas la prétention de dire qu’on a été les premiers avec ce format-là en Tunisie. Ce qui fait du bien avec Brut, c’est cette incarnation. C’est-à-dire qu’on reste encore les seuls à vraiment faire du reportage où on va suivre une personne du début à la fin, ne pas mettre en scène, être dans des situations de vie. Et on voit dans les réactions que les gens apprécient cette manière-là de rendre compte de leurs vies. Je pense qu’on se démarque sur ça.

Depuis la révolution, en Tunisie, on s’intéresse aussi beaucoup plus à notre patrimoine culturel et historique, et ça on l’a accompagné. Il y a des événements historiques que je n’ai appris que tardivement et je me suis dit qu’il fallait qu’on en parle. Par exemple, on ne nous dit pas que la Tunisie a été occupée par l’Allemagne nazie pendant 6 mois, qu’il y a eu une rafle des juifs à Tunis… On a fait une vidéo dessus et beaucoup de gens l’ont découvert. C’est important de redécouvrir notre histoire en faisant des vidéos qui peuvent paraître moins impressionnantes qu’un article académique sur le sujet. 

Est-ce qu’on peut se servir des réseaux sociaux et de leurs codes pour sensibiliser un public plus jeune aux violences dont les journalistes sont de plus en plus victimes ?

S.A. Quand on essaye, à travers ces manières de filmer, d’être le plus authentique possible, je pense que ça peut défaire ce sentiment de défiance. On peut le voir à travers le live. On n’en fait pas encore sur nos plateformes africaines mais en France, ça a vraiment permis de se dire : « Ah, c’est sûr que c’est vraiment ce qui est en train de se passer, parce que le journaliste est dans la manifestation pendant des heures. »

J’aimerais beaucoup qu’on le fasse sur nos plateformes africaines. Ca permettrait qu’on arrête de prendre les journalistes pour cible alors qu’ils ne sont là que pour couvrir une information.

Recueilli par Florent Schauss/IHECS

[THE SUMMARY] Spotlight on Yemen : State of journalism and medias

Find out more about the event « Spotlight on Yemen: state of journalism and media​ ».

Picture: Shirine Ghaemmaghami /IHECS

Panelists: Basheer Al Dorhai, Project Coordinator for Internews, Ahlam Al Mekhlafi, Freelance Journalist, Sahar Mohammed, Freelance Journalist. Moderated by Saoussen Ben Cheikh, project director for Internews (Tunisia).

Issues

Since 2014, Yemen has been at war resulting in one of the worst humanitarian crises the world has ever faced. The war has impacted the entire civilian population, namely including journalists. They confront many difficulties and numerous dangers as they try to continue their work of informing the local population. And they can only just about get by financially through the completion of their work.

What they said

Basheer Al Dorhai: “I have a colleague who graduated from university and spent six years in prison. He was not even a journalist yet. It turned his life upside down and he left Yemen. Journalists are killed and murdered regularly. A Yemeni journalist was recently killed while pregnant in a bomb attack. It’s incredibly tragic.”

“There was an attempt to create a new law that was supposed to help the media gain greater autonomy in 2013 but unfortunately it failed. As a result, there is no real independent media in Yemen. Media output is mostly politicized and government-controlled.”

Ahlam Al Mekhlafi : “Female journalists face even greater challenges. [We] don’t have the same rights as men as a simple citizen, but journalism is also a male-dominated profession. As women, we don’t have the right to travel, to express ourselves, to dream. (…) If you publish something that people don’t like, you can be attacked in your own home. (…) This is a very sensitive profession in our society.”

“Internet connections are very unreliable. When we are looking for information, it is difficult to communicate with other journalists. Sometimes the internet cuts out for several days.”

Sahar Mohammed: “Few Yemeni journalists speak English and that’s a problem. If a Yemeni wants to meet a person from another country, there is a [language] barrier. This means that the war in Yemen has little international media coverage.”

“I believe that training programs are the primary need for journalists. […] We need quality programs, training reporters who know our communities so that they can reflect locals’ views effectively.”

In brief

Currently, there is no real independence of the media in Yemen. Output is usually government-controlled and highly politicized. The situation is further complicated by the fact that no real law exists to protect the press. Yemeni journalists take huge risks when they decide to express their voices in news-making because censorship and government control are common place. Regarding education, there are only a few regions that offers training programs in journalism and, in general, they don’t offer appropriate education. That’s why Yemen is in need of funding and support to provide better education in the field of journalism.

Shirine Ghaemmaghami (IHECS)

[LE RÉSUMÉ] « Focus Yémen » : l’état du journalisme et des médias

Retrouvez l’essentiel de l’événement « Focus Yémen – l’état du journalisme et des médias »

Photo : Quentin Thévignot / IHECS

Animé par Saoussen BEN CHEIKH, directrice de projet pour Internews (Tunisie), avec Basheer AL DORHAI, coordinateur de projet pour Internews ; Ahmal AL MEKHLAFI, journaliste indépendante ; Sahar MOHAMMED, journaliste indépendante

 

Les enjeux

Cela fait plus de dix ans que la guerre fait rage au Yémen, entre une coalition menée par l’Arabie saoudite soutenant le gouvernement en place et les rebelles houthis. Selon les Nations unies, près de 400 000 personnes ont perdu la vie dans le pays depuis 2014, que ce soit lors des combats ou en raison de la famine et du manque d’eau. 24 millions de Yéménites vivent sous le seuil de pauvreté et dépendent entièrement de l’aide humanitaire.

Dans ce contexte, les journalistes (et particulièrement les femmes) font face à de nombreuses menaces en exerçant leur métier.

Ce qu’ils ont dit

Basheer AL DORHAI : « L’information au Yémen est la propriété des politiques. Nous luttons pour une information indépendante. »

Ahmal AL MEKHLAFI : « « Les souffrances des femmes journalistes sont deux fois plus importantes que celles des hommes. (…) Nous n’avons pas le droit de voyager, de nous exprimer, ni de rêver. »

Sahar MOHAMMED : « Il y a très peu de journalistes qui travaillent à plein temps. Beaucoup abandonnent leur profession car il n’y a pas de pérennité. »

À retenir

Les journalistes yéménites sont constamment sous pression, souvent arrêtés et parfois même menacés de peine de mort. Ils ne peuvent plus vivre entièrement de leur profession, car il est impossible d’avoir un revenu décent en tant que journaliste. Celles et ceux qui n’ont pas abandonné leur métier travaillent à temps partiel et vivent dans une situation très précaire financièrement. Les femmes journalistes font partie des premières victimes du conflit. Elles ont moins de revenus, moins de droits et moins de protection que les hommes. L’accès à l’information dans le pays est extrêmement limité, en raison du faible nombre de journalistes encore en activité et de l’accès à Internet quasiment inexistant dans le pays.

Quentin Thévignot-Dunyach (IHECS)

Les prix TANDEM MEDIA AWARDS pour récompenser des médias au service de la culture

Les finalistes du concours TANDEM MEDIA AWARDS. Photo : Samia El ACHRAKI/Isic

Depuis l’inauguration de la deuxième édition des Assises de Tunis jeudi 17 mars, la liberté d’expression a été au coeur des débats, des ateliers, des panels, et même du concours Tandem Media Awards.

Nous sommes à l’Institut Français de Tunis, pas loin de la cité culturelle qui abrite les assises de journalisme. Il est 20 h 30. C’est l’heure de la remise des prix de la toute première édition du TANDEM MEDIA AWARDS, organisé par « EU Neighbours South ». Un concours de contenu médiatique dédié aux journalistes, professionnels et étudiants, mais aussi aux artistes venus du Maroc, d’Algérie, de Tunisie, de Libye, d’Egypte, de Palestine, de Jordanie, de Syrie et du Liban.

Les binômes attendent le verdict impatiemment et implorent la clémence des pendules. Malgré le brouhaha, leurs battements de cœur raisonnent dans toute la salle. Mais ils sont fiers de leurs travaux. Et le public, lui, n’est pas déçu, puisque la diversité des productions est au rendez-vous. Les participants étaient censés produire, à leur guise, un article web ou print, un reportage, une bande dessinée, une émission radio ou TV. Le support importait peu, l’essentiel est de faire valoir la culture, d’où le slogan « Speak Up Culture ».

Si les organisateurs ont donné libre cours aux tandems pour choisir le support et le genre journalistique, ils les ont par contre orientés quant aux choix du sujet. L’EU Neighbours South préférait que ce soit lié à un projet ou une initiative culturelle, financés par l’UE dans la région du voisinage sud de l’Union européenne.

Le moment tant attendu est enfin arrivé, l’animateur dévoile les heureux lauréats des trois catégories, à savoir, le binôme journalistes homme/femme ; journaliste professionnel et étudiant en journalisme ; et enfin, le duo journaliste et artiste.

Fatima-zahra Jabbour et Wael Bourchachen sont les premiers à entendre leurs noms, et à monter sur scène sous les applaudissements du public. Désignés gagnants dans la première catégorie, ils ne pouvaient que s’en réjouir. Leur capsule vidéo est décrite par la journaliste marocaine comme « un projet artistique et culturel par excellence, portant sur le théâtre de rue ». Son collègue de la même nationalité, nous en dit plus : « C’est aussi un projet à dimensions sociale et sociétale, parce qu’il met en avant le besoin du Maroc en art engagé, et la nécessité de mettre en place des facilités pour promouvoir la création, mais aussi d’en assurer le suivi ».

Les gagnants de la deuxième catégorie, quant à eux, sont palestiniens. A distance, le binôme Mohammed Hasan Al Rifai et Mohammed Al Kahlout ont exprimé leur joie par le biais d’une vidéo projetée dans la salle. De Gaza à la kasbah d’Alger, le trophée Tandem de la catégorie journaliste/artiste s’est retrouvé entre les mains de la journaliste et la créatrice de contenus algérienne Ines Taouint et son binôme l’artiste photographe Abderrezzak Abo Wail.

C’est avec beaucoup de reconnaissance et un sourire jusqu’aux oreilles qu’ils ont reçu leurs prix : « On est hyper fiers de nous et contents de voir qu’ils ont trouvé dans notre travail quelque chose qui méritait un trophée ». « Nous sommes venus d’Algérie, mon binôme Ines et moi. Notre vidéo montrait comment la culture peut changer entre la capitale et à quelques kilomètres de la kasbah d’Alger. On ne s’attendait pas à ce qu’on gagne, mais on est fier et je pense que c’est mérité. En fait, je crois que tous les participants ont fait un bon travail, on l’a vu ».

Leur projet s’inscrit lui aussi, dans un contexte social et humanitaire : « Je pense que ce qui a peut-être plu au jury, c’est la façon avec laquelle nous avons créé un contraste entre un mode de vie traditionnel dans une capitale, qu’est Alger, et ce qui se passait dans les hautes montagnes […] en mettant en exergue l’art, l’amour des jeunes pour leur patrimoine, leur patrie », comme nous l’explique l’heureuse gagnante.

Le jury a réservé une surprise à l’auditoire et aux finalistes. Ils ont exceptionnellement remis le prix « coup de cœur », décerné par le public, au grand bonheur du binôme tunisien journaliste/artiste qui l’a remporté. Il s’agit de l’artiste comédienne Nadia Tlich et la journaliste tunisienne Jezia Nouma.

Celle-ci nous fait part de son projet et nous en dit plus sur sa première collaboration avec un artiste. « Il est assez compliqué qu’un journaliste collabore avec un artiste, et vice versa […] Un projet ne peut se détacher de ses perspectives humanitaires puisqu’il s’est concentré sur un évènement soutenu par l’Union Européenne. Il s’agit du Festival International du Théâtre au Sahara. Sa première édition, organisée l’année dernière, a touché un grand nombre de public, en particulier ceux qui n’ont jamais eu l’occasion d’assister à des spectacles ou des pièces théâtrales. L’événement s’est entièrement déroulé sur le sable du désert, et c’est ce qui fait toute son unicité. Alors que le public de ces régions-là était privé de spectacles, le théâtre s’est invité chez eux ».

Chose promise, chose due. Les finalistes sont restés fidèles au thème de cette édition. Ils se sont exprimés, haut et fort, sur les spécificités de leurs diverses cultures. Outre le trophée, ils avaient tous le même objectif à l’esprit : dire l’urgence de la culture.

 Samia EL ACHRAKI (Isic) Adnane BOULAHIA (Isic)

[LE RÉSUMÉ] « Focus Niger » : l’état du journalisme et des médias

Retrouvez l’essentiel de l’événement « Focus Niger: L’État du journalisme et des médias ».

Océane Ilunga/IHECS

Animé par Ousseina HAROUNA, journaliste pour Canal 3 Niger avec Moussa AMMA, journaliste pour la radio Anfani et rédacteur au journal L’Eclosion, Alhassane ABDOU-MAHAMANE, rédacteur en chef du Studio Kalangou, Amina NIANDOU, présidente de l’Association des Professionnelles Africaines de la Communication (APAC) Section Niger.

Les enjeux

Le Niger, pays secoué par des instabilités et défis sur différents niveaux politiques, médiatiques et sociétaux, essaye de préserver une certaine liberté aux journalistes. Mais les médias nigériens travaillent dans un contexte compliqué et en la présence de financement et mainmise politique sur les associations médiatiques. Les médias nigériens souffrent parfois d’un manque de matériel pour pouvoir offrir au public des productions de qualité alors que le rôle des femmes nigériennes journalistes reste faible.

Ce qu’ils ont dit

Moussa Amma: « On ne peut pas s’attendre à une production d’information de qualité, de liberté et de professionnalisme au Niger puisqu’il y a de plus en plus un manque de formation des journalistes » . 

Alhassane Abdou-Mahamane :« Une des choses que les journalistes doivent savoir, c’est connaître le métier, ses droits et devoirs, afin de présenter un travail de qualité » .

« Si un journaliste ne dérange pas en travaillant sur une matière journalistique, il n’est pas journaliste : donner simplement une information ne suffit pas » .

Amina Niandou : « Les organes de presse au Niger sont confrontés à des difficultés car on n’arrive pas à différencier le service d’information et le service commercial. Nous sommes dans une situation mi-figue-mi-raisin : ce qui n’est pas vendable est en train d’être vendu et les médias deviennent des agences de communication. »

« Au Niger, les organisations féminines sont assez fortes mais les femmes n’ont pas assez de droits. La société nigérienne est une société assez conservatrice et les questions liées aux femmes demeurent absentes des médias. »

À retenir

La question du financement des médias privés est importante car seuls les médias publics bénéficient des financements de l’État, ce qui pose problème au niveau de la pluralité. Les organes de presse nigériens aimeraient se réunir et rassembler leurs compétences afin d’améliorer la qualité de leur travail journalistique et d’offrir au public un contenu riche.

Célina Braidy (UL), Joëlle Ghaby (UL) et Océane Ilunga (IHECS)

[INTERVIEW] Tatiana Mossot : « C’est la violence et la capacité à la gérer qui fera toute la différence »

Photo : Lamisse Oujari /ISIC

Tatiana Mossot est une journaliste qui a travaillé dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne. Elle est la fondatrice de Mama Project, organisme d’accompagnement et de formation de journalistes francophones.

Comment est né le projet ?

Tatiana Mossot L’idée pour nous était de pouvoir accompagner des confrères et des consœurs – mais plus particulièrement des consœurs – journalistes sur le continent africain.

La raison pour laquelle on a créé Mama project (@MamaprojectA), c’est parce qu’on s’est dit que la formation professionnelle qui était proposé ne correspondait pas forcément à ce qu’il se passait sur le terrain. Ayant été essentiellement journaliste de terrain en Côte d’ivoire et au Sénégal et ayant couvert quasiment toute l’Afrique subsaharienne, je voyais des manques et des besoins. J’ai été sollicitée par des confrères et des consœurs qui me demandaient de l’aide sur plusieurs domaines.

De mon côté, il y a des situations auxquelles j’avais été confrontée, des situations de stress, des situations sécuritaires et des situations de gestion de crise sur lesquelles je m’étais sentie un peu isolée. Si moi j’ai ressenti ça alors que je travaille pour un grand média international, qu’est-ce qu’il en est de mes confrères locaux ? On s’est dit qu’avec cette structure, on pouvait accompagner à notre niveau des groupes d’hommes et de femmes journalistes.

 Quel type d’accompagnement faites-vous ?

T.M. On aborde tous les domaines journalistiques : l’accompagnement technique mais aussi psychologique, l’accompagnement sur les réseaux et finalement un accompagnement de carrière.

Combien de personnes accompagnez-vous ?

T.M. Comme c’est notre première année d’exercice, on a réussi à accompagner une vingtaine de personnes sur des problématiques diverses, de la technique d’investigation ou des questions de harcèlement moral.

La situation est-elle de plus en plus difficile ? 

T.M. Avec les réseaux sociaux, et cette capacité de diffuser sur les supports numériques, les journalistes s’exposent beaucoup plus qu’avant. Avant, il fallait attendre que votre article soit paru dans un journal et vendu en kiosques. Aujourd’hui votre article peut sortir au bout de 3 heures en ligne, et donc les attaques vont être beaucoup plus rapides, beaucoup plus violentes et vont vous poursuivre même au-delà de la publication. On ne peut pas aujourd’hui ne pas protéger les journalistes qui travaillent dans le digital et le numérique, on se doit de les accompagner.

Quelle est la spécificité du harcèlement envers les journalistes ?

T.M. Le harcèlement contre le journaliste est forcément beaucoup plus public, et encore est-ce que c’est vrai ? Pas totalement. Si on prend le harcèlement scolaire sur les réseaux sociaux, votre image va être exposée publiquement de la même manière qu’un journaliste qui sera harcelé suite à un travail qu’il a fait. Aujourd’hui, les mécanismes du cyber harcèlement sont identifiés par des spécialistes comme étant les mêmes partout. Maintenant, c’est la violence et la capacité à la gérer qui fera toute la différence. On a toujours du mal avec le harcèlement lui-même.

 

Recueilli par Océane Illunga /IHECS et Lamisse Oujari /ISIC

[LE RÉSUMÉ] « Focus Liban » : l’état du journalisme et des médias

Retrouvez l’essentiel de l’événement « Focus Liban : l’état du journalisme et des médias »

Manon Modicom/EPJT

Animé par Jad Shahrour, chargé de communication pour Sheyes avec Caroline Hayek, grand reporter pour L’Orient-le Jour (Prix Albert Londres 2021), Alia Ibrahim, co-fondatrice de CEO et de Daraj.com, et Marc Saikali, PDG d’Ici Beyrouth.

 

 

Les enjeux

Entre 2020 et 2021, le Liban a dégringolé de cinq places dans le classement annuel de Reporters sans frontière. Derrière la crise socio-économique qui fissure le pays, se cache une deuxième guerre : celle des médias pour leur liberté. Un climat de tension qui a atteint son paroxysme en février 2021, avec l’assassinat de l’éditeur et commentateur politique, Lokam Slim. Dans de telles conditions, et alors que la jeunesse libanaise fuit le pays vers d’autres horizons, comment les médias libanais parviennent-ils à maintenir leur indépendance et se renouveler ?

Ce qu’ils ont dit

Caroline Hayek : « Ce qui est important pour nous, c’est de modifier notre image d’élite de droite chrétienne. On s’est engouffré dans d’autres brèches pour bousculer notre lectorat. Notre enquête sur la pédophilie n’aurait pas été possible il y a quelques années, par crainte des critiques. Mais aujourd’hui, on arrive à capter de nouveaux lecteurs. »

« L’Orient-le Jour a su se remettre en question et penser contre lui-même pour attirer les jeunes. Ce qui est très important pour nous, c’est cette indépendance, rompre avec cette image d’un média élitiste et recomposer toute notre équipe. »

Alia Ibrahim : « Nous faisons confiance aux lecteurs. Ils savent la limite entre l’opinion et l’enquête. La distinction entre le journalisme et l’activisme est très importante pour la crédibilité de l’organe de presse. Elle touche à la confiance des publics dans les médias. »

Marc Saikali : « Aujourd’hui, tout le monde est sur les réseaux sociaux. Mais on a la prétention de penser que dans un océan d’informations partielles et de fake news, quand vous êtes un média crédible, les jeunes font le tri. »

« La presse libanaise est parfois partisane mais elle reste libre (…) La guerre en Ukraine montre que la presse ne peut avoir une ligne éditoriale objective comme le souhaiteraient les médias anglo-saxons. Cette ligne éditoriale n’est pas objective, mais elle est honnête, et n’est pas financée par des politiques, ni de grosses ONG internationales. »

À retenir

La question de la déontologie journalistique se pose tout particulièrement au Liban, marqué par une importante crise économique et sociale. Les reportages d’investigation menés par les médias libanais sont plébiscités, de même que les nouveaux formats journalistiques permettent d’attirer le jeune lectorat. Si une presse indépendante est possible au Liban, les journalistes se heurtent à des problèmes budgétaires au sein de leur rédaction et souffrent du départ de la jeunesse pour renouveler les contenus.

Clara Jaeger et Irène Prigent (EPJT) 

Des Assises internationales à Tunis pour dire « l’urgence du journalisme »

De gauche à droite Taoufik MJAIED, Jérôme BOUVIER, Thierry VALLAT, Francisco ACOSTA, Amira MOHAMED
Photo : Lucas Turci/EPJT

Les Assises internationales du journalisme de Tunis promettent dès leur ouverture une programmation riche et fructueuse. A l’ordre du jour de cet événement : cinq focus pays, des débats, des ateliers, des concerts et des expositions, rassemblés autour du thème « l’urgence du journalisme ».

Future capitale du journalisme dans la Méditerranée – en tout cas quelques-uns l’espèrent –, Tunis accueille sa 2e édition des Assises du journalisme. Les travaux ont démarré ce jeudi 17 mars à la Cité de la culture et s’étendront jusqu’au 19 mars. Créé par l’association Journalisme et Citoyenneté, cet événement international est, selon son président Jérôme Bouvier, le fruit d’une aventure collective. Un programme soutenu par l’Union européenne, en partenariat avec l’ambassade de France, le CFI et d’autres médias internationaux.

Au moment où l’étau se resserre sur les journalistes un peu partout dans le monde, des professionnels des médias, des chercheurs, des institutionnels et des étudiants se réunissent pendant trois jours, pour penser à voix haute à la situation de cette profession dans la Méditerranée, en particulier, et dans le monde puisque les défis qui se présentent sont universels. Un panel pour rendre au journalisme ses lettres de noblesse, d’où le choix de la thématique « l’urgence du journalisme ».

La question de l’indépendance de la presse

Les intervenants ont insisté sur l’importance du journalisme et son utilité, plus importantes que jamais vu le contexte actuel marqué par la double crise sanitaire et sécuritaire. Dans la même veine, le chef de délégation adjoint de l’Union européenne en Tunisie, Francisco Acosta, a exprimé son soutien – et celui de l’UE – à l’indépendance du journalisme. Une « profession fabuleuse », à ses yeux. Il a par ailleurs mis en avant « l’utilité démocratique » du métier du journaliste, qui facilite l’accès du citoyen à l’information.

Sans surprise, le conflit russo-ukrainien, qui domine l’actualité internationale, s’est invité à la cérémonie d’inauguration des Assises. Le PDG de CFI n’a pas manqué de rappeler la nécessité de contre-carrer les fake news et de vérifier les sources, en faisant référence au traitement médiatique du conflit en Ukraine.

Si la galanterie n’a pas été respectée, la dernière intervention d’Amira Mohammed n’a pas été moins intéressante. Poignante, elle a impressionné l’auditoire. La vice-présidente du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) s’est alarmée de la situation de la liberté d’expression en Tunisie en particulier, pays hôte. Une liberté qui se trouve menacée, selon elle.

La syndicaliste reproche le déclin de la liberté d’expression dans le journalisme aux autorités tunisiennes et pointe du doigt les deux gouvernements précédents et le gouvernement actuel. Amira Mohammed estime par ailleurs que le président de la République participe à la précarité du journalisme indépendant.

On peut se demander si s’interroger sur la question de la liberté d’expression, en dénonçant haut et fort les « responsables » ne serait pas en soi une forme de liberté. Une question à laquelle les participants aux Assises du journalisme pourraient répondre éventuellement, au cours des débats, des « focus » pays et des ateliers programmés tout au long de ces trois jours.

Adnane BOULAHIA de l’Institut supérieur de l’information et de la communication (Rabat) 

[INTERVIEW] Baptiste Bouthier : « On avait tous conscience que l’histoire se déroulait sous nos yeux »

(Photos : Lucas Turci/EPJT)

À l’occasion des Assises du journalisme 2021, le journaliste Baptiste Bouthier présente sa première bande-dessinée, 11 septembre 2001 – Le jour où le monde a basculé, illustrée par Héloïse Chochois*.

Cette bande-dessinée est le résultat d’une collaboration avec la revue Topo, une revue dessinée pour les moins de 20 ans. Qu’elle était l’objectif de ce projet ?

Baptiste Bouthier. Topo est une revue bi-mensuelle qui décrypte l’actualité par le dessin. À l’occasion des 20 ans du 11 septembre, nous voulions raconter cet événement à un public trop jeune pour s’en souvenir. Leur raconter ce qu’il s’est passé, comment les informations arrivaient au compte-goutte en France. Le personnage principal est une adolescente, Juliette. Elle permet aux lecteurs de s’identifier et de comprendre l’impact que cela a eu sur le monde dans lequel ils vivent.

Dans la BD, Juliette a 14 ans au moment des attentats, l’âge que vous aviez à l’époque. Quels souvenirs en gardez-vous ? 

B. B. Comme Juliette, j’ai appris le drame par ma mère en rentrant du collège. Je n’ai pas bien compris sur le moment mais en voyant les images plus tard. On avait tous conscience que l’histoire se déroulait sous nos yeux. La façon la plus véridique de raconter, c’était de montrer ce que j’ai vécu. Il y a aussi les souvenirs de la dessinatrice Héloïse, et de nos proches. Tout le monde se souvient de ce qu’il faisait au moment de l’attentat. Juliette est un personnage fictif mais c’est un assemblage de souvenirs réels.

Avant d’être une fiction, c’est un travail journalistique. Comment avez-vous documenté votre travail ? 

B. B. Il y a des téra octets de vidéos sur le sujet. On cherchait des informations vérifiées et des témoignages complets et précis. Puis il y a eu la mise en scène. Comment mettre concrètement ces témoignages en dessins. Héloïse s’est basée sur de nombreuses photos des tours, de Georges W. Bush… Elle a vraiment travaillé en s’appuyant sur de vrais documents.

Y a-t il des difficultés à illustrer un événement tragique ?

B. B. Héloise avait la volonté de ne pas ajouter du pathos au pathos, avec des illustrations sombres. Mais on ne pouvait pas mettre de couleurs fluo non plus. Nous avons choisi des couleurs pastel, douces. Du rouge pour la France, du bleu pour les Etats-Unis, pour l’alternance des récits. Il n’y pas beaucoup d’images violentes du 11 septembre. Il n’y a pas d’entre-deux. Les gens sont sortis presque indemnes ou sont morts dans les tours. La violence, ce sont les gens qui sautent par les fenêtres. Nous avons choisi de les représenter. J’ai eu des reproches mais on ne pouvait pas ne pas montrer ça.

Recueilli par Chloé Plisson et Manuela Thonnel

(*) Une co-édition Dargaud et Topo.

[INTERVIEW] Karine Lacombe et Fiamma Luzzati : « Notre roman graphique est un témoignage instantané caméra à l’appui »

(Photo : Eléa N’Guyen Van-Ky/EPJT)

Karine Lacombe, cheffe du service infectiologie de l’hôpital Saint-Antoine à Paris, et Fiamma Luzzati, illustratrice de bandes dessinées et autrice du blog L’Avventura, publient La Médecin, aux éditions Stock. Ce roman graphique retrace le quotidien sous tension des soignants à l’hôpital durant la première vague de Covid-19.

Qu’est-ce qui a motivé l’écriture de votre ouvrage ? Quelle importance accordez-vous au témoignage ?

Karine Lacombe. Pendant la première vague de Covid-19, chacun était confiné chez lui. On entendait beaucoup de choses à propos du virus. Mais personne ne savait ce qui se passait à l’intérieur des hôpitaux. L’idée était donc d’offrir au lecteur une vision de l’hôpital durant cette crise, à la manière d’un reporter avec sa caméra à l’épaule. Ce qui m’importait, c’était aussi d’apporter mon témoignage de femme médecin, de mère de famille et de cheffe du service infectiologie en temps de crise, d’où le titre du roman.

Comment est née votre collaboration ?

K. L. L’histoire est partie de nos deux éditrices, dont l’une est très engagée. Elles m’ont contactée en mars 2020 car elles avaient envie de publier un livre au sujet de la crise sanitaire vue à travers mon regard. Elles m’ont tout de suite proposé la forme du roman graphique pour rendre l’histoire accessible à tous. Nous avions donc besoin d’une illustratrice de bandes dessinées. Elles se sont naturellement tournées vers Fiamma Luzzati.

Fiamma Luzzati. Je tiens un blog dessiné au sein du journal Le Monde. À l’époque, la rédaction ne traitait que du Covid, j’avais donc l’habitude d’élaborer des illustrations en lien avec le virus.

Pourquoi avoir choisi le support du roman graphique ? Y a-t-il une volonté de vulgarisation ?

K. L. Effectivement, la visée de ce roman est pédagogique et informationnelle. Notre objectif est de nous adresser à tout le monde. D’ailleurs, plusieurs pages consacrées à des explications scientifiques sont présentes dans l’ouvrage.

La couverture du roman vous montre vous, Karine Lacombe, fixant le lecteur derrière un hublot, au sein de votre service hospitalier. Que signifie-t-elle ?

K. L. Cette couverture, c’est un peu l’hôpital qui regarde le monde, à un moment où personne ne sait ce qu’il s’y déroule. Et, en ouvrant le livre, le lecteur est invité à passer derrière le hublot, à pénétrer l’intérieur des lieux.

La couleur bleue domine les illustrations. Pourquoi ?

F. L. Le bleu renvoie spontanément au domaine de la santé.

K. L. C’est aussi une couleur porteuse d’espoir.

Comment expliquez-vous la dernière page de l’ouvrage ?

K. L. La fin était un peu prémonitoire. On l’a ajoutée peu de temps avant la publication. Sur la dernière page, mon personnage revient à l’hôpital. Il revient parce qu’on entre dans la deuxième vague de l’épidémie.

 

Recueilli par Éléa N’guyen Van Ky et Claire Ferragu

(*) Editions Stock

[INTERVIEW] Ariane Chemin : « Au cours de la pandémie, la raison a laissé la place aux croyances »

Ariane Chemin, grand reporter au Monde, a publié en juin 2021, en compagnie de Marie-France Etchegoin, le livre Raoult. Une folie française*. Elle partage les coulisses de l’enquête sur ce personnage controversé.

(Photo : Lucas Turci/EPJT)

Est-ce la personnalité clivante de Didier Raoult qui vous a donné envie d’écrire ce livre.

C’est assez rare de voir surgir sur la scène politique quelqu’un aussi rapidement, avec une telle notoriété et qui divise autant. Nous avons tous assisté à des engueulades autour d’une table sur cette question. Ça me rappelle le référendum sur l’Europe de 2005 où des familles se déchiraient sur le sujet. De manière très anecdotique et très personnelle, j’ai attrapé la Covid en novembre 2020 pendant un reportage en Corse. J’ai appelé le meilleur généraliste de la ville qui ne s’est pas déplacé mais qui m’a prescrit le protocole Raoult. Et ça m’a interrogé car des études montraient déjà que la chloroquine ne marchait pas. Et, surtout, avant de juger quelqu’un de manière péremptoire, le meilleur moyen c’est de faire une enquête.

Est-ce qu’il y a une certaine autocritique chez lui ? 

Il n’y en a aucune. C’est sa psychologie, son caractère. Quand il nous a reçu, il était très aimable mais il s’est braqué au moment où on lui a demandé s’il ne regrettait rien car cela aurait du être son moment, en étant l’un des plus grands microbiologistes. Il s’est fâché en disant qu’il avait marqué cette pandémie comme personne et il s’est fermé avant de redevenir plus sympathique. 

La moitié du livre est consacrée à son parcours avant l’arrivée de la Covid-19 et notamment à son enfance. Pourquoi vous y êtes vous intéressé ? 

Il a une vie romanesque. Il se construit contre son père médecin, lui dit qu’il ne fera jamais médecine. Il grandit à Dakar puis Marseille prend une grande importance pour lui. Parler de sa vie, c’est aussi une manière de montrer que cet homme qui se dit antisystème en fait d’une certaine manière partie.

Raoult. Une folie française. Pourquoi ce titre ? 

Cela aurait pu être « une passion française ». D’abord, ça raconte un moment très particulier, dont tous les Français se souviendront, marqué par le confinement, la maladie, la peur. Ensuite ça a été un moment politique, presque un moment « trumpien » dans l’histoire française. L’idée qu’au cours de la pandémie, la raison a laissé la place aux croyances. C’était intéressant de le raconter. Il y a toujours eu dans l’histoire de la médecine des personnalités qui n’étaient pas dans les clous et qui ont découvert des choses. Il ne faut pas mépriser, a priori, quelqu’un qui n’est pas d’accord avec tout le monde, surtout avec son passé. Il a reçu le prix de l’Inserm qui est la 2e distinction après le prix Nobel. Une folie, c’est parce que la France s’est emballée pour Didier Raoult, y compris le président de la République. C’est le seul pays où on a connu l’émergence d’une personne comme cela. La chloroquine a été évoquée par Donald Trump, Elon Musk, Jair Bolsonaro. Cela a été planétaire.

Au cours de votre carrière, vous avez enquêté sur différentes personnalités proches du pouvoir (Dominique Strauss-Khan, Alexandre Benalla…), qui ont vu leur carrière brisée par leurs actes. Didier Raoult a eu une expérience similaire. Est-ce la compréhension de l’ambition et des contradictions des personnes influentes qui vous fascine ?

Ce n’est pas le pouvoir qui me fascine mais les personnages qui sont plein d’ambitions et qui se laissent brûler les ailes en s’y approchant. L’ambition, c’est intéressant à ausculter. Elle peut devenir une folie et vous entraîner vers la chute. Ce sont des cas typiques de personnes qui étaient promises à un avenir éclatant mais avec quelque chose de supplémentaire pour Didier Raoult : le déni. Il a toujours persisté dans ses idées.

Recueilli par Lisa Morisseau et Paul Vuillemin

(*) Aux éditions Gallimard

[Interview] Béatrice Denaes : « Les transidentités, on n’en parle pas et mon témoignage pouvait devenir intéressant »

Photo : Lucas Turci/EPJT

Ancienne journaliste à Radio France, Béatrice Denaes était présente aux Assises du journalisme, ainsi qu’au salon du livre, samedi 2 octobre. Elle présentait son ouvrage Ce corps n’était pas le mien – Histoire d’une transition tant attendue. C’est à l’arrivée de la retraite que Béatrice Denaes s’est sentie prête à parler de sa transidentité. Elle a arrêté de se présenter comme homme en 2019 et retrace son histoire dans son livre. 

 

Pourquoi avez-vous écrit ce livre ?

À l’origine, c’était pour mes enfants. J’avais envie de laisser une trace qui leur raconte ma vie, qui leur explique que j’avais passé toute ma vie à me cacher. Je suis journaliste, je hais mentir. Pour moi, ce n’était pas du mensonge mais une omission : je savais ce que je ressentais pourtant je ne savais pas mettre de mots dessus. Je voulais leur expliquer, non pas pour les faire pleurer, toute la souffrance que j’ai vécu, que j’ai pu ressentir et aussi le bonheur que j’ai eu de les avoir. Même si j’ai eu la souffrance interne de ne pas les porter, d’accoucher et ça, ça restera le plus gros manque de ma vie. J’ai vécu la grossesse de ma femme et leur naissance par procuration. Ce livre c’était vraiment pour témoigner pour eux. En parlant avec mes amis journalistes, ils m’ont dit qu’il fallait que je le publie. Les transidentités, on n’en parle pas et mon témoignage pouvait devenir intéressant.

Vous avez passé votre vie à faire témoigner les autres et, là, c’est vous qui avez témoigné. Comment vous sentez-vous d’avoir échangé les rôles ?

Oui, c’est étrange, le « je ». Je l’ai banni depuis des années parce que, c’est ça qui est génial dans le métier de journaliste, c’est de faire parler les autres. Ça a toujours été mon idée en tant que journaliste, de faire bouger les mentalités des auditeurs, des lecteurs, des téléspectateurs et là, je me suis retrouvée dans une autre situation. Même si je connais les ressorts du témoignage, je dois reconnaître que ça fait bizarre d’être la personne qui témoigne. On a plus l’habitude de poser les questions que d’y répondre en effet, mais on s’y fait.

Est-ce qu’il y aura une autre étape pour vous, après votre livre, pour vous engager sur la question de la transidentité ?

Oui et je me suis déjà engagée. Quand j’ai fait ma transition médicale, je n’ai pas été bien reçue par une association réputée alors que j’allais très mal et que j’avais besoin de soutien. Je me suis dit que je voudrais qu’il existe une association entre médecins et personnes concernées pour faire avancer les choses. Le parcours médical était et, il l’est toujours, très psychiatrisé.

Cela m’a poussé à créer quelque chose avec les médecins et, finalement, ils avaient la même idée puisqu’en novembre dernier, nous avons créé une association qui s’appelle Trans Santé France. Nous nous retrouvons entre médecins, paramédicaux, personnes concernées, familles, associations, juristes, sociologues et en même pas un an d’existence, nous sommes déjà 120.

Nous avons organisé notre premier congrès à Lille, il y a même pas quinze jours et nous avons déjà des contacts. Nous voulons vraiment faire avancer les choses. On ne devrait pas avoir besoin d’un psychiatre pour déterminer si on est trans ou pas. Tout comme on ne devrait pas avoir besoin d’un juge pour attester que l’on est trans et changer d’état civil. Il y a encore pas mal de choses à faire changer et je veux le faire en position de journaliste en discutant, en informant.

Nous pensons qu’il faut simplifier ce parcours médical. Il est essentiel mais il pourrait passer par un généraliste. On parle souvent de médecins transphobes mais souvent ils n’y connaissent simplement rien et n’ont jamais étudié la transidentité. Ils ne connaissent parfois même pas les dosages donc nous voulons les accompagner. On va lancer un DIU (diplôme interuniversitaire) pour que les médecins soient formés.

Comment mieux parler de la transidentité dans les médias ?

Il faut plus en parler, même au sein des écoles de journalisme. J’ai tenu une conférence à l’Ecole de journalisme de sciences po, parce qu’en effet l’équipe pédagogique s’est rendue compte que les journalistes ne connaissent rien au sujet de la transidentité. Il y a eu beaucoup de questions très intéressantes et nous avons besoin de cet échange. Quand les gens ne comprennent pas, cela mène à la haine et à l’intolérance. Quand on connaît et qu’on réalise que chacun peut vivre sa vie comme il l’entend, cela évite ces phénomènes.

Recueilli par Lisa Peyronne et Héloïse Weisz

[INTERVIEW] Alain de Chalvron : « La télévision a la puissance d’entrer dans le salon des gens »

Alain de Chalvron, grand reporter et correspondant à l’étranger (France 2, RFI, France Inter) vient de publier le livre En direct avec notre envoyé spécial, aux éditions l’Archipel. Il partage ses souvenirs et l’envers du décor de ses reportages.

Alain de Chalvron était présent au salon du livre des Assises du journalisme 2021 (Photo : Lucas Turci/EPJT)

Comment décririez-vous votre livre En direct avec notre envoyé spécial à ceux qui ne l’ont pas (encore) lu ? 

Beaucoup me disent qu’il s’agit d’un livre d’actualité contemporaine. D’ailleurs, à propos, j’aimerais bien être en Afghanistan aujourd’hui ! C’est vrai que j’ai couvert l’ensemble des grands événements de ces trente-cinq, quarante dernières années et j’ai découvert beaucoup de choses que je souhaitais transmettre à travers ce livre. 

Depuis que vous avez commencé votre carrière, quelles évolutions du métier avez-vous pu constater ? 

Je trouve qu’il y a une évolution assez positive. Lorsque je repense à l’époque où j’étais à Beyrouth, je pouvais passer des heures bloqué à l’hôtel à attendre un coup de fil… Par exemple, au Caire, il fallait que j’aille à la poste la veille pour payer le temps de communication dont j’allais avoir besoin. Maintenant, on téléphone de n’importe où avec les téléphones satellites. On peut même envoyer des images. Ce qui est un grand progrès. Le plus gros budget, lorsque j’étais chez France 2, était le coût de la communication satellite. Lorsque j’arrivais à un endroit, avant même de traiter l’information, je devais chercher un faisceau. Sinon on se faisait doubler par notre principal concurrent TF1. Aujourd’hui avec un téléphone portable et un ordinateur tout se fait, même capter au fond du désert. 

En revanche, il y a eu moins de progrès du côté des réseaux sociaux. Tout le monde se sent journaliste, mais beaucoup sont des faux journalistes. Il y a toute sorte de manipulations : ils se disent journalistes mais ils travaillent pour un gouvernement, une idéologie, un parti politique… Au final, ils n’informent pas et laissent la voie aux fake news. Cela a fortement dégradé l’image des journalistes et les politiques s’en sont saisis pour dénigrer la profession. La réputation n’est plus ce qu’elle était malgré le bon travail des professionnels. 

Un autre phénomène est l’apparition des chaînes d’information en continu et des nouveaux médias. La concurrence s’est multipliée. Certes cela motive, mais il y a aussi des conséquences. En voulant battre le voisin, on se précipite parfois trop. Les recettes publicitaires se partagent aussi donc il y a donc moins d’argent.

Les rédactions ont aussi moins de correspondants permanents, quelle en est la conséquence ?

C’est vraiment dommage car, dans les bureaux, on prend un réel plaisir à couvrir l’actualité. Ce sont des postes formidables, la quintessence du métier. On tisse un réel réseau de contacts que l’on n’a pas lorsqu’on est envoyé spécial. Les contacts, c’est l’essentiel. Ils donnent des informations et livrent une analyse des situations que l’on ne peut pas avoir autrement. Les effectifs des rédactions ont aussi été réduits à cause du manque de moyens, ce qui donne encore moins de temps pour chercher l’information, tourner et monter les images sur place.

Quelle est votre plus fort souvenir de ces années de reportage à l’étranger ? 

La télévision à la puissance d’entrer dans le salon des gens. Lorsqu’on leur apporte les images, beaucoup me disent « vous faites parti de la famille ». Je dirais que 90 % du métier est du plaisir. Pour le plus fort, je dirais Haïti lorsqunous avons réussi à obtenir l’interview de l’ennemi numéro 1. Parmi mes autres souvenirs, le reportage le plus dur a été sur les enfants esclaves. Nous sommes ressortis changés de ce sujet. C’était tellement lourd. 

Un message pour les jeunes journalistes ?

Je ne suis pas pessimiste car il y aura toujours besoin de journalistes. Certes, il y a moins de journaux qu’à une certaine époque mais il y aussi la naissance de nouveaux médias de grande qualité comme Slate, Politico, Atlantico…  On le voit aussi à travers la naissance de médias locaux qui se développent comme Médiacités. Ce sont de bons journalistes confirmés qui ne racontent pas de balivernes sur le terrain.

 

Recueilli par Carla Bucero Lanzi

[INTERVIEW] Hervé Gardette « Les problématiques écologiques sont encore trop cantonnées à une spécialité »

À l’occasion des Assises du journalisme 2021, le journaliste Hervé Gardette présente son premier livre Ma transition écologique, comment je me suis radicalisé. Une sélection de ses chroniques environnementales diffusées sur France Culture et éditée chez Novice. Aujourd’hui, journaliste pour l’émission « 28 Minutes » sur Arte, il revient sur son apprentissage de la transition écologique.

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Hervé Gardette a tenu pendant deux ans une chronique sur l’écologie dans « Les matins de France culture ».  (Photo : Marine Gachet/EPJT)

Comment garder une distance journalistique avec son sujet quand celui-ci promet de faire partie intégrante de votre vie professionnelle ?

On fait comme avec n’importe quel sujet. C’est difficile car quand on est plongé quotidiennement pendant deux ans dans un sujet, cela prend beaucoup  de place. Particulièrement lorsqu’il s’agit du changement climatique et de l’érosion de la biodiversité. Quand on commence à s’y intéresser de près, on ne peut qu’être convaincu de l’urgence de la situation. Après, que fait-on avec cette urgence ? Un travail de militantisme ? Cela peut tout à fait être concevable. Il y a des journalistes qui sont devenus activistes. Mais il faut quand même garder une distance critique avec son objet, toujours. Il faut faire ce qu’on doit faire pour n’importe quel sujet journalistique. Moi avec l’écologie, j’ai essayé de présenter plusieurs arguments sans disqualifier des arguments moins vertueux écologiquement. Mon idée c’était de partir de mon exemple personnel pour montrer qu’on a beau être convaincu de quelque chose, l’appliquer n’est pas toujours simple. On est fait de cette contradiction. Il faut aussi montrer la complexité des choses.

Dans votre livre vous écrivez que « le confinement a été une occasion en or pour regarder le monde qui nous entoure autrement » et que, paradoxalement, vous avez régressé dans votre processus de transition écologique. Pouvez-vous en dire plus ?

J’ai essayé de diminuer les emballages et d’acheter en vrac le plus possible. Malheureusement, pendant le confinement cela n’a plus été possible pour des raisons sanitaires. Il y a eu en plus un effet de compensation. Je me déplaçais moins mais c’était une période assez stressante. Il y avait besoin de se faire plaisir inconsciemment avec des choses que je n’aurais pas acheté en temps normal. Quand, à la fin de cette période, certains prétendaient que tout allait changer, moi, je n’y ai jamais cru. Quand on observe les débats présidentiels, il y en a encore où l’écologie est absente.

Pensez-vous qu’il y a un problème de traitement médiatique des problématiques environnementales aujourd’hui en France ? 

Oui car ces problématiques sont encore trop cantonnées dans une spécialité. Or c’est un problème systémique. Si on veut une transition écologique, il faut changer l’économie, les transports, l’éducation, la culture.  Ce n’est pas le sujet d’une spécialité, cela devrait englober tout le reste. C’est quelque chose d’inévitable, qu’on soit écolo ou non, le changement climatique est là. J’entends encore des émissions politiques ou aucune question n’est posée aux invités concernant l’écologie. C’est assez curieux.

Si vous deviez conseiller un livre à une personnes qui ne se sent pas concernée par cette thématique, lequel serait-il ? Et pourquoi ? 

Il y a un livre que j’aime beaucoup et qui est une bonne porte d’entrée pour ce sujet, c’est l’Atlas de l’anthropocène d’Aleksandar Rankovic et François Gemenne. Il est très clair. L’écologie est un sujet complexe : toutes les décisions en induisent d’autres. C’est en expliquant la complexité que le sujet devient abordable. Dans les médias, on confond encore compliqué et complexe. A force de simplifier certains sujets, on les rend incompréhensibles.

Propos recueillis par Romane Lhériau

[LE DÉBAT] Météo et climat : les présentateurs en première ligne

Retrouvez l’essentiel de l’événement « Météo et Climat : Les présentateurs météo en première ligne »,en partenariat avec Radio France.

(Photo : Irène Prigent/EPJT)

Animé par Laetitia Gayet, le débat a réuni Evelyne Dhéliat, présentatrice météo sur TF1 ; Ilyes Ghouil, créateur de la Météo Franc-Comtoise ; Dominique Marbouty, vice-président de Météo et Climat ; Marie-Pierre Planchon, productrice et présentatrice de la météo sur France Inter ; Laurent Romejko, présentateur météo sur France 3 ; David Salas Y Melia, chercheur chez Météo France.

Les enjeux

À mesure que les prévisions se précisent, les bulletins météo ont gagné en crédibilité. Avec le dérèglement climatique, il n’est plus seulement question de pluie et de beau temps mais de sensibiliser à l’urgence climatique, sans céder à l’alarmisme. En parallèle des bulletins télévisés et radiophoniques, des initiatives émergent sur les réseaux sociaux à l’échelle locale et permettent de toucher la jeune génération. En même temps, les réseaux sociaux sont aussi utilisés comme des systèmes d’observation des intempéries.

Ce qu’ils ont dit

Evelyne Dhéliat : « L’information, c’est du spectacle. Mais la priorité reste d’informer. Il faut qu’on comprenne du premier coup d’œil ce qui se passe. »

« On a un rôle compliqué car on a une responsabilité économique. J’ai reçu une fois un appel d’un hôtelier furieux parce que ses réservations avaient été annulées après un bulletin météo…»

Dominique Marbouty : « Aujourd’hui, la température moyenne du globe a augmenté d’un degré Celsius. Avec les feux de forêt en Grèce, aux États-Unis, en Australie, tout le monde en voit déjà les effets. Et on imagine bien les conséquences d’un réchauffement de deux degrés Celsius. » 

Marie-Pierre Planchon : « En une minute, c’est très difficile d’arriver à satisfaire tout le monde, de créer du lien en restant crédible. »

« Je fais très attention au vocabulaire que j’emploie, à dire le terme le plus exacte. Il ne faut pas dire « il va faire beau ! « , mais « il va faire chaud ! » Pour les touristes, un temps ensoleillé est positif, mais pour les agriculteurs, se sera peut-être catastrophique…»

Laurent Romejko :  « J’aime bien créer un véritable récit pour présenter la météo. Il y a une certaine poésie. On parle de la France, des régions, des petits coins que l’on évoque pas forcément dans les JT. »

 « On a l’impression que les exceptions commencent à devenir la norme. On se rend compte que les phénomènes de tempête reviennent de plus en plus régulièrement, de même que les normales de saison augmentent. »

« Il faut être extrêmement prudent et avoir du recul. On ne peut pas tout relier au changement climatique. »

« Notre rôle n’est pas d’apprécier le temps qu’il va faire, mais de dire le temps qu’il va faire. »

Ilyes Ghouil :  « Sur les réseaux sociaux, tout passe par l’écrit et le visuel. On peut se permettre de détailler, d’apporter des précisions. »

« J’ai remarqué un réel emballement au niveau des intempéries en Franche-Comte à partir de 2017. J’ai aussi constaté une certaine disparition du froid. »

« Sensibiliser le jeune public dès la primaire est important. Les enfants ramènent pleins d’informations à leurs parents. »

David Salas Y Melia : « La météo a changé, le temps qu’il fait a changé. Si on regarde les bulletins des années 1990, on ne prévoit plus les mêmes choses. »

« Parmi les cyclones, on observe une proportion plus importante de cyclones intenses. Les pluies extrêmes montent aussi en intensité, y compris dans le Sud-Est de la France. On estime que l’intensité maximale des précipitations a augmenté d’une vingtaine de pourcentages par rapport aux années 1960. »

À Retenir

Les bulletins météos sont les reflets du dérèglement climatique. Si les manières de présenter la météo varient selon les temps d’antenne et les supports (télévision, radio, réseaux sociaux), les journalistes ont pris conscience de l’importance d’informer les citoyens sur le climat. Dans le vocabulaire, il n’est plus question d’apprécier la pluie ou le beau temps, mais d’exposer les faits. Une dimension plus pédagogique des bulletins a vu le jour ces dernières années. Évoquer les catastrophe naturelles, expliquer la formation des intempéries, parler de la qualité de l’air ou des stocks d’eau douce permettent de prendre de la hauteur sur les simples prévisions.

Irène Prigent

[LE RÉSUMÉ] Solidarité Afghanistan : les Assises donnent la parole aux journalistes afghans exilés

Photo : Manuela Thonnel /EPJT

Retrouvez l’essentiel de l’événement « Solidarité Afghanistan : les Assises donnent la parole aux journalistes afghans exilés »

Animé par Catherine MONET, rédactrice en chef à Reporters sans frontières avec Akbar Khan ARYOBWAL, fixeur et interprète des médias français ; Darline COTHIERE, directrice de la Maison des journalistes ; Ricardo GUTIERREZ, président de la Fédération européenne des journalistes (FEJ) ; Mariam MANA, journaliste afghane réfugiée ; Najiba NOORI, journaliste afghane réfugiée ; Rateb NOORI, directeur vidéo du bureau de l’AFP à Kaboul ; Solène CHALVON, grand reporter, correspondante en Afghanistan ; Lotfullah NAJAFIZADA, directeur de Tolo News.

LES ENJEUX

Depuis le 15 août et la chute de Kaboul, de nombreux journalistes ont quitté le pays et ont rejoint en France les Afghans déjà réfugiés. Il reste cependant des centaines de journalistes inscrits sur des listes d’évacuation.

CE QU’ILS ONT DIT

Akbar Khan ARYOBWAL : « Quand j’ai appris ce qui se passait à Kaboul, je n’ai pas pleuré dans un coin. Je suis parti direct à l’aéroport pour essayer de faire quelque chose. Il faut donner de l’espoir aux gens qui quittent le pays. Il faut leur montrer les bons chemins. »

Darline COTHIERE : « Depuis cette année, plus de 400 journalistes ont été accueillis à la Maison des journalistes, venus de 70 pays dont l’Afghanistan. Ils arrivent en catastrophe pour fuir la répression et parce que leur vie est en danger. »

Ricardo GUTIERREZ : « Des milliers de journalistes afghans sont toujours dans leur pays. Pour ceux présents sur liste d’attente, il y a des États qui ont des plans avec des corridors humanitaires comme par exemple l’Allemagne qui réalise toujours des évacuations. »

Mariam MANA : « Pour les réfugiés il y a deux types d’exil. Celui où vous n’êtes plus dans votre pays physiquement et l’autre, c’est l’exil de la langue. C’est ce dernier qui a été le plus dur pour moi. Pour les écrivains et les journalistes, la langue est notre outil de travail, nous gagnons notre vie grâce à elle. »

Najiba NOORI : « Avant le 15 août, on a vu se développer les assassinats ciblés contre les journalistes, le nombre de violences croître, mais on continuait de travailler. Mais quand les talibans ont marché devant chez moi, j’ai décidé de partir. »

Rateb NOORI : « Avec mon organisation, et toute la communauté, nous essayons de poursuivre le travail, de continuer à couvrir ce qui se passe. »

Solène CHALVON : « Il y a un vrai besoin de se coordonner. Les gens de l’ambassade de France sont des gens que l’on connaît depuis des années car il y a une communauté française très restreinte. »

Lotfullah NAJAFIZADA : « La différence entre l’avant, le pendant et l’après 15 août, c’est la même qu’entre le jour et la nuit. Avec une privation de liberté, aucun accès à l’information ni critique du gouvernement et les talibans qui demandent à être consultés au préalable avant toute diffusion. »

 

À RETENIR

Il y a beaucoup d’axes d’aide aujourd’hui pour les journalistes afghans. Il faut penser à ceux qui sont arrivés, mais aussi à ceux qui restent. Il faut maintenir la pression sur les chancelleries occidentales et donner des fonds aux organismes qui peuvent aider comme la Maison des journalistes, la Fédération européenne des journalistes ou Reporters sans frontières. Ils ont aussi un besoin de transfert de compétences, d’enseignement ou de matériel.

[LE DÉBAT] Jean-François Julliard (Greenpeace) et Philippe Martinez (CGT) : conjuguer fin de mois et fin du monde

Photo : Élea N’Guyen Van-Ky / EPJT
Retrouvez l’essentiel de l’événement « Le débat : Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France / Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT ».

Animé par Dorothée Moisan, journaliste, avec Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France et Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT.

Les enjeux

Vendredi après-midi, Jean-François Julliard, ancien journaliste et militant écologiste ainsi que Philippe Martinez, syndicaliste, se sont retrouvés pour un débat : Conjuguer fin de mois et fin du monde. En mai 2020, plusieurs syndicats et militants dont la CGT et Greenpeace France avaient sorti ensemble le plan « Plus jamais ça ! » Il proposait 34 mesures pour sortir de la crise.

Ce qu’ils ont dit

Philippe Martinez : « La CGT, contrairement à sa réputation, s’inquiète des questions du climat depuis une quinzaine d’années, en conjuguant questions sociales et environnementales. Nous nous interrogeons sur comment agir pour la préservation de la planète, sans perdre son boulot. »

« Nous réfléchissons à une autre forme de croissance. C’est pas « on abandonne toutes les industries et l’ancien monde ». Nous réfléchissons ensemble. Et les salariés ont plein d’idées. »

« [Avec Greenpeace], on essaye de nous éloigner mais on discute pour savoir ce qui nous éloigne et surtout ce qui nous rapproche. »

« Ce sur quoi on est pas d’accord, c’est le nucléaire. Nous on est pour, on pense que c’est une solution. Ça ne nous empêche pas de réfléchir sur la question des déchets, de l’extraction pour alimenter les centrales ou du refroidissement. »

Jean-François Julliard : « On arrive à dépasser les clichés qu’on peut avoir les uns envers les autres. On a des intérêts communs. »

« Il y a des sujets sur lesquels on n’est pas d’accord. On a beaucoup travaillé sur l’impact du secteur aérien ou automobile sur le climat. On n’a pas la même vision des réponses à apporter. Ça ne bloque pas la discussion. On a à cœur d’essayer de trouver des solutions. Sur la question de l’aérien, je suis enthousiasme sur comment on peut transformer le secteur afin de réinventer l’aéronautique de demain et permettre de faire vivre les salariés du secteur. »

Au sujet de la responsabilité des journalistes : « Il y a beaucoup de journalistes qui voudraient traiter des questions environnementales mais qui ont du mal à trouver des postes. Travailler dans la presse sur des sujets environnementaux, c’est difficile. »

À retenir

La CGT et Greenpeace font de l’environnement et des droits sociaux un combat commun. Le syndicat et l’ONG travaillent ensemble pour proposer des solutions en matière d’emploi et d’écologie. Le nucléaire reste cependant un de leur principaux désaccords.

Héloïse Weisz

[INTERVIEW] Franck Annese : « Le but, c’est de proposer des changements de pratiques »

Fondateur du groupe So Press, Franck Annese décrit l’évolution récente des pratiques journalistiques au sein de ses médias, liée à la crise du Covid mais aussi à la lutte contre le réchauffement climatique.

(Photo : Lucas Turci/EPJT)

Franck Annese s’est fait connaître en fondant le magazine So Foot en 2003. Vient ensuite Society puis, plus récemment, So Good. Tous ces magazines sont intégrés au groupe So Press, dont il est le patron.

La crise du Covid a-t-elle modifié votre façon de travailler au sein des médias de votre groupe ?

Ce serait mentir que de dire qu’il y a un avant et un après Covid dans notre rédaction. Pendant le premier confinement, on ne pouvait plus aller dans certains endroits parce que nous venions de Paris. On nous reprochait de diffuser le virus. Mais cela n’a été que temporaire. Il n’y a pas eu de changement fondamental, si ce n’est dans la généralisation du télétravail. Nous n’aimons pas forcer les gens à So Press mais, malgré tout, c’est bien quand il y a du monde à la rédaction.

Durant votre débat avec Fabrice Arfi, vous évoquiez les efforts de vos médias pour limiter votre empreinte carbonne. Pouvez-vous les décrire ?

Nous essayons de n’utiliser que du papier écologiquement vertueux. Ce n’est pas forcément du recyclé car ce n’est pas toujours mieux mais nous faisons attention à leur empreinte carbone. Nous utilisons aussi des colles différentes, plus écologiques. Au niveau de l’encre, il existe des encres végétales plus vertueuses mais leur très fort coût fait que nous ne pouvons pas les utiliser aussi souvent que nousle souhaitons. Nous cherchons aussi à réduire les trajets de nos journalistes, ne pas faire d’allers-retours systématiques. Dans le cas où les déplacements sont longs et polluants, nous ramenons plusieurs articles que nous pouvons exploiter dans les différents magazines du groupe. Nous avons lancé également une autre démarche : en fonction du nombre de kilomètres parcourus par nos journalistes, nous finançons la plantation d’arbres. Ça ne compense pas forcément mais c’est déjà un premier pas. La dynamique est enclenchée, elle va dans le bon sens, et nous allons continuer à réduire autant qu’on le peut notre empreinte climatique.

Vous avez lancé So Good en 2020, qui promeut le journalisme de solution. Est-ce pour vous le meilleur moyen de mobiliser face aux enjeux de la crise climatique ?

Nous avons vraiment deux logiques différentes avec So Good et Society. Society va plus dans la complexité des choses, montrer ce qui ne va pas, donner l’alerte… Ce n’est ni tout blanc ni tout noir. So Good, à l’inverse, met en avant des personnalités qui font bouger les lignes. Nous médiatisons des personnes qui sont sous-médiatisées. Le but, c’est de proposer des changements de pratiques, voire de vies. Ne pas imposer mais proposer. Mais il ne faut pas oublier qu’il est toujours nécessaire de lancer des alertes. C’est notre rôle.

Recueilli par Lucas Turci

[LE DÉBAT] Franck Annese et Fabrice Arfi : quel journalisme pour le monde d’après ?

(Photo : Manuela Thonnel/EPJT)
Retrouvez l’essentiel du débat entre Franck Annese et Fabrice Arfi.

Animé par Jérôme Bouvier, le débat a réuni Fabrice Arfi, co-responsable du pôle enquête chez Médiapart, et Franck Annese, P.D-G du groupe So Press.

Les enjeux

L’un multiplie les titres de magazines et les reportages, l’autre prospère en ligne et s’illustre par ses enquêtes. Tous deux sont à la recherche du meilleur modèle médiatique pour transmettre à leurs lecteurs une information indépendante, avec un impact environnemental moindre. Fabrice Arfi et Franck Annese exposent les choix qu’ont fait leur média pour concilier le fond et la forme.

Ce qu’ils ont dit

Fabrice Arfi : « En acier, en papier, en bambou, ce qui compte ce n’est pas l’assiette mais ce qu’il y a dedans. Internet a ses propriétés, mais ce qui compte c’est de transmettre une information utile aux citoyens. La question du médium n’est pas la plus importante. »

« La Santé publique est devenue pour nous un problème centrale, de sorte que l’intégralité de la rédaction s’est réorganisée autour de la pandémie. Comme toute crise majeure, la pandémie a redéfini la vérité factuelle. On a bien vu l’effacement de la frontière entre le vrai et le faux. Le journalisme a été requis pour ne pas succomber à des émotions tribales. »

« Dans l’ancien monde, on disait qu’une bonne rédaction était une rédaction vide, parce que les journalistes étaient sur le terrain en train d’enquêter. Mais quand les journalistes se retrouvent, c’est dans ces interstices là que naissent les meilleurs moments. On est toujours plus fort quand on fait une enquête à plusieurs, je crois à l’intelligence collective. Avec le distanciel, de fait, les gens reviennent moins dans les rédactions. Si les gens se sentent mieux chez eux pour travailler et qu’ils ont de bonnes idées, on ne va pas les forcer à venir. »

« Quand on est un citoyen consommateur d’information, on n’a pas toujours conscience de l’impact qu’ a le modèle économique sur la production. La gratuité a aussi des conséquences. On est plus dans une logique de public, on est dans une logique d’audimat. On va faire davantage de papiers, plus courts. On va faire plus de clics et on a moins de temps pour faire des papiers longs et sortir du blabla. Pour beaucoup de gens l’information est utile, mais on a du mal à se dire qu’il faut la payer. »

« Nous n’avons aucune étude sur le succès d’un article. Ce qu’on sait au regard de ce qui se dit sur les forums, c’est que l’écologie est un sujet majeur dans les préoccupations de ceux qui nous lisent. »

Franck Annese :  « Les habitudes de télétravail sont rapidement prises et il faut essayer de raisonner ces habitudes qui sont assez peu favorables à un travail journalistique. Il n’y a jamais eu de présence obligatoire chez So press. Puis la présence a été interdite. Les gens venaient beaucoup et maintenant ils viennent moins. »

« Je ne crois pas plus au papier qu’au digital. Ce que je sais, c’est que quand on n’a pas beaucoup d’argent, c’est plus facile de lancer un magazine papier. On a une connaissance du kiosque, qui fait qu’aujourd hui on prend moins de risques avec le papier. Exister dans l’océan Google, c’est compliqué, il faut savoir se distinguer. La différence entre les supports n’est pas très flagrante. Ce qui est important, c’est que les gens payent pour de l’information, que ce soit en digital ou en papier. »

« Si on n’avait pas lancé So good, on serait beaucoup moins vertueux sur le plan environnemental aujourd’hui qu’on ne l’est. La colle, le papier, le blister, on a innové avec plus ou moins de succès en faisant une partie des impressions sans utiliser d’emballage. Il y a des magazines qui arrivent défectueux, une bonne partie des gens qui signalent le problème ne souhaitent pas se faire renvoyer le numéro. Il y a trois ans, on n’aurait eu que des insultes. On sent que les mentalités évoluent peu à peu. »

À Retenir

Papier ou web, l’information se monnaye. C’est du moins le point de vue partagé par Franck Annese et Fabrice Arfi. Pour proposer des contenus de qualité et regagner la confiance des lecteurs, les entreprises de presse doivent conquérir une forme d’indépendance économique qui passe par le financement des citoyens.

Manuela Thonnel

[LE RÉSUMÉ] Quatre initiatives en faveur de la diversité dans les médias

Photo : Lucas Turci/EPJT

Retrouvez l’essentiel de l’événement « Quatre initiatives en faveur de la diversité dans les médias ».

Animé par Anne Bocandé, journaliste indépendante et cheffe de projet incubation médias au Medialab 93, avec Maxime Daridan, BFM TV, Lannuaire vu des quartiersMarc Epstein, président de La chance, pour la diversité dans les médiasRyad Maouche, rédacteur en chef du média en ligne Frictions.co ; Claudia Rahola, responsable du comité « diversité » de lAFP.

Les enjeux

Les gilets jaunes, le mouvement Black Lives Matter, l’élection de Donald Trump, le Brexit… Ces dernières années, de nombreux événements de grande ampleur sont venus surprendre les médias. Ces pressions populaires interrogent sur le traitement de l’information par les journalistes, leurs biais mais aussi leur représentativité. Comment les médias peuvent-ils sortir de cette ornière et afficher un visage plus pluraliste ?

Ce qu’ils ont dit

Maxime Daridan : « L’annuaire des quartiers regroupe plus de 1500 Quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). C’est un outil de facilitation entre habitants de quartiers populaires, dans le modèle du manuel des expertes. Il permet aux journalistes de mieux comprendre les sujets liés aux quartiers et de générer de nouvelles idées. Le succès, on l’aura quand les marronniers seront traités avec des publics bien plus diversifiés dans ces quartiers défavorisés. »

Marc Epstein : « Le chiffre dont on est le plus fier, c’est celui des anciens de notre formation La chance qui deviennent journalistes : 75 %. »

« C’est très important que des jeunes journalistes soient issus de milieux divers pour enrichir la conversation le matin en conférence de rédaction, quand on discute du traitement des angles, des sources… Représenter la diversité de la population, c’est notre travail. »

Ryad Maouche : « Pour Frictions, nous sommes partis d’un constat assez simple : les sujets de conversation sont devenus mondiaux, dépassent les frontières, mais leur perception change selon le lieu où l’on vit. On veut documenter ces différentes perception. C’est un travail de PQR à l’échelle mondiale. »

Claudia Rahola : « On se rend compte que le profil des journalistes est un peu le même. Nous avons monté le comité « diversité » pour diversifier les profils. »

« Aller plus loin, ça veut dire aussi faire beaucoup plus de mentoring, aller à la recherche de gens qui ne sont pas dans les écoles, qui ont eu une expérience professionnelle avant qui n’a rien à voir avec le journalisme. »

À retenir

Le baromètre du CSA mesure depuis 2009 la diversité dans les médias audiovisuels. Son dernier rapport dresse un portrait robot du journaliste à la télévision : un homme blanc, valide, âgé de 35 à 49 ans, vivant en ville et issu d’une catégorie socio-professionnelle supérieure. Face au manque de diversité dans les rédactions et aux biais que cela crée, de nombreux médias cherchent à aller vers plus de pluralisme. Les défis sont nombreux mais les initiatives aussi.

Lucas Turci

[LE RÉSUMÉ] Climat, biodiversité : de la nécessité de travailler en réseau

"Conférence
(Photo : Manuela Thonnel/EPJT)

Retrouvez l’essentiel de l’événement « Climat, biodiversité : de la nécessité de travailler en réseau ».

 

Animé par Sophie ROLAND, journaliste-réalisatrice et formatrice pour Solutions Journalism Network, l’atelier a réuni Anne HENRY-CASTELBOU, journaliste Radio RCF Hauts de France et presse économique régionale, responsable du réseau régional des Journalistes pour la Nature et l’Ecologie (JNE), Kristen FALC’HON, membre fondateur de Splann! et Laurent RICHARD, fondateur de Forbidden Stories. Leila MINANO, secrétaire générale de Disclose, aurait également dû être présente, mais s’est décommandée en apprenant la participation de Nicolas Hulot à l’événement, précise Sophie Roland.

Les enjeux

Les journalistes qui traitent des questions écologiques se retrouvent souvent isolés, indépendants ou au sein des rédactions. Ils subissent les pressions de la part des politiques, des industriels, des mafias… En apprennant à travailler en équipe, les journalistes mettent en commun leurs compétences et leurs ressources. Par la collaboration, ils espèrent donner un nouvel écho à leurs sujets et peser davantage dans la balance.

Ce qu’ils ont dit

Laurent Richard : « Cela fait une bonne trentaine d’années que le journalisme collaboratif se développe. On a besoin de ressources de talents d’expertises dans tous les pays du monde. Cela serait dommage de faire ça tout seul mais cela va à l’encontre de toutes nos expériences personnelles précédentes. On est souvent des loups solitaires, à la recherche du scoop qu’on veut sortir et qu’on ne veut pas partager avec d’autres. »

« On essai de composer une équipe de rêve à chaque fois et c’est assez fabuleux comme aventure. Chacun met son ego au vestiaire. On sait que l’on enquête sur des histoires extrêmement dangereuses, c’est aussi le sens de la collaboration, car ça ne sert à rien de tuer un journaliste s’il y en a 30 autres qui arrivent derrière. On est un espèce d’énorme éléphant qui se déplace. C’est aussi une aventure humaine, nous n’avons pas la même culture, la même façon de communiquer, des approches et des lois différentes. »

« Toute enquête ne se prête pas à la collaboration, mais juridiquement, en termes de sécurité ou économique, ça a du sens. Je trouve ça dommage que ce ne soit pas enseigné comme un socle dans les écoles de journalisme. C’est une façon de redéfinir la profession, de s’enrichir des autres cultures. Il y a plein d’obstacles, de contraintes à gérer, mais je pense que le journalisme collaboratif est l’avenir et devrait être un peu plus pris en considération. »

Kristen Falc’hon : « Nous avons vocation à travailler, à chaque fois, avec d’autres médias. Lancer un média tout seul, c’est prendre le risque de parler dans le vide. Pour chaque enquête que l’on ouvre, on travaille avec d’autres médias qui s’engagent à publier eux-aussi l’enquête. À partir du moment où les médias nationaux s’intéressent à des questions, ça change la donne. Il y a tout de suite des pressions supplémentaires sur les acteurs locaux. »

« On n’a pas les mêmes infos quand on est à Brest que quand on est en Centre-Bretagne. En travaillant ensemble, on a par exemple donné une dimension systémique à la pollution à l’ammoniaque dans notre dernière enquête. »

« Ce sont des réunions téléphoniques à n’en plus finir, pendant des heures et des nuits. C’est assez éprouvant. On a quand même besoin de se retrouver physiquement. On a envie de cette euphorie collective. On voit chacun sur nos écrans que les choses bougent, mais on a envie de le partager à plusieurs. »

Anne Henry-Castelbou : « Les journalistes en région qui travaillent sur les sujets écologiques sont souvent seuls dans leur rédaction ou lorsqu’ils sont indépendants. On se voit comme des concurrents lorsqu’on ne se connait pas. »

« Nous avons intérêt à travailler ensemble pour sortir des discours institutionnels et de l’actualité chaude. Les journalistes échangent entre eux au sein des rédactions. C’est aussi ça le travail collaboratif. Il y a plein de moyens de le faire émerger, mais on peut tous monter en compétence. »

À retenir

Mettre en commun les ressources, se nourrir d’autres cultures et collaborer semble être l’une des clés pour donner une nouvelle profondeur à l’investigation.  En faisant front commun, les journalistes entendent lutter contre les pressions dont ils sont victimes, mais aussi donner une nouvelle profondeur à leur enquête. Pour cela, ils doivent mettre de côté leur ego, dépasser le sentiment de concurrence. Ce n’est plus la signature qui compte mais bien transmettre une information globale et approfondie.

Manuela Thonnel

[LE RÉSUMÉ] Média et climat, une perspective historique en partenariat avec le GIS journalisme

Photo : Paul Vuillemin /EPJT

Retrouvez l’essentiel de l’événement « Média et climat, une perspective historique en partenariat avec le GIS journalisme »

Animé par Claire BLANDIN, professeure des universités à la Sorbonne avec Anne-Claude AMBROISE-RENDU, professeure d’histoire contemporaine à l’UVSQ/Université Paris Saclay ; Michel DUPUY, chercheur associé à l’Institut d’Histoire moderne et contemporaine ; Nathalie TORDJMAN, membre des Journalistes écrivains pour la nature et l’Ecologie (JNE).

LES ENJEUX

L’étude historique de la presse permet de cerner les évolutions des articles sur l’écologie. Des premiers sujets au XIXe siècle jusqu’à aujourd’hui, l’analyse des archives, comme celles du JNE, et le travail des historiens, est un apport majeur pour comprendre le sujet.

CE QU’ILS ONT DIT

Anne-Claude AMBROISE-RENDU : « En 1969, on a un bouillonnement de la presse alternative autour de nouvelles questions, dont la presse écologiste »

« Les préoccupations sur l’environnement ne datent pas des années 1970. Elles datent des débuts des ennuis, donc de la Révolution industrielle, avec une émergence dès la fin du XVIIIe siècle en Grande-Bretagne. En France, on a dès la fin du XIXe siècle les premiers articles sur la pollution des rivières dans la presse généraliste  »

Michel DUPUY : « Les catastrophes naturelles amènent de la recherche. Les désastres locaux touchent surtout les personnes des régions concernées, mais la canicule de 2003 a été un révélateur. Elle a touché l’ensemble du territoire français, donc elle a été un marqueur.  »

« En Allemagne, il y a eu de grandes tempêtes et chez eux la catastrophe agit comme un révélateur du réchauffement climatique. Elle permet une prise de conscience et amène des mesures concrètes. C’est la même chose en Suède. En revanche, en Italie, les incendies de forêts ne participent pas à une prise de conscience du changement climatique. »

Nathalie TORDJMAN : « Des études médias ont été faites chez les JNE en 1997, 2002 et 2005. Elles ont montré que l’’association permettait aux confrères et consœurs d’avoir un poids plus important dans leur rédaction. Ils arrivaient à faire passer plus de sujets. »
 

À RETENIR

Les années 1970 ont représenté un moment clé pour le développement de l’écologie dans les médias. Une presse écologiste émane de la contre-culture avec des titres militants. Des associations comme la JNE ont aussi permis aux journalistes de davantage s’exprimer sur ces sujets, et de pousser l’écologie au premier plan en poussant notamment la candidature du premier candidat écologiste lors de l’élection présidentielle de 1974, René Dumont. L’étude historique de la presse permet de voir les spécificités françaises et son évolution au fil du temps.

[LE RÉSUMÉ] Fake news, climat et pandémie

Photo : Lisa Morisseau/EPJT

Retrouvez l’essentiel de l’événement « Fake news, climat et pandémie »

Animé par Benjamin JULLIEN, responsable communication de la European Climate Fondation, avec David SALAS Y MELIA, chercheur chez Météo France et Yves SCIAMA, président de l’Association des Journalistes Scientifiques Professionnels d’Information (AJSPI).

LES ENJEUX

La crise climatique ainsi que la crise pandémitfque font l’objet de nombreuses fake news. Des informations trompeuses sèment le doute sur la gravité des risques écologique et sanitaire. Vendredi matin, l’atelier a notamment montré que les journalistes jouaient un rôle majeur dans cette chasse aux fausses  informations et plus généralement dans la couverture du dérèglement climatique.

CE QU’ILS ONT DIT

Yves SCIAMA : « Dans les années 2000, on nous disait qu’il n’y avait pas de réchauffement climatique. C’était la faute du Soleil. Il y avait un champ scientifique traversé par les fake news. Finalement, aujourd’hui nous sommes dans une situation différente, dans une société climatosceptique de fait. On dit qu’on croit au réchauffement climatique mais en pratique, on se comporte comme s’il n’existait pas. Les fake news sont originales, différentes. C’est un espèce de silence devant l’inaction. » 

« Il y a un problème d’illettrisme scientifique de la machine médiatique. Les journalistes ont besoin de se former. »

David SALAS Y MELIA : « Les courbes augmentent. L’an dernier, à cause des mesures de la pandémie, il y a eu une réduction brutale de 7 % des émissions de CO2. Cette baisse, c’est ce qu’il faudrait tous les ans jusqu’en 2030 pour atteindre les objectifs de la COP 21. »

Un journaliste présent dans le public a pris part au débat : « Le raisonnement, décroître pour résoudre le problème est faux. Philosophiquement, ce n’est pas possible de se mettre dans cet état d’esprit. »

Une journaliste indépendante a quant a elle affirmé : « Le problème du climat, c’est générationnel. La plupart des jeunes diplômés ont cette idée de sobriété, de moins consommer. Mes parents par exemple nous taxent de pessimiste. Il y deux visions différentes dues à l’imaginaire dans lequel on a été élevés. »

À RETENIR

Le réchauffement climatique n’est pas seulement un sujet de curiosité journalistique. Les journalistes doivent se former à la parole scientifique pour couvrir avec rigueur l’actualité liée à l’environnement et au climat. Et être en mesure de contredire, ou d’éclairer les déclarations des candidats à l’élection présidentielle par exemple.

Héloïse Weisz

[LE RÉSUMÉ] Voici les gagnants des prix des Assises 2021

Photo : Romain Leloutre/EPJT

Les prix des Assises 2021 ont été remis ce jeudi 30 octobre par le journaliste Patrick Cohen, président du jury. Le magazine scientifique Epsiloon et la dessinatrice COCO ont notamment été récompensés.

 Les prix des Assises internationales du journalisme de Tours récompensent chaque année les publications des douze derniers mois qui interrogent le mieux le journalisme et éclairent la pratique du métier. Patrick Cohen, président du jury, a récompensé les différents journalistes et auteurs jeudi 30 octobre 2021.

Retrouvez tous les nommés aux différents prix ici.

Le Grand prix du journalisme Michèle Léridon 

Le grand prix du journalisme des Assises distingue la ou le journaliste, le média, le collectif ou l’action éditoriale qui a le mieux honoré les valeurs du journalisme lors de l’année écoulée. Le magazine scientifique Epsiloon remporte le prix.

Epsiloon, c’est une aventure menée par douze journalistes qui ont préféré quitter le journal autrefois référent mais aujourd’hui malmené Sciences & vie afin de créer un magazine d’information scientifique indépendant et rigoureux.

«Ce prix et cette reconnaissance de la profession ont une importance pour nous car si nous avons eu l’envie et l’énergie de relancer un magazine papier juste après le Covid et plus encore au XIXe siècle, c’est parce que l’on aime profondément notre métier et qu’on y croit », a déclaré Mathilde Fontez, corédactrice en cheffe d’Epsiloon

Le prix du livre du journalisme

La dessinatrice de presse COCO  est distinguée pour Dessiner encore, sa première bande dessinée, sortie en mars 2021, où elle raconte sa vie depuis l’attentat à Charlie Hebdo de janvier 2015.

« Je suis très heureuse. Mais pour être très honnête, j’ai toujours du mal à me réjouir car ce livre n’aurait jamais dû exister. Mais, finalement, il existe car il faut pouvoir raconter et témoigner pour que la mort n’ait pas le dernier mot. Moi j’ai choisi de me tourner vers le journalisme et le dessin. Ce livre c’est un livre sur la solitude, l’esprit d’équipe, l’esprit d’une rédaction mais surtout l’esprit Charlie qui était représenté par des gens formidables et engagés qui défendaient des valeurs fondamentales », a témoigné COCO, la voix tremblante.

Le prix Recherche 

Ce prix récompense le meilleur livre de recherche sur le journalisme et sa pratique. Il est remis par un collège de sept chercheurs. Marie-Noëlle Doutreix en est la grande gagnante avec son livre 2020, Wikipédia et l’actualité. Qualité de l’information et normes collaboratives d’un média en ligne. 

Le prix Enquête et reportage

Ce prix est remis par vingt-huit étudiants issus des quatorze écoles de journalisme reconnues par la CEJ (Conférence des écoles de journalisme) dont l’EPJT fait partie. Le documentaire de Marie Portolano « Je ne suis pas une salope, je suis journaliste » sur le sexisme et la place des femmes dans le journalisme sportif a conquis les futurs journalistes.

« Ce qui me touche particulièrement c’est que ce sont des étudiants qui ont décerné le prix donc j’ai un peu l’impression de les avoir aidé », a souligné émue Marie Portolano. Guillaume Priou, coréalisateur du documentaire, a ajouté : « Si nous avons pu faire un peu avancer les choses, nous en sommes très fiers. »

 

Baromètre social des Assises 2021 : ces journalistes qui quittent la profession

Comme chaque année, le traditionnel baromètre social des assises a été présenté par Jean-Marie Charon, sociologue des médias et chercheur au CNRS et à l’EHESS.

En 2020, 34 182 journalistes étaient détenteurs de la carte de presse. Depuis vingt ans, ce chiffre ne cesse de baisser. Dans « Hier, journalistes, ils ont quitté la profession« , Jean-Marie Charon et la chercheuse Adénora Pigeolat poursuivent l’enquête sur les raisons pour lesquelles il y a de moins en moins de journalistes en France. Pour la présentation de cette recherche, la co-directrice de l’Ecole Universitaire de Journalisme de Bruxelles, Florence Le Cam, était présente aux côtés du sociologue. L’occasion pour elle de présenter les conclusions de son travail de recherche sur la situation des journalistes belges.

Quinze ans : c’est la durée moyenne de la carrière d’un journaliste en France. Si le chiffre avait déjà suscité la surprise et l’émotion lors des 11e Assises du journalisme en 2018, plusieurs explications ont été mises en avant pour comprendre la situation.

  • Des jeunes journalistes formés

Sur un panel de 55 personnes, la moitié est âgée de 35 ans ou moins, soit à peine une dizaine d’années d’exercice du métier. Dans la très grande majorité, ces personnes avaient suivi une formation au journalisme. Parmi elles, les deux tiers sont diplômés d’une école « reconnue » par la profession.

  • Une forte précarité

Une majorité des journalistes qui ont quitté la profession ont connu des périodes de précarité (statut de pigiste, CDD, autoentrepreneuriat, chômage, etc.). Parmi ces professionnels précaires, les femmes sont surreprésentées.

  • Une majorité de femmes

Les journalistes qui quittent la profession sont en majorité des femmes. Sur un panel de 55 personnes, elles représentent deux personnes sur trois. Un chiffre étonnant notamment dans un pays où l’on approche la parité chez les journalistes détenteurs de cartes de presse (en 2020, les femmes représentaient 47,5 % des cartes de presse).

  • Un désenchantement et une perte de sens

« ‘Ce n’est pas le métier que nous voulions faire« . C’est l’une des phrases qui revient de façon récurrente chez les personnes interviewées. Selon Jean-Marie Charon, un ensemble de facteurs permet d’entrevoir ces départs mais l’élément premier concerne les valeurs. Les journalistes arrivent dans le métier avec une idée bien précise mais ne s’y retrouve finalement pas. « Plusieurs personnes du panel ont confié avoir voulu faire ce métier au service des autres, de la société et explique avoir un sentiment de lassitude, d’effectuer un travail superficiel et redondant« , explique Jean-Marie Charon.

  • Souffrance au travail, burn-out et discriminations

La dureté et la pression excessive du travail de journaliste conduisent à des situations de souffrance au travail pouvant aller jusqu’au burn-out. Aussi, pour le sociologue Jean-Marie Charon, tout ce qui entoure les violences et le harcèlement est « extrêmement massif ». Le deuxième grand registre des facteurs spécifiques intervenant dans le départ des femmes est celui des discriminations liées au genre.

[LE RÉSUMÉ] Agriculture et journalisme : « Je t’aime, moi non plus »

(Photo : Romain Leloutre/EPJT)

Animé par Jacques Trentesaux, directeur de la rédaction et co-fondateur de Médiacités. Avec Juliette Duquesne, journaliste et autrice ; Morgan Large, journaliste chez Radio Kreiz Breizh ; Michel Lepape, vice-président  en charge de la coordination à la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricole du Centre-Val de Loire (FDSEA), céréalier à Saint-Flovier ; Samuel Petit, rédacteur en chef du Télégramme. 

 

LES ENJEUX

La société se transforme et le regard change sur l’agriculture, en lien avec les questions environnementales. Les agriculteurs incarnent le rapport à la terre mais sont aussi critiqués selon le type d’agriculture qu’ils exercent. Eux dénoncent la vision donnée par les journalistes dans les médias. Ceux-ci ont parfois du mal à traiter des questions agricoles, par manque de temps, de connaissances ou à cause des pressions qu’ils peuvent subir.

CE QU’ILS ONT DIT

Samuel Petit : « On est de plus en plus éloigné du milieu agricole, on a une image fantasmée. C’est l’un des problèmes entre les médias et l’agriculture. »

« Quoiqu’on écrive, les agriculteurs nous le reprochent et les environnementalistes aussi. »

Michel Lepape : « On est des paysans, certains sont des taiseux. On aime rencontrer des gens, mais on a l’impression que les journalistes ne peuvent pas creuser les sujets, qu’ils n’ont pas le temps. »

« Il y a un discours qui est dicté, c’est sûr, c’est dommage. À l’image de la société, est-ce qu’on a gardé un sens critique ? C’est pareil dans l’agriculture, peut-être qu’on a perdu notre sens critique car on a perdu notre indépendance intellectuelle. »

Morgan Large : « On a dépossédé les agriculteurs de la capacité à communiquer eux-mêmes. La communication est pilotée par l’agroalimentaire. »

« Je ne suis pas persuadée que ce soit aux journalistes d’apporter des solutions. »

Juliette Duquesne : « Il y a des difficultés pour traiter le sujet agricole. À un moment, je me suis épuisée à pousser ces sujets à l’antenne donc j’ai décidé de faire du journalisme autrement : je suis maintenant journaliste indépendante. C’est révélateur du financement des médias et du débat médiatique actuel. »

À RETENIR

La discussion a mis en lumière des divergences sur la manière d’informer sur l’agriculture, entre les journalistes eux-mêmes. Certains type d’articles ou certains sujets peuvent faire craindre un agribashing mais c’est l’agriculture et non les agriculteurs qui sont au cœur des critiques.

Camille Granjard

[LE RÉSUMÉ] Biodiversité et climat, même combat ?

Retrouvez l’essentiel de l’événement « Biodiversité et Climat, même combat ? ».

Animé par Dominique Martin-Ferrari, journaliste spécialisée et autrice du coffret multimédia « mémoires RIO+20, 1992/2012 », avec Pascale Larmande, animatrice régionale de l’Agence Régionale de la Biodiversité Centre-Val de Loire ; Chaymaa Deb, journaliste environnement au sein du média en ligne de l’écologie et du climat Natura Sciences ; Christophe Cassoux, directeur de recherche au CNRS (en distanciel) et François Gemmene, chercheur en sciences politiques, rattaché à l’université de Liège et enseignant à Sciences Po (en distanciel).

LES ENJEUX

Depuis plus de trente ans, le GIEC travaille à la compréhension des risques liés au changement climatique. Mais qu’en est-il de la biodiversité ? Créée en 2012, la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) travaille spécifiquement sur ces sujets. Ensemble, journalistes, chercheurs et scientifiques se sont questionné sur le traitement médiatique de ces deux phénomènes intimement liés et sur les actions à mener pour faire face à ce double défi.

CE QU’ILS ET ELLES ONT DIT

Christophe Cassou :  « Le 6e rapport du GIEC a été présenté sur une chaîne TV comme écrit par deux personnes. En réalité, il y a derrière ce rapport 234 scientifiques de 64 pays. Le processus de relecture a conduit à 78 000 commentaires et 32 000 commentaires des gouvernements, aujourd’hui accessibles au public. »

« L’un des faits établis de ce nouveau rapport est le suivant : il est sans équivoque que l’influence humaine a réchauffé l’atmosphère, les océans et les continents.»

François Gemmene« Au vu de toute l’expertise rassemblée au sein du GIEC, je pense que nous avons une responsabilité collective pour tenter d’améliorer la communication de la science vers le grand public mais aussi vers les décideurs. A force de donner l’alerte, celle-ci va finir par remplacer l’action. Il faut que la science explique l’action autrement. »

Pascale Larmande :  « La biodiversité, c’est un peu un mot de technicien. Dans la conscience collective, le mot le plus simple c’est la nature. Le premier constat, c’est que cette nature n’a pas besoin de nous. En revanche, nous on ne peut pas s’en passer : pour s’alimenter, pour s’habiller, pour se loger, pour notre santé. Nous nous sommes au fil du temps éloignés de cette évidence. »

Chaymaa Deb :  « Est-ce qu’on met la question climatique et la question de la biodiversité sur le même point ? Oui et non car il y a des problématiques qui doivent être prises en compte par le public pour tendre vers ce monde dans lequel il serait plus désirable de vivre. Et non, parce qu’il y a dans la biodiversité un caractère de résilience. Nous, êtres humains, avons besoin de la nature contrairement à elle, qui n’a pas besoin de nous. »

À RETENIR

S’il semble essentiel de mener un combat global concernant l’urgence climatique et l’anthropocène, il est important de ne pas mettre de côté le combat de la biodiversité. Particulièrement locale et écosystémique, la biodiversité est, de par sa résilience, une source de solution au dérèglement climatique. Les enjeux ne sont pas les mêmes, les urgences non plus. Pour autant, l’international ne peut être déconnecté des problèmes locaux. Les professionnels présents ont évoqué la nécessité pour les journalistes de faire preuve de pédagogie en traitant de ces deux crises, mais également de l’importance de la formation des journalistes à ces questions scientifiques, particulièrement complexes.

Romane Lhériau

[LE RÉSUMÉ] Quelle info locale sur le climat ?

Retrouvez l’essentiel de l’événement « Quelle info locale sur le climat ? »

(Camille Granjard/EPJT)

Animé par Richard HECHT, Union des Clubs de la Presse francophones et de France, l’atelier a réuni Sophie CASALS, journaliste de solution à Nice Matin ; Pauline D’ARMANCOURT, responsable de la communication Agence Régionale de la Biodiversité Centre-Val de Loire ; Alexandre MARSAT, rédacteur en chef de Curieux! ; Samuel SENAVE, président France Nature Environnement Centre-Val de Loire ; Catherine SIMON, responsable départementale de La Nouvelle République du Centre Ouest pour « Foutu planète ».

LES ENJEUX

L’échelle locale recouvre de nombreuses problématiques environnementales, des transports à l’aménagement du territoire. Les lecteurs sont de plus en plus attentifs à ces questions et sont en demande d’informations. Les journalistes locaux doivent produire des contenus qui informent de la complexité des différents phénomènes. Il faut simplifier et travailler en réseau avec les chercheurs, les associations environnementales, les naturalistes etc. Il s’agit aussi de toucher d’autres publics, notamment les jeunes, très sensibles au sujet de l’urgence climatique, avec des nouveaux formats.

CE QU’ILS ONT DIT

Sophie Casals : « Le prisme de solution n’est pas un journalisme de bonnes nouvelles, on questionne nos experts. Le journalisme de solution, ce n’est pas rester sur le constat. Les lecteurs nous interpellent sur des sujets prospectifs. Notre impact est d’autant plus fort qu’on est en interaction avec nos lecteurs. »

«Beaucoup d’enjeux se jouent au niveau local. Tout ne se joue pas dans les métropoles, au contraire elles sont peut-être lourdes à faire bouger. »

Pauline D’Armancourt : « Il faut acculturer l’ensemble de la population, réussir à faire comprendre la complexité des phénomènes environnementaux et ensuite agir.  »

« Parfois, il y a des retranscriptions qui font que le propos scientifique n’y est pas, il y a des contre-sens. C’est le fruit du travail du scientifique qui a été manqué. »

Alexandre Marsat : « Curieux! a été créé en septembre 2018 pour déconstruire les fake news. Presque tout est lié aux sciences. On va sur le front, là où ça se passe, donc sur les réseaux sociaux. On est un média populaire, généraliste qui traite de sciences, et non pas un média scientifique. »

« On a des journalistes spécialisés dans le sport dans toutes les rédactions mais il y a pas de journalistes spécialisés environnement partout, alors qu’il y a une urgence climatique. C’est vraiment important de former les journalistes à l’environnement. »

Samuel Senave : « Ce qu’on attend, ce qui nous importe, c’est une restitution factuelle, qu’on retranscrive notre opinion sans biais. Ce n’est pas forcément ce qu’on retrouve. »

Catherine Simon : « Notre expérimentation s’appelle « Foutu planète ». C’est un groupe Facebook créé en avril 2019, pour faire avancer la place de l’environnement dans notre journal. On voulait créer une dynamique avec nos lecteurs, avoir une communauté. Dans le groupe, il y a des gens qui sont très pointus sur certains sujets. Cela permet d’identifier des experts et de pouvoir faire appel à eux. »

À RETENIR

Les journalistes s’approprient de plus en plus les questions sur l’urgence climatique mais doivent jongler entre pédagogie, simplification et restitution de faits complexes. Ils doivent composer avec les différentes ressources qui cherchent à diffuser les connaissances et expériences. Les lecteurs, eux, sont en quête de compréhension des enjeux contemporains et peuvent être mobilisés à l’échelle locale avec les médias.

Camille Granjard

[LE RÉSUMÉ] Médias, climat : quatre initiatives en Europe

Photo : Alexis Gaucher/EPJT

Retrouvez l’essentiel de l’événement « Médias, climat : quatre initiatives en Europe ».

Animé par Véronique Auger, présidente de l’Association des Journalistes Européens, avec Ségolène Allemandou, rédactrice en chef de ENTR (France Médias Monde) ; Gwenaëlle Dekegeleer, journaliste à la RTBF ; Hanna Lundquist, journaliste et spécialiste des médias à Journalisten (Suède) ; Gilles Vanderpooten, directeur de Reporters d’espoirs.

LES ENJEUX

La médiatisation des enjeux environnementaux est croissante. Un phénomène qui demeure toutefois insuffisant aux yeux de nombreux publics. Les quatre journalistes ont évoqué les initiatives autour du climat qui voient le jour dans les médias européens. Dans ce contexte, le journalisme de solutions suscite de plus en plus d’intérêt.

CE QU’ILS ONT DIT

Ségolène Allemandou : « ENTR, c’est la jeunesse européenne qui s’adresse à la jeunesse. On propose toutes les semaines des thématiques différentes pour créer du lien entre ces jeunes. »

« On est portés par France Médias Monde, on essaye d’être innovants en termes de storytelling en adaptant les formats ou en créant des contenus communs. »

Gwenaëlle Dekegeleer  : « On essaye toujours d’avoir une approche de plus en plus constructive. Mais les initiatives prises à la RTBF manquent encore de visibilité et de synergie. Il faut rassembler les acteurs pour créer une émulation positive. »

« Il y a des informations de fond qui manquent, il faudrait faire émerger une plateforme qui permettrait de décrypter les enjeux et pas uniquement de mettre en avant des initiatives. »

Hanna Lundquist : « Il se passe beaucoup de choses concernant le journalisme climatique en Suède. Un journal a décidé de ne plus diffuser de publicités qui concerneraient des énergies fossiles. Et le nombre d’abonnés a augmenté de 40 %. »

Gilles Vanderpooten : « Ce qui nous intéresse à Reporters d’espoirs, ce sont les angles constructifs. La base de notre réflexion, c’est de faire un état des lieux pour ensuite faire autre chose. »

« Il se passe beaucoup de choses grâce à des subventions issues d’appels à projets comme le programme européen d’échange et de formation Stars4Media. »

A RETENIR

Les publics recherchent avant tout des solutions et un traitement de l’information plus innovant. Les intervenants ont mis en avant l’importance de la mutualisation des moyens éditoriaux. Chacun prône une approche constructive des enjeux environnementaux et climatiques. L’idée d’une plateforme commune d’information, au niveau européen, prend de l’ampleur. Les projets collaboratifs apportent de multiples perspectives en fonction des pays.

Alexis Gaucher

[LE RESUME] Risquer sa vie pour le climat

Retrouvez l’essentiel de l’évènement « Risquer sa vie pour le climat »

Photo : Romain Leloutre/EPJT

Animé par Eric Valmir, secrétaire général de l’information de Radio France, avec Morgan Large, journaliste chez Radio Kreiz Breizh, Hugo Clément, présentateur de l’émission « Sur le Front » diffusée sur France 2 et Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières.

LES ENJEUX

« Alerte rouge pour le « journalisme vert » », publiait Reporter Sans Frontières en août 2020 alors que 10 journalistes avaient été tués en cinq ans pour avoir enquêté sur des questions environnementales. Pour les journalistes qui traitent de ces questions, la question de l’engagement est particulièrement prégnante. Faire leur travail, parfois, entraîne des menaces de mort à leur encontre, comme ça a été le cas pour Morgan Large. Défendre le métier et la mise en lumière de la vérité est au centre de leur combat.

CE QU’ILS ONT DIT

Hugo Clément : « Les journalistes sont pas les premières victimes. Les militants écologiques partout dans le monde se font assassiner. On est dans une situation de guerre de certaines institutions et de certaines industries contre ces militants. Et en tant qu’être humain, on est en guerre contre ce qui se passe et contre notre mode de vie. La déforestation, c’est une guerre contre les peuples d’Amazonie, sa faune et sa flore. Quand on sera le dernier maillon de la chaîne du vivant on tombera, je pense que le mot guerre n’est pas du tout usurpé. »

« Quand on voit tout ça de nos yeux, forcément ça change notre façon de voir le monde. J’ai pris conscience de tout ça et je pense que c’est nous les journalistes qui pouvons transmettre les informations entre les gens qui sont sur le terrain, les scientifiques et le grand public. Si on ne sait pas ce qui se passe, on ne peut pas agir. Pour le savoir, il faut montrer les choses. Les chiffres ne suffisent pas, c’est pour ça que les lanceurs d’alerte vont dans les élevages par exemple. »

Morgan Large : « Le danger, c’est l’autocensure. C’est difficile de choisir d’être précaire parce qu’on nous retire des subventions ou d’entendre parler de journalistes qui ont été brûlés vifs. Ce qui permet de continuer, c’est de voir l’exemple d’autres journalistes opiniâtres, de voir des jeunes aussi. Qu’on puisse bien travailler aussi dans des petits médias et s’emparer de ces sujets là. »

« Je suis journaliste, pas activiste. J’aimerais être plus engagée pour l’écologie. Mais si je milite pour quelque chose, c’est pour mon métier. C’est important qu’on puisse continuer d’enquêter, de montrer ce qui se passe et de pouvoir le faire librement. Je n’étais pas dans une démarche militante, j’ai reçu des menaces pour avoir fait mon métier. »

Christophe Delorme : « Le fait de rendre public un cas, ça protège. Le fait de susciter des réactions dans l’écosystème local, d’éviter l’autocensure de consœurs, de confrères, ça protège. Et puis dans le cas de Morgan Large, le fait qu’il y ait une enquête, et Reporters Sans Frontières sera entendu, a fait aussi cesser les menaces. »

« L’enjeu qui nous concerne tous, c’est d’apporter des éléments factuels à un plus grand nombre de lecteurs pour que les institutions agissent en conséquence. »

A RETENIR

La question de la neutralité journalistique a vite été éludée lors des différentes prises de parole. Travailler sur les questions environnementales est un engagement en soi et vu comme tel par les lecteurs. L’enjeu est alors de rendre compte de la situation telle qu’elle est sur le terrain, de donner des faits et de pouvoir continuer à le faire. Hugo Clément n’hésite pas à faire appel au champ lexical de la guerre pour parler de la crise climatique, mais le combat des journalistes qui s’intéressent à ces questions est avant tout un combat pour la défense de leur métier comme le souligne Morgan Large.

[INTERVIEW] Jean Jouzel : « On a laissé trop de place au climatoscepticisme »

Pour parler correctement du climat, le chercheur Jean Jouzel prône un journalisme responsable incluant scientifiques et non-spécialistes.

Paléoclimatologue, ancien vice- président du Giec, de 2002 à 2015, Jean Jouzel est reconnu pour ses travaux de recherche sur l’évolution du climat. Il est lauréat de nombreuses distinctions scientifiques, parmi lesquelles la médaille d’or du CNRS (2002). Sous sa vice-présidence, le Giec se voit décerner en 2007 le prix Nobel de la paix, avec Al Gore, alors vice-président des États- Unis, pour leur engagement dans la lutte contre les changements climatiques.

Après quarante ans de prise de conscience, quel diagnostic faites-vous du traitement de l’urgence climatique dans les médias ?

Jean Jouzel. Je pense que nous avons d’excellents journalistes qui traitent de ces problèmes. La place donnée à l’environnement et au climat est en général satisfaisante dans les médias. C’est le cas dans la presse écrite, ça l’est de moins en moins à la radio tandis que la télévision ne donne plus qu’un espace minime aux scientifiques. Certains, pour se différencier, ont mis en avant une forme de climatoscepticisme et ont donné une parole à ses défenseurs même s’ils ne représentent que quelques scientifiques isolés. C’est regrettable car je pense que les médias jouent un très grand rôle dans l’acceptation par la population de la réa- lité du changement climatique.

Les journalistes doivent-ils continuer à donner la parole aux climatosceptiques ?

J. J. Oui, ceux-ci doivent aussi pouvoir s’exprimer, c’est quelque chose de légitime. Cela me semble logique que certaines personnes se disent : « Mais est-ce que les scientifiques ont vraiment rai- son ? » Surtout lorsque cela implique une refonte complète de notre société. C’est un scepticisme constructif. L’enjeu im- pose cependant un débat d’arguments. Il faut sortir des dogmes. C’est au journaliste de comprendre qu’il ne peut pas donner la parole à un interlocuteur qui nie le réchauffement climatique sans argument. Trop souvent cela a été le cas, nous avons laissé trop de place au climatoscepticisme.

Dans les médias, la question du réchauffement climatique est-elle le domaine réservé des journalistes scientifiques ?

J. J. Non, au contraire, il faut que les journalistes d’actualité, d’économie, de société écrivent sur cette question. Il est tout à fait justifié qu’un journaliste, sans grande culture scientifique, parle de sujets qui touchent directement au réchauffement climatique, à ses causes, à ses conséquences, à ses solutions. Il n’a besoin que de sa propre culture et d’un esprit d’ouverture. L’aspect scientifique est important mais c’est avant tout un problème de société majeur.

Recueilli par Léobin DE LA COTTE et Romain LELOUTRE

[INTERVIEW] Laure Noualhat : « Il faut s’aligner avec le vivant »

Journaliste indépendante spécialiste de l’environnement, Laure Noualhat prône une vision radicale de l’écologie.

BIO EXPRESS

1974 Naissance à Avignon.

1994-1996 Études à l’école d’ingénieurs Télécom Sud Paris.

1996-1998 Formation en journalisme à l’IPJ à Paris (presse écrite et radio).

2000-2014 Journaliste à Libération au service Terre.

2007-2015 Elle tient un blog Six pieds sur terre

2020 Parution de son livre Comment rester écolo sans finir dépressif.

2014-2021 Journaliste indépendante (écriture, enquête, réalisation). Elle intervient régulièrement dans Causette, sur France Inter ou Arte.

En 2014, victime d’éco-dépression, Laure Noualhat quitte Paris et son CDI à Libération pour se mettre au vert, dans une grande maison partagée de l’Yonne. C’est de ce lieu à son image, authentique et naturel, qu’elle mène ses projets de films, comme Après demain qu’elle coréalise en 2018 au côté de Cyril Dion.

L’entretien a lieu dans sa bibliothèque, sans fioriture, près de son bureau jonché de feuilles. Elle raconte son mode de vie permacole, les causes de son éco-dépression et ses quatorze années au service Terre de Libé. À notre arrivée, surprise et ravie, elle affiche la couleur : « C’est dingue, pour une fois que je rencontre des jeunes journalistes qui s’intéressent à ces questions ! ».

Elle joue avec le bout de son pull-over, détache ses cheveux et engage rapidement le dialogue. Un contact facile qui témoigne de sa volonté de transmettre un message aux futures générations, en préconisant la résilience écologique. Devenue une référence dans le journalisme environnement, elle estime avoir atteint son objectif de vie : travailler en toute indépendance, sans patron, ni horaires. Au service de l’écologie.

Vous avez écrit l’ouvrage Comment rester écolo sans finir dépressif, dans lequel vous expliquez que l’éco-dépression n’est pas une fatalité. Vous en avez pourtant vécu une face à l’ampleur de l’urgence climatique. Comment l’éviter ou en sortir ?

Laure Noualhat. L’éco-dépression est une déprime liée à la dégradation continue et dramatique de l’environnement. Pour s’en sortir, je dirais qu’il faut avant tout embrasser totalement cette dépression. Lui dire que vous l’aimez, parce que c’est un signe de bonne santé. Je pense qu’il faut vraiment embrasser ces moments où l’on se dit : « Putain tout est foutu, il n’y a aucune perspective, notre destin commun, il est quand même mal barré . » C’est important de bien prendre la mesure de ce qui nous traverse, que ce soit la colère, l’impuissance, la peine, la peur, etc.

Ce qui revient à la notion de deuil…

L. N. Oui, le deuil du « Yes we can », du « Just do it ». Le deuil de tout ce qu’on nous a appris et même de tout ce que l’on m’a appris. Ensuite, mon deuxième conseil, ce serait d’en parler. Se rapprocher de personnes qui vivent la même chose.

Mon troisième conseil c’est la réconciliation avec soi-même. Bien faire le distinguo entre la notion d’effondrement et l’effondrement intime dans lequel ça résonne. Donc distinguer de quel effondrement on parle, ce qui résonne en nous et sur quoi s’appuie cette peur. Enfin, quatrième conseil : aller faire des stages. Personnellement, ce qui m’a vraiment nettoyé, ce sont des ateliers collectifs appelés « stages de travail qui relie ». Ils permettent de se reconnecter avec la nature. Pour moi, il y a eu un avant et un après.

 

« Si nous faisons passer l’information et que 100 000 personnes nous lisent, Alors cela mérite les 20 tonnes de CO2 émises pour aller aux États-Unis »

 

Comment allier un mode de vie décarboné aux contraintes de mouvement que le métier de journaliste implique ?

 

L. N. En faisant du slow journalisme. Par exemple, j’ai fait beaucoup de voyages en train pour aller couvrir des COP [conférences pour l’environnement]. Je suis allée à Poznań, en Pologne. En train, cela prend une quinzaine d’heures. Tu peux voyager doucement. L’Europe est toujours à portée de train. C’est cher mais tu peux payer la différence ou négocier auprès de la production. Après, je ne peux pas dire grand chose là-dessus parce que j’ai aussi beau- coup pris l’avion. Si j’avais fait un enfant [ce qu’elle a refusé par choix écologique] mon bilan carbone aurait été inférieur à celui de mon bilan carbone aéronautique. Alors comment concilier un mode de vie écologique avec mon travail ? C’est la grande question. On essaie souvent de se racheter une conscience. Si nous faisons passer l’information et que 100 000 personnes nous lisent ou que 1million d’individus regardent le film, alors ça mérite les 20 tonnes de CO2 émises pour aller aux États-Unis. Puis, un beau jour, on décide de ne plus prendre l’avion, de faire du journalisme local, parce que, de toute façon, les enjeux globaux ont intégré les localités proches de chez nous. Nous pouvons remarquer ici, à Joigny, les effets du réchauffement climatique, les problèmes de territoires entre « pesticideurs » et riverains, entre chasseurs et urbains.

Quel est votre regard sur le journalisme de solution ? Comment devons-nous nous placer à l’avenir dans notre exercice de journaliste ? Faut-il être alarmiste ou proposer des solutions ?

 

L. N. Les deux, mon colonel ! Pour moi, dans le journalisme de solution, c’est le terme solution qui me dérange. Il n’y a pas de solution ! (rire). Il faut abandonner l’espoir que le « foutur » [contraction de foutu et de futur] soit un futur. Pendant que vous créez des moyens de production, vous ne créez pas les moyens d’abaisser les consommations. Or, selon moi, nous devrions d’abord réduire nos consommations, nous lancer dans l’efficacité énergétique et aller dans le renouvelable, tout en sortant du nucléaire. Bonjour le bordel ! Moi je trouve qu’en ce moment, la transition est plus intérieure qu’écologique ou sociétale. Je comprends que le journalisme de solution est aussi une réponse au journalisme environnemental. Mais quand on commence à bien connaître le dossier, on se rend compte qu’il n’y pas de solution. Il y aura toujours une empreinte ou une pression sur les ressources. Je suis arrivée à la certitude que ça ne marchera pas tant que nous serons 8 milliards à vouloir les mêmes choses.

 

La solution, c’est donc de changer intérieurement ?

L. N. Absolument ! La solution, c’est la transition intérieure, c’est s’aligner avec le vivant. Il ne faut pas réutiliser les vieux codes du syndicalisme à l’ancienne. Il y a des projets de société à inventer mais nous sommes dans un pays très centralisé et jacobin. Donc, le compte n’y est pas. Ceux qui tiennent les rênes et vont continuer de les tenir feront encore partie de l’élite cosmopolite. Ils auront encore la main sur les centres de pouvoir décisionnels. Mais je ne dis pas qu’il faut lâcher le projet politique de société. Nous devons faire une mue par rapport à tout ce qu’on a appris pour avancer demain dans un monde qui va être changeant.

En avril dernier, vous avez sorti votre série documentaire Carbonisés! sur France Télévisions. De quoi parle-t-elle ?

L. N. En mai 2019, France Télévisions a lancé un appel d’offres sur le thème des « tourments climatiques ». Le sujet, c’était la façon dont l’écologie entre dans la vie des gens. Les questions qu’ils se posent. Est-ce que l’on doit faire des enfants ? Changer de voiture ? Déménager ? Je me suis dit que c’était pour moi. J’ai écrit un dossier en deux jours. Et nous avons été pris. Pour France Télévisions, Joigny, c’est une ville de 10 000 habitants, donc la France profonde. Il y a un vigneron climatosceptique, des petites Greta Thunberg qui ont fait une grève dans leur collège, une prof de méditation ou encore mon ami Massimo qui a développé une grosse névrose sur les déchets : dès qu’il voit un objet neuf, il se fait son bilan carbone.

 

Recueilli par Théodore DE KERROS, Alexis GAUCHER, et Romane LHÉRIAU

Prix Albert Londres : voici les nominés pour l’année 2021

Hervé Brusini, président du Comité Albert Londres (Photo : Romain Leloutre/EPJT)

Hervé Brusini, président du Comité Albert Londres, a dévoilé mercredi 29 septembre les nominés de ce prestigieux prix journalistique pour 2021.

Depuis 1933, le prix Albert Londres récompense les meilleurs « grand reporters » français et le fruit de leur travail. Chaque année, 3 catégories sont mises en valeur : le prix de la presse écrite, le prix de l’audiovisuel et le prix du livre. Ce 29 septembre étaient dévoilés les nommés pour l’édition 2021.

19 productions présélectionnés

Les présélectionnés en presse écrite sont :

  • Margaux Benn (Le Figaro)
  • Zineb Dryef (M le magazine du Monde)
  • Wilson Fache (Libération/Causette)
  • Ghazal Golshiri Esfahani (Le Monde)
  • Caroline Hayek (L’Orient –  Le Jour)
  • Louis Imbert (Le Monde)
  • Josiane Kouagheu (Le Monde Afrique)
  • Willy Le Devin (Libération)
  • Léna Mauger (XXI).

Dans la catégorie audiovisuelle, six reportages ont été nommés :

  • Nicolas Ducrot ( « Pour ne pas les oublier » – France 3,  Babel doc)
  • Bryan Carter (« Les Routes de la discorde » – RTBF, Pokitin productions)
  • Alex Gohari et Léo Mattei (« On the line, les expulsés de l’Amérique » – France 2, Public Sénat, Brotherfilms)
  • Jules Giraudat (« Projet cartel-Mexique, le silence ou la mort » – France 5, Forbidden films)
  • Céline Rouzet (« 140km à l’ouest du paradis » – BE ciné, Reboot films)
  • Solène Chalvon-Fioriti / Margaux Benn (« Vivre en pays taliban » – Arte, Caravelle)

Enfin, pour le prix du livre, cinq projets sont retenus :

  • Flic, un journaliste a infiltré la police, de Valentin Gendrot
  • Les Serpents viendront pour toi, d’Emilienne Malfatto
  • La Honte de l’Occident, de Antoine Mariotti
  • Toxique de Sébastien Philippe et Tomas Statius.

« Albert Londres est l’âme du journalisme »

Hervé Brusini a notamment rappelé les critères de sélection et l’importance d’Albert Londres

  • « Les critères pour recevoir le prix Albert Londres forment une alchimie. Tout d’abord l’expression d’un style. Puis l’originalité d’une approche, l’opiniâtreté pour aller chercher des informations, le courage de la dénonciation, la sincérité de l’engagement et la capacité à séduire un jury hétérogène en matière d’âge. Il faut qu’on arrive tous à se dire : ça c’est Albert Londres. »
  • « Nous avons reçu cette année 90 projets en presse écrite, 34 sujets audiovisuels et 20 livres, de la part de nombreux pays. Cela montre la sincérité de l’engagement d’Albert Londres, dont le nom fédère toujours aujourd’hui au-delà des frontières françaises. »
  • « Albert Londres est allé documenter des sujets encore inconnus du grand public : le traitement des malades psychiatriques, le dopage dans les pelotons cyclistes, les conditions de vie au bagne de Cayenne, la misère du système colonial… Il rassemble les valeurs du journaliste : curiosité, disponibilité, engagement, opiniâtreté et le courage face aux coups encaissés lorsqu’on dénonce des choses. »

  • « Albert Londres est l’âme du journalisme. Surnommé le prince des reporters par la journaliste Andrée Violis, il est un des grands héros de l’information. Le grand reportage qu’il a popularisé est une vraie réponse aux questions démocratiques actuelles. Albert Londres y alliait l’art de la langue et l’art du récit. D’où sa devise : porter la plume dans la plaie. »

En 2020, le reporter du Monde Allan Kaval avait décroché le prix Albert Londres dans la catégorie presse écrite. Cédric Gras, pour son livre Alpiniste de Staline, avait remporté le prix de l’édition tandis que les journalistes Sylvain Louvet et Ludovic Gaillard avaient été couronnés dans la catégorie audiovisuel. Qui seront leurs successeurs ? Réponse le 15 novembre prochain.

Antoine Comte

[LE RÉSUMÉ] Parler du genre

Photo : Alexandre Camino/EPJT

Retrouvez l’essentiel de l’événement « Parler du genre »

Animé par Marc Mentré, vice-président de Journalisme et Citoyenneté, avec Pascale Colisson, responsable pédagogique et journaliste à l’IPJ Dauphine PSL ; Béatrice Denaes, journaliste formatrice et autrice ; Mejdaline Mhiri, coprésidente de l’association Femmes journalistes de sport, rédactrice en chef Les sportives ; Pauline Talagrand, adjointe au chef réseaux sociaux et fact-checking à l’AFP.

LES ENJEUX

Les quatre journalistes se sont réunies pour échanger autour de la question du genre dans les médias. Cette thématique pose en effet de nouveaux enjeux, notamment de renouvellement de vocabulaire ou de représentativité dans les colonnes. Un défi médiatique de taille dans un contexte de revendications féministes et sociales.

CE QU’ILS ONT DIT 

Pascale Colisson : « Nous devons avoir conscience de nos biais. C’est l’essence du métier. Nous devons caractériser les personnes pour ce qu’elles sont et pas pour ce qu’on projette sur elles »

« J’ai confiance en la nouvelle génération de journalistes. Elle est radicale dans le bon sens du terme »

Béatrice Denaes : « Par méconnaissance, on ne fera pas avancer la société. Les journalismes contribuent à faire évoluer les réactions stéréotypées. Nous sommes là aussi bien pour diffuser l’information que la culture, qui feront évoluer les mentalités »

Mejdaline Mhiri : « Certes, nous connaissons les difficultés qui touchent les femmes journalistes dès le début de leurs carrières. Le journalisme est un métier génial, ne lâchez-pas l’affaire. J’ai à cœur de transmettre cette détermination. »

Pauline Talagrand : « Je veux lancer un message. La responsabilité incombe certes aux structures et aux hiérarchies, mais elle incombe surtout aux journalistes. Ce sont eux qui feront bouger les rédactions et qui feront changer les choses »

« Une fois la réorganisation des effectifs entamée, il faut rentrer dans l’éditorial. Il faut donner des lignes directrices aux rédactions, des règles, des références pour que les erreurs ne soient pas faites »

À RETENIR

Les intervenantes qui ont pris part à ce débat ont fait état des difficultés que pouvaient notamment connaître les femmes journalistes au cours de leur carrière. Elles ont également évoqué l’impact que pouvaient avoir des erreurs ou approximations sur la question du genre auprès du lectorat. Elles ont appelé les journalistes et les rédactions à interroger leurs pratiques, pour traiter l’actualité avec le moins de biais possibles.

Alexandre Camino

[INTERVIEW] Martin Boudot, l’avenir en questions

Quand le journaliste environnement Martin Boudot rencontre une étudiante en journalisme, militantisme, sciences et légitimité sont au cœur de la discussion.

Romane Lhériau est étudiante en journalisme à l’École publique de journalisme de Tours (EPJT). En mars 2021, elle a conversé en visioconférence avec Martin Boudot, journaliste environnement, pour parler de son métier. Ils ont exposé leurs craintes, leurs expériences et leur vision du journalisme. Quarante-cinq minutes d’une rencontre franche et souriante.

Romane Lhériau. Bonjour Martin. Je suis contente de pouvoir échanger avec toi car je trouve ton travail très inspirant. La notion de journalisme environnement est assez nébuleuse et sujette à des confusions. Je suis curieuse de connaître ton point de vue. Tout d’abord, je me demandais : comment est-ce que tu as développé cette conscience écologique ?

Martin Boudot. Je crois que c’est né quand j’avais 7 ans avec le dessin animé Capitaine planète [rires]. Je me souviens aussi des images du Paris-Dakar avec ces voitures et ces gros nuages noirs de gaz d’échappement, bien polluants, qui m’ont particulièrement marqué. Cette conscience s’est ensuite concrétisée avec mon engagement chez Greenpeace et avec une chronique que j’animais sur une radio bénévole.

R. L. Quand on visionne tes documentaires, on retrouve de nombreux termes scientifiques… Comment as-tu réussi à avoir suffisamment de connaissances pour parler d’environnement ?

M. B. J’ai eu la chance de rencontrer des scientifiques très bons vulgarisateurs qui m’ont donné des conseils pour comprendre le jargon. Le meilleur moyen pour apprendre est de s’entraîner à comprendre des publications scientifiques. Ce sont des choses que j’ai aussi beaucoup apprises sur le terrain.

R. L. Je n’ai pas de formation scientifique particulière et il me semble que toi non plus, à part un bac S… Je me demande souvent si je suis assez légitime pour parler d’environnement. Penses-tu que n’importe quel journaliste a les capacités et la légitimité pour traiter des questions environnementales ?

M. B. C’est sur le terrain que tout se passe. Le journalisme environnemental recoupe des sujets de société, d’économie, de politique. La clé du journalisme environnemental, c’est la rigueur. D’ail- leurs, selon moi, la spécialisation à tout prix n’est pas le meilleur choix. Au Monde, par exemple, les journalistes changent de pôle au bout d’un moment car ils deviennent trop proches de leur sujet. Cela peut créer des connivences avec les sources et se révéler contre- productif. C’est ce qui se passe avec le journalisme politique. Je suis pour que chacun ait une préférence. Mais il ne faut pas se couper du reste de l’actualité car c’est tout aussi important.

R. L. En revanche, comment fais-tu la distinction entre ton métier et celui de journaliste scientifique ?

M. B. Je ne suis pas journaliste scientifique mais je revendique un journalisme d’investigation qui s’intéresse à l’environnement, en partenariat avec des scientifiques. J’essaye de garder ce rôle qui est assez unique. Je vais sur le terrain faire des prélèvements qui sont ensuite donnés aux scientifiques puis analysés par eux. Je cherche à comprendre l’interprétation des résultats. Finalement, je suis le médiateur entre les militants et les scientifiques.

R. L. Je souhaite devenir journaliste de- puis longtemps mais, parallèlement, je milite au sein de plusieurs associations environnementales… Peux-tu m’expliquer ce fossé qui sépare le journalisme dit militant et le journalisme engagé ?

M. B. Je suis engagé à faire des travaux qui ont un certain intérêt public. En revanche, ce sera aux citoyens de s’em- parer des résultats. Je ne vais pas organiser de manifestations par exemple. C’est aussi par cette rigueur journalistique qui oblige à aller voir des deux côtés que l’on s’éloigne du militantisme. La difficulté, c’est que le journalisme environnemental est très clivant et bien trop pétri d’opinions.

R. L. Comment arrives-tu à concilier ton engagement sur les questions environnementales et ta conscience écologiste avec des pratiques journalistiques qui ne le sont pas forcément ? Personnellement, je ne suis pas à l’aise avec l’idée de me déplacer en avion.

M. B. Pour les derniers épisodes de Vert de rage, [diffusés à la rentrée sur France 5], nous avons limité notre terrain à l’Europe. Nous nous déplacions donc plutôt en train. Mais la question continue de me préoccuper. Par exemple, je me demande toujours si un aller-retour en avion au Niger pour révéler les dangers de l’exploitation d’uranium vaut le coup. Est-ce que la balance penche d’un côté plus que d’un autre ? On estime que notre contribution à l’environnement, c’est aussi de documenter des pollutions, quitte à parfois devoir augmenter notre impact carbone.

 

Reccueilli par Romane LHÉRIAU et Nejma BENTRAD

[LE RÉSUMÉ] Climat : avantages et inconvénients du journalisme d’engagement

(Léobin de la Cotte/EPJT)

Animée par Stéphanie Wenger, journaliste pour Le Monde et Rue 89 Strasbourg, la table-ronde réunissait plusieurs journalistes : Véronique Badets, cheffe de rubrique Environnement à l’hebdomadaire Le Pèlerin ; Macha Binot, rédactrice en chef des médias Mouvement Up ; Carine Mayo, vice-présidente des Journalistes écrivains pour la nature et l’écologie (JNE) ; François Pitrel, journaliste environnement de BFM TV.

LES ENJEUX

Discuter d’urgence climatique a longtemps été l’apanage d’une branche du journalisme, le journalisme d’engagement. Si ce monopole est obsolète, les questions d’environnement étant désormais discutées par tous, le journalisme qualifié d’engagé reste un acteur majeur dans la sphère médiatique. Aujourd’hui, à l’heure de la prise de conscience de l’urgence, quels sont les avantages, les enjeux, les inconvénients de ce journalisme ? Réception par le public, méfiance des lecteurs, résistance des rédactions, tels ont été les enjeux évoqués lors de cette conférence.

CE QU’ILS ONT DIT

Véronique Badets : « Il y a un impact affectif très fort sur ces sujets. En tant que journaliste, on a envie d’en parler plus même si le média pour lequel on travaille n’y est pas accueillant. Au début, il y a une frustration. Un décalage entre sa conscience et celle de sa rédaction qu’il faut gérer. »

« Il est important de rester journaliste, de poser le débat et ne pas transiger sur les faits scientifiques. Il faut que l’environnement reste un sujet comme les autres. »

Carine Mayo : « Être étiqueté comme trop engagé, c’est ne plus être considéré comme journaliste par certains acteurs. Mais au contraire, c’est bien le même métier. On croise, on hiérarchise comme n’importe quel journaliste. »

« C’est une gymnastique de trouver la façon de persuader que ces questions concernent les lecteurs. L’être soi-même aide à porter ces sujets, à être convaincant. »

Macha Binot : « Les médias ont une mission d’information mais pas d’engager les lecteurs. Ce n’est pas notre rôle. Notre mission est de faire connaître des informations vérifiées, des faits pour qu’ils puissent s’en saisir, se responsabiliser. »

« Avec ce principe de journalisme de solution, on passe pour des bisounours auprès des rédactions généralistes. Il y a une acculturation sur cette méthode d’investigation et cette ligne éditoriale qui doit être réalisée. »

François Pitrel : « Le problème derrière ces sujets environnementaux, c’est que si cela faisait de l’audimat, on en parlerait davantage. Beaucoup de gens préfèrent ne pas en entendre parler parce que c’est une information qui peut être anxiogène. Mais le journalisme de solution peut être une réponse. »

« L’inconvénient du journalisme engagé est de ne prêcher qu’auprès de convaincus. Face à lui, on ne trouve pas le public qui ne se sent pas concerné par la question environnementale. »

À RETENIR

L’engagement des journalistes dans des questions environnementales a été moteur et il doit encore l’être face à l’urgence climatique. Il cherche surtout à se démystifier pour faire face à ces critiques. Les acteurs de cette table-ronde ont voulu réaffirmer la frontière entre engagement personnel et pratique journalistique. Être un journalisme comme les autres qui fait face aux mêmes enjeux, la dictature de l’audimat, les influences financières, les réticences des rédactions, etc. Autant d’inconvénients contrebalancés par l’avantage de donner des informations concrètes pour que nos concitoyens s’en saisissent.

[INTERVIEW] Fritz, « l’actu tourangelle en mode kids » : « Il existait des titres pour enfant au niveau national mais pas au niveau local »

Toutes les deux semaines depuis un peu moins d’un an, un nouveau journal est apparu dans les kiosques tourangeaux : Fritz. Destiné au 8-12 ans, ce journal a fait le pari de parler de l’actualité locale aux enfants. Christelle Hélène et Matthieu Pays, respectivement directrice de la publication et directeur de la rédaction de Fritz, raconte la naissance de ce nouveau média.
Il y a bientôt un an vous vous lanciez dans l’aventure Fritz. Qu’est-ce qui vous a poussé à créer ce média ?

Christelle Hélène : Notre volonté de créer Fritz est partie d’un constat : il existe des titres de presse enfant au niveau national mais il n’en existait pas au niveau local. On a tous travaillé pendant longtemps dans un journal local et on s’est dit : « Pourquoi pas ? »  Avec Fritz, on explique aux jeunes de 8 à 12 ans ce qu’il se passe autour d’eux au niveau local ce qui permet d’aborder de nombreux sujets et on en profite pour faire de l’éducation aux médias. Comme dirait Matthieu Pays, il faut apprendre à s’informer comme il faut apprendre à nager.

Au-delà de votre prisme local, est-ce que certaines thématiques sont mises en avant dans votre journal ?

Matthieu Pays : On traite de l’actualité donc on dépend principalement de celle-ci. Mais on travaille beaucoup sur les questions d’écologie et de citoyenneté, qui font partie des rubriques de notre journal. On essaie de rester positifs et de ne pas alimenter les polémiques. Au centre de chaque numéro, il y a un dossier sur un sujet précis où on s’applique particulièrement à expliquer les mots complexes. Nos lecteurs n’ont que 8 ou 12 ans, mais ce n’est pas pour ça qu’il ne faut pas les prendre pour de vrais lecteurs. On conserve toujours notre ton journalistique.

La maquette de votre journal est elle aussi pensée pour faciliter le compréhension des sujets. Comment l’avez vous imaginée ? 

Christelle Hélène : Le journal est construit pour que ce soit rigolo à lire et regarder jusque dans le format. Le journal se compose d’une unique feuille pliée qui est divisée de manière ludique. De cette manière on peut picorer des informations à droite à gauche, sans lire tous les articles en entier.

Matthieu Pays : C’est aussi un format qu’on a pensé dans une démarche économique. Un journal sur une unique feuille ne coûte pas cher à imprimer. Notre seule fantaisie, c’est l’encre fluo.

Justement, sur quel modèle économique repose votre média ? 

Christelle Hélène : Le média a à peine un an donc on ne peut pas dire si le modèle fonctionne ou pas, mais on arrive à maintenir le nombre d’abonnement. Le média repose aussi sur l’agence de communication Projetctil. Notre choix en lançant Fritz, c’est le choix d’être indépendant, de ne pas avoir de publicité. Pour le moment, on tire chaque numéro à 500 exemplaires.

Vous vous rendez dans les écoles de la région pour présenter votre journal. En quoi consiste vos actions d’éducation aux médias auprès de ces publics ? 

Christelle Hélène : Quand on se rend dans les écoles, c’est avant tout pour faire connaître notre média et aider les enseignants et les élèves à l’avoir en main. Les familiariser avec sa forme originale. Mais dès la semaine prochaine, on va se rendre dans une classe pour faire un numéro hors série de Fritz entièrement écrit par les élèves. On va faire des ateliers avec eux pendant plusieurs semaines, pour qu’ils choisissent le sujet du dossier puis rédigent les articles. Ce numéro devrait paraitre en décembre et sera distribué gratuitement dans toutes les écoles de Tours, en partenariat avec la ville.

Propos recueillis par Laure d’Almeida

[LE RÉSUMÉ] « Quel dialogue entre chercheurs et journalistes ? »

  (Romain Leloutre/EPJT)

Animé par Agnès Vernet, présidente de l’Association des journalistes scientifiques de la presse d’information (AJSPI), la discussion réunissait journalistes et chercheurs : Jennifer Galé, journaliste de The Conversation ; Pierre-Henri Gouyon, membre du comité scientifique de la Fondation Nicolas Hulot ; Eric Guilyardi, climatologue au CNRS et président de l’Office for climate education ; Juliette Nouel, journaliste indépendante.

LES ENJEUX

Dans la médiatisation de l’urgence climatique, chercheurs et journalistes travaillent en étroite collaboration. Les premiers apportent leur expertise scientifique, les seconds participent à sa transmission auprès du public. Une discussion toujours plus présente dans l’espace public et les questionnements de notre Cité. Autour de la table, réunissant les deux corps de métiers, le projet est de revenir sur ce dialogue : ses formes, ses failles, ses réussites et ses perspectives pour l’avenir de cette discussion et de notre planète.

CE QU’ILS ONT DIT

Agnès Vernet : « En tant que journaliste, nous ne savons pas toujours à quelles connaissances nous fier. Nous avons donc besoin des scientifiques, de leur médiation. Mais nous avons aussi nos propres délais, des contraintes différentes de celles des scientifiques. Cela questionne le dialogue entre journaliste et chercheur. 

Jennifer Gallé : « Le principe fondateur à The Conversation : les journalistes ne vont pas écrire mais être des médiateurs, aider des spécialistes à toucher le grand public. Ils essayent d’éclairer l’actualité comme un journaliste de quotidien mais avec le regard d’un spécialiste, un scientifique pour nous donner cette éclairage. »

« Il y a des choses que les journalistes peuvent faire, pas les chercheurs, et inversement. Le journaliste peut enquêter, passer des coups de fils, être désagréable, prendre son temps, avoir cette posture du « je ne connais rien » et voir ce qui se passe. Le scientifique peut amener toute sa connaissance, la hiérarchisation des problématiques. Cette idée de collaboration est essentielle, ils sont très complémentaires. »

Pierre-Henri Gouyon : « La demande est réciproque, pour les journalistes comme pour les chercheurs. Lorsqu’un chercheur se rend compte que notre science prouve que certaines décisions ne sont pas les bonnes, il se retrouve dans une situation complexe. Il se place dans une position que certains appellent militante et nous sommes considérés comme militant à chaque fois que l’on n’est pas en accord avec ce qui se passe. Notre seul recours, à ce moment précis, ce sont les journalistes. Nous avons besoin d’eux lors de ces situations, sur la question des OGM ou du climat. »

Juliette Nouel : « L’explosion des réseaux sociaux a modifié ces relations entre scientifiques et journalistes. Les exemples de chercheurs qui reprennent des journalistes pour des approximations ou des erreurs sont quotidiens. Il y a une vigilance aujourd’hui et cela monte en puissance. Cela force les journalistes à ne pas dire n’importe quoi. »

Eric Guilyardi : « Il y a foison de médias et les scientifiques doivent apprendre auquel ils s’adressent. Sortir de son laboratoire ne va pas de soi et il faut comprendre comment les médias fonctionnent lorsque l’on est chercheur. »

« La science recouvre différents éléments : la science établie, qu’on ne questionne plus, la science qui est en train de se faire et enfin l’expertise en soutien à une décision de société. Plus on va vers l’expertise, moins le scientifique peut être neutre. Lorsque cette décision doit être prise, l’expertise du scientifique ne doit être qu’un élément d’une co-construction. Il y a une éthique de responsabilité que l’on doit se poser lorsque l’on a un micro face à soi. »

À RETENIR

Terme clé de cette table-ronde, c’est la collaboration qui doit régler les relations entre journalistes et chercheurs dans la médiatisation de l’urgence climatique. Deux corps complémentaires qui doivent travailler à la mise en exergue de ces enjeux auprès du grand public. La vision de ces journalistes spécialisés dans les questions scientifiques et ces chercheurs familiers de cet exercice reste optimiste. Mais la tâche n’est pas aisée. Le discours médiatique implique autant de souffrance pour le chercheur que le journaliste a de difficultés à trouver ses interlocuteurs. La question de la neutralité du chercheur comme du journaliste pose aussi question. Le débat est loin d’être clos et il est nécessaire.

[LE RESUMÉ] EMI : Comment les médias jeunesse traitent-ils du climat ?

Photo : Laure d’Almeida/EPJT
Retrouver l’essentiel de l’évènement « EMI : comment les médias jeunesse traitent-ils du climat ? »

Animé par Aurélie Kieffer, journaliste à France Culture, avec Raphaëlle Botte, journaliste à Mon Quotidien et rédactrice en chef de Dong ! Malicia Mai Van Can, directrice éditoriale du pôle Planète de Milan Presse ; David Groison,  directeur des titres ados de Bayard jeunesse ; Juliette Loiseau, cheffe de rubrique au Monde des Ados.

LES ENJEUX

Les médias jeunesse sont confrontés aux questions que se posent leurs lectrices et lecteurs, à leurs inquiétudes face à l’avenir mais aussi à leur désir de s’engager. S’il est incontournable pour eux de parler de la crise climatique, reste à trouver la meilleure façon de le faire en fonction de leur public. Quelle place donner au climat dans leurs pages ? Comment rendre compte de la complexité de ces questions ? Quelles pistes donner aux jeunes pour passer à l’action sans verser dans l’injonction à agir ? Autant de questions auxquelles ils tentent de répondre.

CE QU’ILS ONT DIT 

Raphaëlle Botte : « Dans Dong ! on a trois doubles pages de brèves sur les infos qu’il ne fallait louper dans l’actualité environnementale des trois derniers mois. Et dans nos reportages, on parle d’écologie et des politiques environnementales. Comme on est un trimestriel, on profite de pouvoir travailler sur le temps long. »

« Avec nos ateliers dans les collèges, on se rend compte que les lecteurs qui nous écrivent ne sont pas représentatifs de tous les jeunes. On ne s’adresse pas qu’à des ados qui ont la volonté de s’engager et c’est important de le prendre en compte dans notre façon de traiter de ces sujets. »

Malicia Mai Van Can : « L’essence même de Wapiti, c’est l’environnement et toutes ses problématiques. On a pris le parti de montrer une nature résiliente, sur le temps long. Faire parler la nature, ne pas être anthropocentré. »

« Depuis deux ans, il y a beaucoup plus de lanceurs d’alerte dès 8 ans. On voit une forme de désespérance, d’extra-lucidité. Beaucoup de pourquoi et de comment auxquels on essaie de répondre en restant optimistes. »

David Groison : « Ce qui est important, c’est d’éduquer à la complexité. Et l’autre chose qui nous guide, c’est de sortir du désespoir et de montrer à la jeunesse qu’elle peut passer à l’action. Que certains le font. Comprendre la mécanique de l’action, c’est inspirant. »

« On est journaliste jeunesse, mais avant tout journaliste. On n’est pas là pour esquiver les sujets compliqués. On se met à la bonne hauteur en fonction des âges et on fait très attention de parler avec les bons mots, qu’ils puissent être absorbables. Le pire c’est de laisser les jeunes écouter les infos sans leur expliquer. Ça c’est générateur de stress et d’anxiété. »

Juliette Loiseau : « Le Monde des ados se base beaucoup sur le courrier des lecteurs et les questions sont nombreuses sur le climat. Par nos réponses, on leur apprend la complexité et l’importance de dépasser les écogestes, d’agir plus largement. Il ne faut pas prendre les jeunes pour des bébés. Cette période où la puberté est compliquée est surtout une période propice à l’engagement. En tant que presse jeunesse, il faut reconnaître leur lucidité et les aider à utiliser leur énergie pour s’engager. »

À RETENIR

Ce moment d’échange a permis de mettre en avant l’importance de la pédagogie dans le traitement de sujets complexes comme la crise climatique et l’écologie. Quelque soit le titre de presse jeunesse, l’idée de faire comprendre la complexité prime, même si les perspectives changent en fonction des publics visés. Face à des lectrices et lecteurs de plus en plus lucides quant à l’avenir de notre planète, les médias jeunesse sont confronté à de nombreuses questions. Il en ressort notamment une envie d’agir que les journalistes essaient d’accompagner au mieux. Pas question pour eux de ne pas traiter de ces questions complexes : « Les médias adultes peuvent s’inspirer de nous qui sommes irrigués par ces questions », conclut Malicia Mai Van Can.

Laure d’Almeida

[LE RÉSUMÉ] Podcast, un autre récit pour la planète

Photo : Antoine Comte / EPJT

Animé par Steven Jambot, producteur et animateur de «  L’atelier des médias » pour RFI ; avec Jeane Clesse, podcasteuse indépendante et hôte de Basilic ; Justine Davasse, autrice et conférencière et productrice du podcast «  Les mouvements zéro » ; Grégory Rozières, journaliste du service «  science et environnement » au Huffington Post et présentateur de L’en(vert) du décor.

LES ENJEUX

Trois créateurs pour trois projets novateurs. Jeane Clesse, Justine Davasse et Grégory Rozières ont tous lancés leur podcast consacré à l’écologie. Leur défi : raconter par le son et la voix les enjeux climatiques et les initiatives écologiques, dans le but de toucher un auditoire de plus en plus à l’écoute des thématiques environnementales. Il s’agit de ne pas tomber dans le pessimisme mais plutôt de mettre en valeur des personnalités et des initiatives pouvant inspirer les auditeurs.

CE QU’ILS ONT DIT

Jeane Clesse« J’ai créé Basilic en 2017 en partant d’un constat : on ne parlait pas assez d’écologie dans les médias traditionnels. On sentait une envie chez les citoyens de faire les choses différemment, de parler de projets environnementaux positifs sans tomber dans le dramatique. J’ai donc décidé de mettre sur le devant de la scène des acteurs qui pensent l’écologie différemment, sous la forme de podcast ».

Justine Davasse : « À la suite d’un voyage en Finlande, j’ai décidé de m’investir personnellement dans le 0 déchet. Cette cause m’a passionné et étant bénévole à Radio Campus depuis 12 ans, j’ai eu envie d’y consacrer une émission radio, qui est devenue par la suite un podcast. Aujourd’hui, je travaille avec différents formats comme l’interview ou le reportage qui reviennent tous sur des initiatives  » 0″ : les consommations 0 déchet, des agriculteurs n’utilisant pas de produits phytosanitaires, des constructions sans béton… »

Grégory Rozières« Au Huffington Post on a fondé L’en(vert) du décor en 2020 car on voulait surfer sur la développement du podcast. On a vu que l’écologie n’était pas le thème le plus traité dans ce format, et on a donc décidé d’allier son et environnement. Notre règle, c’est l’humour. Il faut aborder des sujets écologiques assez complexes comme si nous étions dans une discussion entre collègues, à la machine à café. On prend des idées reçues pour les expliquer de façon humoristique. »

Jeane Clesse : « Aujourd’hui Basilic en est à 123 épisodes, ce qui veut dire qu’il y a beaucoup d’initiatives positives. Chaque jour je découvre de nouvelles personnes et ma liste d’interlocuteurs potentiels ne désemplit pas. C’est pour cela que j’interviens assez peu dans mon podcast, pour laisser parler mes invités. Au niveau des thèmes, j’essaye de faire très diversifié : je peux parler de la finance durable, des slow cosmétique ou de l’alimentation locale. Je veux que mes auditeurs puissent piocher comme bon leur semble dans mes épisodes. »

Grégory Rozières : « On a la chance d’avoir derrière nous le Huffington Post qui nous soutient financièrement. Nos podcasts sont intégrés sur le site du média, ce qui leur assurent une visibilité auprès d’un public parfois peu habitué aux formats audios. Nous sommes conscients que les blagues ne doivent pas être trop lourdes. On doit aussi bien se moquer gentiment des écolos ultra-convaincus  que des personnes réfractaires au changement. On essaye de faire de l’improvisation, mais préparée (rires). »

À RETENIR

Jeane Clesse, Justine Davasse et Grégory Rozières ont chacun voulu traiter à leur façon de l’écologie de façon positive. Et cela par différents moyens : mettre la lumière sur une initiative atypique, jouer sur l’humour pour décrypter des situations compliquées… L’idée est d’amener l’auditeur à réfléchir sur ce qu’il pourrait faire de son côté en s’inspirant des histoires contées dans les formats audios. Le mariage entre un sujet comme l’écologie, omniprésent dans l’actualité, et un format podcast, qui se démocratise, semble gagnant puisque les 3 créations ont toutes des projets pour les années à venir : des déclinaisons vidéos, des livres ou des rencontres en live avec les auditeurs. Longue vie à l’écologie audio !

Antoine Comte

[LE RÉSUMÉ] « Des médias zéro carbone, est-ce possible ? La responsabilité des journalistes »

(Photo : Alexandre Camino/EPJT)

Retrouvez l’essentiel de l’événement « Des médias « 0 carbone », est-ce possible ? La responsabilité des journalistes »

Animé par Olivier Monod, journaliste scientifique pour Libération, avec Jon Henley, correspondant Europe pour The Guardian ; Hanna Lundquist, journaliste spécialiste des médias pour Journalisten (Suède) ; Cédric Ringenbach, fondateur de La Fresque du climat ; Gilles Van Kote, directeur délégué aux relations avec les lecteurs au journal Le Monde.

LES ENJEUX

Quatre journalistes de plusieurs pays ont échangé sur la question du traitement de l’urgence climatique dans leurs rédactions. Le but : faire un état des lieux des pratiques en vigueur dans différentes rédactions et s’interroger sur la façon dont les journalistes peuvent encore, à leur échelle, aborder l’environnement dans leurs colonnes.

CE QU’ILS ONT DIT 

Jon Henley : « Au Guardian, nous avons par exemple décidé de changer tout notre vocabulaire lié à l’urgence climatique. Le changement climatique est le sujet majeur des années à venir. Nous avons un souci de transmettre au lecteur l’urgence de la situation. »

« Nous essayons, dans notre journal, de montrer comment la crise climatique peut impacter les futurs événements politiques, sociaux ainsi que les cours migratoires. Notre travail journalistique est de fournir une clarté, un résultat précis sur cette thématique, sans erreur. La responsabilité journalistique, elle est là. »

Hanna Lundquist : « En Suède, le journalisme climatique va bien. Il se porte mieux que jamais dans le pays de Greta Thunberg. Entre 2018 et 2019, la présence du climat dans les médias du pays a augmenté de 100 %. Dans les journaux, toutes les sections traitent un peu de cet enjeu. »

« Je pense qu’à l’avenir, nous devons développer le contenu d’investigation sur ces sujets. »

Gilles Van Kote : « Les questions du climat, de l’exploitation des ressources, du lien entre l’activité humaine et la nature par exemple ne sont plus remises en cause. »

« Notre boulot, c’est d’aider nos lecteurs à tout comprendre pour qu’ils puissent prendre des décisions de citoyens. Et ce travail, nous devons le faire le mieux possible pour que les publics retrouvent confiance dans les médias »

Cédric Ringenbach : « Dans la presse, la formation est un mot tabou. Nous parlons de sujets techniques. Nous n’avons pas la science infuse. Il y a une nécessité pour les journalistes de se former. »

« Il y a un vrai enjeu de préparer l’opinion publique aux fake news environnementales ainsi qu’à un climato-scepticisme qui risque de s’accroître. »

À RETENIR

Entre aménagement éditorial, choix des sujets et relation avec les lecteurs, les intervenants ont comparé leurs pratiques dans leurs journaux. Ce moment d’introspection journalistique a mis en exergue des pistes de réflexion pour développer le traitement médiatique de la crise climatique. Les professionnels présents à cette conférence ont notamment évoqué le besoin de développer la formation scientifique des journalistes, ainsi que la nécessité de promouvoir du contenu d’investigation environnemental.

Alexandre Camino

La Feuille, le journal des Assises de l’EPJT

Les étudiants en journalisme de l’EPJT ont travaillé sur la réalisation du journal La Feuille au printemps 2021. Découvrez ce numéro exceptionnel consacré au thème « Chaud devant » de cette édition des Assises du journalisme.

“Chaud Devant”, le thème des Assises du Journalisme 2020, a été repris pour créer le journal La Feuille. L’organisation des Assises n’a pas participé à la réalisation de ce magazine, entièrement conçu par les 35 étudiants en master de l’École publique de journalisme de Tours (EPJT). L’idée était de proposer un journal qui fasse écho aux questions et débats mis en avant lors de cette nouvelle édition.

Du brainsto à l’impression, une réalisation aux petits oignons

Eco-dépression, fausses informations ou encore météorologie, le choix des sujets traités dans La Feuille a fait l’objet de multiples discussions. Le journaliste indépendant, Michel Dalloni, a été le rédacteur en chef de ce journal.

Après un brainstorming collectif et plusieurs conférences de rédaction, le chemin de fer s’est dessiné au fil des articles retenus.

Un total de 21 étudiants s’est chargé de la rédaction des papiers, 9 en tant que secrétaire de rédaction et 5 en charge de l’iconographie. Un duo de deux étudiantes s’est occupé de relire les articles avant l’envoi aux secrétaires de rédaction et de faire la passerelle entre les étudiants et Michel Dalloni. 

Malgré le contexte sanitaire, des équipes se sont rendues sur le terrain. L’une a sillonné les terres bretonnes sur les traces de l’Amoco-Cadiz tandis que d’autres ont franchi les portes des rédactions à la rencontre de journalistes. 

Responsabilité climatique

La principale vocation de La Feuille était d’entraîner les étudiants à la réalisation d’un journal. Distribué dans l’espace Mame lors des journées des Assises du Journalisme, nous espérons qu’il sera le plus instructif possible sur le métier de journaliste et leurs responsabilités face à la crise climatique. 

Pour le retrouver : https://assises-journalisme.epjt.fr/le-journal-des-assises-2021

Une histoire de grand-mère

Frédéric Pommier a été nommé au Prix du livre du journalisme pour Suzanne, la biographie romancée de sa grand-mère. L’auteur y dénonce les conditions de vie dans les Ehpad.

C’est une histoire qui a traversé les frontières familiales. Sorti d’archives de famille et de réactions d’auditeurs, le roman Suzanne du chroniqueur radio Frédéric Pommier, fait partie des nommés au Prix du livre du journalisme. Tout a commencé en décembre 2017 lors de sa chronique « Le quart d’heure de célébrité » sur France Inter. Ce matin-là, Frédéric raconte à l’antenne le vécu de Suzanne, sa grand-mère. Il explique qu’elle vit en Ehpad (Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), qu’elle se sent dépossédée de tous ses biens, de son argent et, parfois, de sa dignité. Il rapporte qu’elle se sent infantilisée, qu’elle subit humiliations et malnutrition. La chronique suscite l’indignation. « J’ai reçu beaucoup de lettres et de mails. Des commentaires par centaines, voire davantage, sur les réseaux sociaux. Et les situations qu’on a pu me raconter sont parfois bien pires que ce qu’a pu connaître, observer et subir ma grand-mère. » 

Ces nombreuses réactions décident Frédéric. Il est temps d’écrire le livre sur ce personnage dont il aime raconter les histoires. Une autobiographie jamais publiée, écrite par Suzanne vingt ans auparavant, a servi de support pour relayer la vie de la vieille dame, entre la violence de l’Ehpad et la douceur de son histoire au fil du XXe siècle. Et le livre a rencontré son public. « Ce roman trouve une résonance chez chacun. Ma grand-mère est ravie puisque c’est l’histoire de sa vie, mais c’est aussi le récit de sa colère par rapport à l’accueil et au traitement qu’on réserve à nos aînés. Elle veut que je la porte car c’est aussi la colère de plein d’autres personnes de son âge qui parfois n’ont personne à qui raconter tout cela. » Prenez garde, ce livre va vous donner envie de courir passer un week-end chez vos grands-parents.

Élise GILLES

[ENQUÊTE] Le bonheur est dans le papier…

De plus en plus de journalistes prolongent leurs investigations dans des livres. Une manière, parfois, de dépasser la frustration du format court.

« On écrit sur des sujets qui nous passionnent », assure Matthieu Aron, auteur du Piège américain et journaliste à L’Obs. Écrire un ouvrage offre une plus grande liberté dans le choix des sujets, moins présente au sein d’une rédaction dépendante de l’actualité. Romain Capdepon, avec son ouvrage Les Minots (éd. JC Lattès), a décidé de parler des jeunes guetteurs qui participent aux trafics de drogues : « Dans mon travail de tous les jours, à La Provence, c’est l’angle qui m’intéresse le plus. Malheureusement, je le traite très peu dans mes articles, souvent par manque de temps. Je reste plutôt sur le trafic en général. » 

Travail au long cours

Le journaliste possède bien souvent un antécédent avec le sujet, parfois la frustration de ne pas être allé au bout des choses par manque de temps. « J’interviewais des interprètes afghans et mes articles se terminaient en disant que le ministère des Affaires étrangères n’avait pas souhaité me répondre », raconte Quentin Müller, auteur de plusieurs articles sur les interprètes afghans abandonnés par la France, avant de cosigner un livre sur le sujet (Tarjuman. Une trahison française, éd. Bayard). Sa rencontre avec Brice Andlaeur aura été décisive, les deux ont pu croiser leurs sources et les informations qu’ils avaient amassées chacun de leur côté. Ces deux ans d’enquête leurs auront permis d’obtenir les réponses qu’ils cherchaient. 

Matthieu Aron a entendu le coach de rugby de son fils parler d’un haut dirigeant d’Alstom emprisonné aux Etats-Unis. Cette histoire a éveillé sa curiosité. « J’ai enquêté pendant plus de quatre ans sur cette affaire. Je savais que ça allait être très long, raconte celui qui a écrit Le Piège américain. Alors que je faisais aussi des sujets pour France Inter ou L’Obs. »

Les pages d’un livre offrent plus d’espace qu’un article de presse pour approfondir un sujet. L’exercice demande néanmoins beaucoup de temps et se fait parfois en parallèle d’un travail en rédaction. C’est ce qu’a vécu Isabelle Roberts, co-autrice avec Raphaël Garrigos de La Bonne Soupe (éd. Les Arènes) sur le 13-heures de Jean-Pierre Pernault, en même temps qu’elle travaillait à Libération. « Il fallait regarder tous les JT, chaque soir pendant trois ans, nous avons vraiment souffert [rires]. On devait aussi trouver des moments pour écrire, le week-end ou après le boulot. » Les jours de repos et de RTT, deviennent alors des jours consacrés au livre.

 

 

Et l’investissement financier peut aussi être important. « On a pris beaucoup de plaisir mais pour l’instant, ça a été un gouffre financier », confie Brice Andlauer, coauteur de Tarjuman. Une trahison française, publié le 6 février dernier. Les journalistes-auteurs ne sont pas tous logés à la même enseigne par les éditeurs : certains touchent une avance, plus ou moins élevée, généralement en fonction de leur notoriété.

Mais les bénéfices tirés d’une telle expérience peuvent être nombreux : elle permet par exemple de développer ses contacts et d’affûter son regard sur un sujet au point d’en devenir expert. « Avec mon enquête, j’ai pu mieux comprendre les guetteurs que je serai peut-être amené à recroiser dans mon travail », explique Romain Capdepon, également chef de la rubrique police-justice de La Provence.

La rédaction d’un livre et le travail au sein d’un média peuvent très bien s’allier, comme le fait Les Jours. Le site raconte des faits d’actualité, leurs « obsessions », qu’ils divisent en épisodes. Certaines sont parfois publiées sur papier. « On trouvait cohérent que l’enquête sur Bolloré se retrouve chez un libraire », confirme Isabelle Roberts, coautrice de L’Empire : Comment Vincent Bolloré a mangé Canal+. Ici, l’éditeur est arrivé après la rédaction mais dans d’autres cas de figure, il peut aussi être présent pendant la rédaction du livre. Il lui arrive alors de donner des indications quant à l’écriture.

un lectorat différent

Dans le cas de Romain Capdepon : « Les éditions JC Lattès ne voulaient pas d’un texte trop journalistique, plutôt d’un texte qui ressemblait à un roman inspiré de faits réels, précise-t-il. Je travaille depuis treize ans dans la presse quotidienne régionale donc j’ai dû adapter mon écriture. » Brice Andlauer, lui, nous confie qu’il n’a eu que peu de modifications de fond à faire sur son manuscrit. « L’éditeur nous a laissé plus de marge de manœuvre qu’un rédacteur en chef. »

Les livres, aussi, s’adressent à un lectorat différent des médias. « Aux Jours, on est lu surtout par des jeunes. Avec les livres, on touche un public plus large et plus âgé, attaché au papier en tant que support », affirme Isabelle Roberts.

Les livres du média dont elle est cofondatrice se vendent très bien. Environ 80 000 exemplaires pour les quatre ouvrages publiés avec les éditions du Seuil, dont Les Revenants de David Thompson ou Le 36. Histoires de poulets, d’indics et de tueurs en série, de Patricia Tourancheau. Romain Capdepon est formel, l’écriture de son enquête a servi à sa rédaction. « Dès qu’on parle du livre, on dit qu’il a été écrit par un journaliste de La Provence. » Malgré la fatigue accumulée lors de ses d’investigations, le travail d’une année a porté ses fruits. « J’espère que mon livre permettra à certains d’avoir un regard plus humain quand un jeune se fait tuer dans les quartiers Nord », conclue-t-il. Car c’est le but d’un livre d’investigation, aller au fond des choses et, pourquoi pas, faire évoluer les mentalités.

Victor FIEVRE

Julie Lardon : « Un public très jeune n’est pas censé avoir des idées préconçues. »

À 29 ans, Julie Lardon, diplômée du Centre universitaire d’enseignement du journalisme (CUEJ) à Strasbourg, est depuis trois ans l’heureuse maman d’Albert, journal bi-mensuel adressé aux 8 -13 ans. Présente aux Assises du journalisme l’an passé dans le cadre d’une conférence autour de la presse jeunesse, elle revient aujourd’hui sur les différences qu’il existe dans ce média spécialisé.

Albert, un journal de caractère. (Photo : Julie Lardon)

Qu’est-ce qui vous a donné envie de créer Albert ?

Julie Lardon. Albert est né d’une rencontre avec Valentin Mathé, directeur de la maison d’édition La poule qui pond. On souhaitait faire quelque chose ensemble, même si lui est dans l’illustration et que je suis journaliste. Au début ce n’était pas un projet professionnel, nous voulions voir le travail que cela nous demandait, le temps que ça nous prenait… On a finalement mis neuf mois avant de sortir notre premier numéro qui a été publié le 15 septembre 2016. Le but était vraiment de rester dans le journalisme tout en mêlant l’univers de l’album jeunesse, avec de l’illustration, pour rentrer dans l’actualité par ce biais ci. C’est ainsi que nous avons imaginé ce concept d’une une totalement dessinée qui reprend tous les articles du journal. 

En quoi Albert est-il différent des autres médias jeunesse ?

J. L.  Il l’est tout d’abord par sa forme, car sa périodicité est assez rare. Nous sommes bi-mensuel alors que les autres médias sont surtout des hebdomadaires ou des quotidiens. Notre format est aussi différent : nous avons quatre grandes pages au format A3, arrangées de façon que le journal soit pliable et facile à lire pour des enfants qui ont des petites mains. Mais le but était quand même que l’illustration prenne une grande place : nous voulions qu’elle puisse se transformer en poster, ce que nous sommes seuls à faire. 

« Le public est confronté depuis le plus jeune âge à cette défiance envers les médias »

Les sujets de la presse jeunesse sont-ils tous les mêmes ?

J. L. Il y a des différences, comme pour tout média, jeunesse ou pas. Nous avons une ligne éditoriale et nous devons nous y tenir. La nôtre est que les articles doivent parler d’actualité chaude : on va traiter de la politique, de l’économie, des relations internationales, sous une forme adaptée aux enfants. Le choix des sujets se fait avec un comité d’enseignants et de professionnels, en fonction de ce qui est, selon nous, bon pour les enfants de savoir et de comprendre pour appréhender le monde. On souhaite vraiment rester dans le décryptage de base de l’actualité pour des enfants âgés de 8 à 13 ans.

Qu’est-ce que c’est qu’être journaliste pour la presse jeunesse ? 

J. L. C’est être journaliste tout simplement. Chez Albert, le seul regret que l’on peut avoir est que je sois toute seule à la rédaction. Je n’ai donc pas le temps de faire du terrain. Mais espérons qu’un jour, nous arriverons à étoffer l’équipe et à enrichir notre média avec des interviews et des reportages. Toutefois, la synthèse d’actualités que nous faisons reste journalistique : il faut compiler les données, croiser les sources, vérifier les informations et les restituer. C’est le volet le plus difficile, propre à la presse jeunesse. Il faut toujours partir des bases et non pas du principe que les enfants savent de quoi on parle. 

Les critiques faites envers les médias traditionnels vous touchent-elles bien que votre public soit différent ?

J. L. Cela nous touche forcément car de toute façon le public est confronté depuis le plus jeune âge à cette défiance envers les médias. Nous faisons beaucoup d’interventions auprès des enfants, et quelle que soit leur origine sociale, on trouve toujours quelqu’un pour nous dire que les médias mentent. Cela nous touche d’autant plus que l’on a affaire à un public très jeune qui n’est pas censé avoir des idées préconçues. Ils devraient au contraire être en train de se forger un esprit critique. C’est pour cela que nous faisons beaucoup d’éducation aux médias. C’est vraiment nécessaire. Nous journalistes, avons besoin d’aller expliquer notre métier, montrer comment nous travaillons, quels sujets nous traitons, et qui financent les médias. Mais cette éducation passe aussi par l’apprentissage de la reconnaissance des « fake news ». Il faut leur apprendre à éveiller cette curiosité naturelle, pour qu’ils aillent gratter. 

Propos recueillis par Élise GILLES

المواضيع الحسّاسة في المجتمع:

Ce texte a été écrit par Oumaima Arfaoui, étudiante à l’IPSI Tunis, dans le cadre des Assises du journalisme 2019. Il s’agit du compte-rendu de l’atelier « Attentats, suicide, maladies graves : traiter du sensible ».

                                   الاستثناء في المعالجة الصّحفية

حالة الصحفيين تتأثر بحالة المستجوب النفسية ولذلك تكون تغطيتهم الصحفية لعدد من الظواهر الاجتماعية الحساسة مثل حالات الانتحار غالبا غير موضوعية، واذا ما تعلق الأمر بالصّحفيين الشبان فان الأمر يستدعي ضرورة التدخل والمرافقة والتّوجية في ما يخصّ الكتابة الصّحفية حتى لا يتم التأثير على الرأي العام وتوجيهه، تلك هي أهم النّقاط التي تناولتها حلقة النقاش التي انعقدت صباح الجمعة حول كيفية المعالجة الصحفية للمواضيع الحساسة في المجتمع كالانتحار والعمليات الإرهابية والأمراض الخطيرة.

واستهلت الصحفية « صوفي كريستين » تأثيث النقاش بعرض تجربة بعض الصحفيين الشبان وعرّجت على مثال التناول الاعلامي لقناة تلفزيونية فرنسية للعملية الارهابية التي جدت مؤخرا في مطار باريس عندما طلب منشط البرنامج من المراسل الصحفي على المباشر وصفا دقيقا لحالة الذعر والذهول التي اصابت الجميع. واعتبرت ان هذا السلوك لا يحترم حرمة الذات البشرية كما أنّه لا يحترم الحالة النفسية للمتفرج.

من جهتها اكدت « ناتالي باولس » المسؤولة عن الديبلوم الوطني الفرنسي لبرنامج « بابقنو » في قراءة لعدد من المقالات انها تعرض حالات الانتحار دون معالجتها بمعنى عدم الغوص في أبعادها المتعددة وهو ما يؤثر سلبا على المجتمع.

و تفاعلا مع ذلك اشارت احدى الحاضرات الى ضرورة التكوين الإعلامي للتمكن من ابجديات التعامل المهني مع مثل هذه الحوادث والظواهر الاجتماعية خاصة على المستوى النفسي وهو ما تسعى له عديد المؤسسات الاعلامية للرقي بمردودها كميا و كيفيا.

وقد أثث هذا اللقاء الذي يعتبر بادرة اولى من نوعها في الملتقيات الدولية عدد من اطباء النفس والصحفيين المنخرطين في رابطة الصحفيين للتدرب على كيفية صياغة معلوماتهم بطريقة تحترم الحالة الحرجة للضحايا وتراعي حالتهم النفسية والصحية.

واعتبرت الأستاذة الجامعية بجامعة بوردو الفرنسية ماري كريستين ليباني أنّ هذا المشروع حديث العهد ولا يزال في طور النمو ويهدف بالأساس الى التسويق الي صورة نافعة للصحفي في مجتمعه في ظل المستجدات الاخيرة.

وفي النقاش العام للورشة تساءل عديد الطلبة الصحفيين عن كيفية التعامل مع ضحايا الاغتصاب خاصة في مجال الصحافة المكتوبة حيث يتم في بعض الأحيان التعرض للحياة الشخصية للمتضرر بطريقة لا تحترم أخلاقيات المهنة.

أميمة العرفاوي  

وسائل الاعلام والسلطة:

Cet article a été écrit par Myriam Mtiraoui, étudiante à l’IPSI Tunis, dans le cadre des Assises du journalisme de Tours. Il s’agit du compte-rendu de l’atelier « La détestation des journalistes, une vieille histoire ».

 » أحدث الاعلام البديل والإذاعات الحرة ثورة وتنوعا على مستوى المادة الصحفية. كما أصبحت تتمتع بنوع من الحرية والشرعية بعد أن كانت وسائل الاعلام مراقبة ومقيدة من قبل السلطة  » هكذا صرحت « كلار بلوندينClaire BLANDIN  » أستاذة في علوم الإعلام والاتصال بجامعة باريس 13.

وأشارت بلوندين » في ذات الإطار إلى ضرورة بلورة فكر نقدي للمضامين الإعلامية. وأكدت أن هذه الالية ليست بالجديدة فقد  ظهرت مع فلاسفة الأنوار  قبل الثورة الفرنسية وتواصلت مع ظهور مؤسسات الصحافة ورؤوس الأموال التي تقف وراء المؤسسات الاعلامية.

وبيّنت بلوندين في مداخلتها ، ضمن الورشة المخصصة لمناقشة موضوع العنف اللفظي والجسدي المسلّط ضدّ  الصحفيين، أنّ هناك ثلاثة نماذج نقدية مرت بها وسائل الاعلام أولها النقد الفكري والذي ظهر قبل الثورة الفرنسية وثانيها نقد النظام الرأسمالي وذلك مع ظهور موجة الاستثمارية والصناعية التي هيمنت على وسائل الاعلام نهاية القرن التاسع عشر مع رجل السياسة الفرنسي « جون جوراس »، وثالثها موجة الغضب الشعبي احتجاجا على الرقابة والدعاية التي ميزت الخطابات الإعلامية مع بداية الحرب العالمية الاولى.

من جانبه تطرّق « ألكسيس لوفريهAlexis LEVRIER  » الباحث والمختص في تاريخ الصحافة إلى أهمية التكوين الأكاديمي للصحفيين لأن المهنة الإعلامية أصبحت تستقطب غير المختصين في المجال الإعلامي، كما دعا الى  ضرورة اعتماد الية النقد الذاتي من قبل وسائل الإعلام سعيا إلى تطويرها ومراجعة خطاباتها غير أنه شدّد  في المقابل على تجريم الاعتداءات الجسدية واللفظية الموجهة ضد الصحفيين.

وقد أجمع الحاضرون في الورشة أن الصحفيين والمفكرين والفلاسفة الذين أرادوا التغيير والثورة على الأفكار المسلمة والأنظمة الديكتاتورية تعرضوا على مرّ التاريخ الى العنف بأنواعه الجسدي واللفظي. وأشاروا أنه من الضروري المحافظة على درجة من الاستقلالية تجاه رؤوس الأموال ورجال السياسة الذين باتوا يستغلون المنابر الإعلامية للدعاية لبرامجهم وتلميع صورهم وهذا ما خلق نوعا من القطيعة بينها وبين الجمهور الذي أصبح يبحث عن قنوات بديلة يستقي منها أخباره.

                                                مريم مطيراوي، زينب جلجلي: معهد الصحافة وعلوم الاخبار

خطابات الكراهية والرداءة الاعلامية

Cet article a été écrit par Myriam Mtiraoui, étudiante à l’IPSI Tunis, dans le cadre des Assises du journalisme de Tours. Il s’agit d’un édito sur la haine des journalistes, intitulé « discours de la haine et de la médiocrité médiatique ».  

وباء سريع الانتشار ظهر خاصة بعد ثورات الربيع العربي وتفشي تحت مسمى « حرية الرأي والتعبير » في منابر وسائل الإعلام، والتي أصبحت بدورها وباء معدي وخطير على المجتمع من خلال ما تبثّه من مضامين رديئة تحرض على العنف والكراهية.

« خطاب الكراهية » أو « خطاب الإقصاء »، يأخذ هذا الخطاب عدة توصيفات لامتناهية وهو لا يقتصر على مفهوم واحد إذ يحمل دلالات عدة.

فمن الممكن أن يكون حاملا لرسائل كره بيّن وتعصب فكري باستعمال الشتم والسب أو كذلك باقصاء الاخر وتحقيره نظرا إلى المنصب السياسي المهم الذي يترأسه الشخص ومدى نفوذه.

لقد بات خطاب الكراهية « الخبز اليومي » الذي نقتاته من مستنقع بعض وسائل الإعلام وشبكات التواصل الاجتماعي.

بمجرد فتحك لموقع « الاقتتال » الاجتماعي ال »فايسبوك » ستعترضك مجموعة من التعليقات المثيرة للاشمئزاز من طرف مجموعة من الأشخاص الذين اختاروا التعبير عن اراءهم بتعليقات تحمل جرعات مقيتة من الكره .

انّهم في الحقيقة ضحايا الإعلام « الرديء » الذي يحرض على العنف والكراهية وإقصاء الآخر، اضافة الى مساهمته في زرع « ثقافة » تبيح السب والشتم والتعدي على حقوق وحريات الأفراد والجماعات، وذلك تحت غطاء بما يسمى « حرية الرأي والتعبير » في الدولة الديمقراطية.

ولعلّ الأدهى والأمرّ من كل من سبق أنّ ذات وسائل الاعلام وبكل المقاييس التي ذكرنا أصبحت المسؤولة الأولى عن تكوين شخصية الطفل الاجتماعية والثقافية حيث لم تعد العائلة اليوم هي المؤسسة الأولى للتنشئة الاجتماعية في عصر الغزو والتطور التكنولوجي الهائل .

« تنتهي حريتك عندما تبدأ حرية الاخرين « هكذا عبر الفيلسوف والكاتب الفرنسي مونتسكيو عن الحرية.  مقولة تجعلنا نتساءل عن مدى فهمنا واستيعابنا لمفهوم مبدأ حرية التعبير الذي ناضل من أجله العديد من الفلاسفة والمفكرين والمواطنين لإرسائه والتحرر من العبودية والديكتاتورية.

إلا أن الساسة والوجوه الإعلامية المستهلكة التي تظهر كل يوم تقريبا في القنوات الفضائية وفي الاذاعات وفي الصحف ان لزم الأمر اختارت أن تعبر عن رأيها بطريقة ترتفع فيها حدة الأصوات بالشتم والسبّ والقذف متهجّمة على حزب تارة وفاضحة لشخصية عامة أو مسؤولة تارة أخرى لا لشيء الا لتظهر بمظهر حامي البلاد ومنقذها ومخلّصها الذي سيغير مجرى الأحداث لو سنحت له الفرصة، ولعمري انّهم من كلّ ذلك براء

أما اولئك الذين يدعون الثقافة والفنّ يمرّرون في الآن ذاته رسائل تحرض بطريقة غير مباشرة على العنف ضد المرأة عبر توظيف تعبيرات منحطة تتداول في الشارع وغير قابلة للنشرفي وسائل الإعلام العامة .

ترسانة من القوانين والمواثيق أحدثت لتنظيم قطاع الصحافة والتصدي لمثل هذه الخطابات. لكنها تظل دائما حبرا على ورق، ففي تونس مثلا أحدثت الهيئة العليا المستقلة للإتصال السمعي البصري بعد الثورة لمراقبة التجاوزات الحاصلة في مختلف القنوات الفضائية كجزء من مهامها لكن عملها ظل محدودا ولم تتمكن من محاربة الرداءة.

فهل علينا تشريع قوانين جديدة تحد من خطاب الكراهية في منابر الإعلام؟ أم أنها هي أيضا ستظل حبرا على ورق؟

الإجابة سهلة نحن لسنا بحاجة إلى قوانين بقدر حاجتنا إلى تفعيلها وإحترام أخلاقيات مهنة الصحافة والسعي إلى كتابة ونشر مضامين ذات جودة للنهوض بالصحافة وتعزيز ثقافة الحوار والاختلاف وقبول الاخر.

والجدير بالذكر أن المنتدى العالمي للصحافة بمدينة تور الفرنسية قد تناول هذه الإشكالية في عدة ورشات أثثها مجموعة من الصحفيين والباحثين وذلك نظرا لتفشي خطابات الكراهية في وسائل الإعلام.

مريم مطيراوي

Les journalistes au plus proche des citoyens

Depuis 2016, l’expérience des journalistes en résidence a été lancée. On en parle aux Assises comme une formule qui réussit. Vincent Coquaz, journaliste résident à Libération, donne des détails à propos de ce concept dont le but est de rapprocher les journalistes des habitants.

Le projet de journaliste en résidence, qui permet une immersion de longue durée sur un territoire, consiste à rapprocher les habitants des médias et de discuter avec eux de leur rôle. Présent dans les quartiers politiques, le journaliste vient en soutien aux projets éditoriaux et à l’éducation aux médias. Vincent Coquaz, journaliste artistique pour Radio Campus Besançon et enseignant en journalisme, a choisi volontairement de se lancer dans cette expérience.

Il explique que les difficultés des journalistes dans leurs relations avec le public proviennent essentiellement « des mauvaises expériences vécues en raison d’un reportage mal fait », suscitant « la défiance de la part des citoyens ».

Le journaliste en résidence permet d’aller vers le public et d’échanger avec les étudiants. C’est une opportunité qui s’offre au journaliste pour « savoir comment les gens s’informent » selon Vincent, et de saisir le décalage entre ce qui est diffusé, les questions de neutralité et de subjectivité.

Pour lui, le journaliste n’est pas au-dessus de toutes critiques. Son rôle est « d’être crédible ».

Bourezgui Nourhene, étudiante tunisienne à l’IPSI

[EN PLATEAU] Franck Riester, ministre de la Culture

En déplacement aux Assises du journalisme à Tours, vendredi 15 mars, Franck Riester a évoqué la possible création d’un conseil de presse. Le Ministre de la Culture est également revenu sur la position du pouvoir politique à l’égard des journalistes.


La Feuille : En janvier 2019, vous avez évoqué la volonté de créer un conseil de déontologie du journalisme. Pourquoi voulez-vous mettre en place ce dispositif ?

F.R. : Dans la société, il y a de plus en plus de défiance vis-à-vis des élites au sens large : les politiques, les chefs d’entreprise et les journalistes. Il me paraît intéressant de réfléchir aux moyens pour recréer de la confiance entre les Français et les journalistes. Dans certains pays, des instances ont été mises en place dans lesquelles les citoyens peuvent formuler des recours. Avec des résultats très intéressants, puisque cela offre la possibilité de donner un avis sur le traitement de l’information. Et donc avoir le sentiment que les journalistes ne sont pas des personnes qui n’ont aucun compte à rendre.

N’est-ce pas une mauvaise chose que cette initiative vienne du gouvernement ?

F.R. : Cela ne peut pas être une décision politique parce qu’elle toucherait à un principe très important de liberté de la presse. Une mission a été confiée à Emmanuel Hoog, ancien patron de l’AFP, pour réfléchir à cette question et consulter un grand nombre de journalistes et patrons de presse. Cela permet de voir sous quelle forme pourrait-on créer le conseil de presse. Mais il ne peut être créé que s’il y a une volonté des professionnels. Nous citoyens français, nous responsables politiques, nous journalistes, nous devons retisser des liens de confiance entre les médias et les Français. Le conseil de déontologie peut être une solution qui ne peut passer que par les professionnels de la presse.

Cette année, nous avons vu plusieurs personnalités politiques exprimer une certaine hostilité à l’égard des journalistes, à l’image de Jean-Luc Mélenchon qui a déclaré que la « haine des médias et de ceux qui les animent était juste et saine ». Qu’en pensez-vous ?

F.R. : C’est inadmissible. Nous, hommes et femmes politiques, avons une responsabilité toute particulière vis-à-vis de nos compatriotes pour expliquer qu’il n’y a pas de démocratie sans presse. La presse, et le pluralisme qui va avec, est un pilier essentiel de la démocratie. Nous devons montrer l’exemple sur ce sujet. Si on ne veut pas qu’il y ait de violences à l’égard des journalistes, il faut que les responsables politiques tiennent des propos respectueux. Les questions, les prises de position des journalistes peuvent parfois déranger, mais ce n’est pas grave : c’est cela la démocratie. Il faut que l’on veille à ce que cette presse reste libre, indépendante et plurielle.

Pourtant, après les révélations de l’affaire Benalla, le président Emmanuel Macron s’était attaqué à la presse en lui reprochant de « vouloir devenir un pouvoir judiciaire ».

F.R. : En tant que ministre de l’Audiovisuel et de la Culture, je vois que le président de la République souhaite continuer une politique ambitieuse en matière d’aides à la presse et de financement. La presse a besoin d’être accompagnée financièrement pour exister économiquement. Il souhaite que tous les moyens soient donnés pour faire en sorte que les missions de service public puissent continuer d’être satisfaites. Il a la volonté très claire de préserver la liberté de la presse et de donner les moyens nécessaires pour sa pérennité économique. Sur les questions de liberté de la presse, non seulement il est vigilant en France mais il a un rôle international majeur en travaillant avec un certain nombre d’organisations de journalisme, par exemple Reporters Sans Frontières, pour faire en sorte que la liberté de la presse soit vraie dans notre pays mais aussi dans un grand nombre de pays dans le monde.

Ça bouge dans… les écoles

L’affaire de la Ligue du LOL a mis en lumière des cas de harcèlement dans le milieu du journalisme. Les grandes écoles ne sont pas épargnées par ce fléau.

Avec son enquête sur la Ligue du LOL, Checknews, la cellule de fact-checking de Libération, est à l’origine d’une importante vague de témoignages et réactions, qui remonte même jusqu’aux écoles de journalisme. Un problème qui reste actuel et dont les écoles prennent peu à peu conscience. À l’EJDG à Grenoble par exemple, Céline Argento, ex-étudiante, est sortie du bois sur Twitter. « D’anciens membres de ma promo […] continuent aujourd’hui d’alimenter un groupe de haine, joliment appelée ‘‘Ultim-hate’’.»

Sur une conversation Facebook, aujourd’hui délaissée par beaucoup et regroupant les étudiants de plusieurs écoles de journalisme reconnues, des moqueries ont longtemps fusé sur les noms de famille de certains. Citons encore les chants antisémites et homophobes des étudiants de l’ESJ Lille qui auraient été entendus aux tournois de foot annuels inter-écoles. En 2017, Nassira El Moaddem avait affirmé sur Twitter avoir été victime d’actes malveillants de certains camarades de promo à Lille, comme Hugo Clément, qui a nié les faits. « Les étudiants dits ‘‘cools’’, ceux-là même qui m’ont harcelée au téléphone me faisant miroiter un recrutement à Radio France », dénonçait-elle à l’époque sur Twitter.

Certaines écoles ont mis en place des actions de prévention, comme à l’IJBA de Bordeaux, où le directeur Arnaud Schwartz, a annoncé à l’AFP réunir ses étudiants pour « en parler et attirer leur attention sur les questions de harcèlement ». L’école de Sciences-Po Paris, elle, vérifie désormais le passé de tous ses intervenants pour ne conserver que ceux au comportement plus vertueux.

Alice BLAIN

L’actualité en signes

(Photo : Nidid)

Sophie Scheidt présente le premier journal entièrement en langue des signes. Ce programme, “Le 10 minutes” , est diffusé sur le site de M6.

De traductrice à présentatrice, Sophie Scheidt cherche à rendre l’information plus accessible aux personnes handicapées. Sourde de naissance, elle est à l’origine du projet « Le 10 minutes », émission web de M6 entièrement réalisée en langue des signes.

La Feuille : Quel a été votre parcours ?
Sophie Scheidt : J’ai eu la chance de faire toute ma scolarité dans une classe bilingue, en français et en langue des signes. J’ai ensuite intégré un parcours pour devenir interprète. Lorsque j’ai été embauchée dans une agence de traduction, j’ai commencé à m’intéresser à l’accessibilité des lieux publics pour les personnes sourdes. On était aussi l’une des seules entreprises à traduire les actualités. Lorsqu’elle a fermé, j’ai eu des difficultés à retrouver un travail. Avec mon collègue Olivier Calcada, nous avons décidé de créer notre propre structure de traduction Vice-Versa, qui existe depuis trois ans et demi.

Comment avez-vous intégré l’émission « Le 10 minutes » de M6 ?
S.S. : Dès mes débuts en tant que traductrice, je m’intéressais à l’accès aux médias. On savait à l’époque qu’il y avait un vrai potentiel d’audience derrière. On a eu l’idée de monter un projet et de le proposer à M6. On ne savait pas encore sous quelle forme, mais on voulait rendre l’information accessible. On a donc créé un concept, on a dû chercher des fonds… Petit à petit, les portes se sont ouvertes, les personnes étaient vraiment intéressées par ce projet. « Le 10 minutes » est né. On voulait qu’il soit sur Internet pour le rendre plus accessible. Olivier et moi-même en sommes les présentateurs. Notre but n’était pas de parler de handicap, on n’évoque presque jamais le mot, mais de développer un programme accessible aux personnes sourdes.

Est-ce que cette initiative peut banaliser les questions liées au handicap dans les médias ?
S.S. : Oui bien sûr ! L’objectif n’était pas de se mettre en avant. J’ai eu la chance d’avoir pu faire de longues études, mais la France accuse un grand retard : beaucoup de personnes sourdes sont illettrées ou en échec scolaire. Aujourd’hui, la jeune génération a accès aux nouvelles technologies. Grâce à l’émission, elle peut s’imaginer plus facilement un avenir. Le but était aussi de créer un nouveau modèle d’émission, qui puisse durer dans le temps, car on n’est pas immortel. [Rires]

Considérez-vous que les journalistes sont « tous les mêmes » ?
S.S. : Il est vrai que sur les chaînes télé, il y a des codes, des choses assez normées. Par exemple, on ne voit pas souvent des personnes d’outre-mer ou des personnes qui ont des accents. Les sourds sont aussi absents des écrans. Même si on a une culture et une langue minoritaires, je me sens Française avant tout. Je pense que certaines initiatives, comme celle de M6, participent à l’inclusion de l’ensemble de nos cultures. On aimerait que les présentateurs sourds soient plus nombreux.

Propos recueillis par Perrine BASSET

[ENQUÊTE] : Aux gros maux les remèdes

Violence, méfiance, méconnaissance… La relation entre les médias et les Français est parfois conflictuelle. Des solutions existent pourtant.

Des journalistes pourchassés et insultés, leurs agents de sécurité roués de coups… Les violences envers les journalistes se sont intensifiées ces derniers mois. Selon un baromètre commandé par La Croix, datant de janvier 2019, 19 % des Français considèrent que ces insultes et agressions sont compréhensibles et justifiées. Les causes de cette haine sont nombreuses. Il est notamment reproché aux professionnels de l’information un certain manque de neutralité, un manque de proximité avec le public et un décalage avec la réalité. Pour lutter contre cette défiance, la profession cherche des solutions. Voici trois d’entre elles.

Renouer le contact avec le public

Presque toutes les rédactions possèdent désormais leur propre service de vérification de l’information appelé « fact-checking ». Si ce système existe depuis longtemps, la manière de procéder a évolué. Libération est, par exemple, passé de la simple vérification d’informations à la réponse aux questions directement posées par les internautes. « Cela crée un lien direct avec le lecteur et permet également au journaliste de sortir de sa bulle », précise Pauline Moullot, journaliste de Checknews. Par souci de transparence, la rédaction est allée jusqu’à révéler le scandale de la Ligue du LOL, qui concernait deux de ses rédacteurs. Dans les écoles de journalisme, des cours sont dispensés sur le sujet. Pour Laurent Bigot, journaliste, maître de conférence et responsable de la presse écrite à l’École publique de journalisme de Tours (EPJT), « le but du fact-checking est d’aider les étudiants à acquérir des réflexes de vérification avec des standards plus pointus que ceux qui sont généralement mis en œuvre dans les rédactions ». Le Parisien a lui aussi créé Le labo des propositions citoyennes, une passerelle qui répond aux questions des lecteurs. Créée dans le cadre du Grand Débat, elle propose des informations vérifiées, développées et contextualisées.

Créer de nouveaux formats

Pour lutter contre le manque de diversité des médias traditionnels, certains journalistes innovent avec des nouveaux modèles de diffusion. Brut, créé en 2016, utilise les réseaux sociaux pour partager ses reportages vidéo. La formule fonctionne : en 2018, plus de 400 millions de vues ont été dénombrées sur Facebook. Lors de la crise des Gilets jaunes, Rémy Buisine, journaliste à Brut, s’est démarqué en réalisant de nombreux Facebook live des manifestations. « L’avantage des directs sur les réseaux sociaux, ce sont les commentaires des internautes. C’est une valeur ajoutée car on est connecté directement avec notre audience », détaille-t-il. Mais le direct n’enlève rien à la véracité du contenu selon lui : « Ce n’est pas parce que je suis en direct que je ne peux pas avoir de recul sur les événements. Je suis en contact permanent avec ma rédaction et les autorités compétentes. »
D’autres médias sociaux sont également de plus en plus présents et importants, comme le témoigne l’essor de la chaîne YouTube Hugo Décrypte, lancée en 2015 par Hugo Travers, alors étudiant à Sciences Po. L’objectif de son format est d’expliquer l’actualité à des jeunes, âgés de 15 à 25 ans. « L’une des causes de la défiance, c’est que beaucoup de jeunes ne suivent pas les informations. Avec ma chaîne, j’essaie de leur apporter un certain contenu d’information », explique le jeune homme de 21 ans.

Sensibiliser les jeunes

Former pour comprendre de quelle manière les médias fonctionnent est également un enjeu pour lutter contre cette haine. Créé il y a quarante ans, le Centre de liaisons pour l’éducation aux médias et à l’information (Clémi), promeut l’éducation aux médias sous différentes formes. « Zéro Cliché », par exemple, est un concours ouvert aux écoliers, collégiens et lycéens, qui prône la déconstruction des stéréotypes sexistes à travers la production de contenus journalistiques. Serge Barbet, directeur du Clémi, placé sous la tutelle du ministère de l’éducation, estime la mission nécessaire. « Quand on apprend à faire la différence entre une bonne information et une manipulation, on évite déjà un certain nombre de pièges. C’est ce qui permet de devenir un citoyen éclairé. » Des initiatives existent aussi localement. En Indre-et-Loire, l’association Jeunes reporters (8-13 ans et 13-18 ans) a été créé en juin 2017, suite à un projet scolaire datant de 2007. Le but est de « faire découvrir le journalisme, apprendre à écrire pour les autres, mais aussi aller jusqu’au bout de leur démarche », explique Gaëtan Després, qui encadre les jeunes. Les médias prennent également des initiatives pour l’éducation. Estelle Cognacq, directrice adjointe de la rédaction à France Info, insiste sur cette thématique, selon elle « incontournable ». « On organise de nombreuses rencontres entre les journalistes et les classes. Il y a une nécessité pédagogique de la part des médias d’aller vers les jeunes et de démystifier notre métier. »

Une haine qui a traversé les siècles

Mélina RIVIERE et Suzanne RUBLON

Estelle Cognacq : «Les jeunes sont plus éloignés du monde des médias qu’il y a vingt ans»

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Estelle Cognacq est membre du jury des Prix éducation aux médias et à l’information de cette 12e édition des Assises, et directrice adjointe de la rédaction à France Info.

La Feuille: à titre personnel, quels critères avez-vous retenus pour présélectionner les projets en lice ?

Estelle Cognacq: J’ai été particulièrement attentive à leur originalité. Certains ne sont pas novateurs. J’ai été plus intéressée par des projets avec des thématiques nouvelles.

Quelles initiatives vous ont marquée en termes d’éducation aux médias et à l’information ?

E.C. : Celles dédiées aux personnes qui n’ont pas accès aux médias, comme « Interclasses » de France Inter, nommé dans la compétition pour le Prix pour la meilleure initiative dans un média francophone. C’est un projet où des journalistes viennent créer un média dans des lycées de banlieue. Ce type d’initiative permet de renouer le contact entre les journalistes et la population. Il y a aussi tout le travail d’éducation aux médias et à l’information opéré par le Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information (Clemi). Il organise des rencontres entre des journalistes et des classes de jeunes. Ces scolaires viennent découvrir les rédactions pour poser des questions aux journalistes. Nous, à France Info, quand nous accueillons des scolaires, nous les faisons beaucoup réfléchir à la vérification de l’information.

Comment expliquer que l’éducation aux médias et à l’information ait une telle importance aux Assises ?

E.C. : Le manque de proximité entre les journalistes et la population est une composante de la crise des médias. Les jeunes sont plus éloignés du monde des médias qu’il y a vingt ans. Avant, les parents regardaient le journal avec leurs enfants et des journaux traînaient à la maison. Une discussion se créait sur des sujets. Aujourd’hui, il n’y a plus de débat, les jeunes sont livrés à eux-mêmes. On ne sait plus comment ils s’informent. Sans adulte, ils ne peuvent pas développer un regard critique. C’est une des raisons qui expliquent l’éloignement entre les journalistes et leur public, d’autant plus que les jeunes sont plus sensibles aux fake news et aux théories du complot. Cela veut dire qu’il faut encore plus les éduquer. Ils sont les lecteurs de demain.

Propos recueillis par Théo TOUCHAIS et Mathilde WARDA

[PORTRAIT] Ariane Chemin, femme du Monde

Il est 11 h 10, ses talons claquent sur le sol de la rédaction du journal, qu’elle traverse d’un pas décidé. Ariane Chemin est difficile à suivre, sans cesse en mouvement.  Un rapide passage à son bureau, « banal » comme elle le qualifie, qu’elle partage avec Florence Aubenas ou son amie Raphaëlle Bacqué.

Au journal Le Monde, elle fait partie de la famille des « grands reporters », mais elle, se définit simplement comme « journaliste ». Pour Ariane Chemin, le travail est le même : « Je n’aime pas certaines oppositions que l’on fait. Cela me parait étrange de toujours vouloir faire ces distinctions. Pour moi, ce qui fait la qualité d’un journaliste, c’est sa curiosité et sa volonté permanente de vouloir sortir des informations. »

Le goût du terrain

Ariane Chemin et Raphaëlle Bacqué présideront cette année le jury des Assises internationales du journalisme. Habituées à écrire à quatre mains pour Le Monde ou pour des livres, elles n’ont pas choisi le thème par hasard : « S’intéresser à la contestation envers les médias nous semblait pertinent, car c’est un phénomène nouveau. Selon moi, le déclencheur a été la dernière élection présidentielle. Certains candidats ont beaucoup critiqué la presse. C’était la première fois que cela arrivait dans une présidentielle », explique Ariane Chemin. Mais pour la journaliste, cela va même au-delà de la simple défiance : « Tout cela participe selon moi à la  montée d’un climat populiste qui ne se limite pas qu’à la France. »

Ariane Chemin est une femme de terrain. Après sept ans au service politique du Monde, sa curiosité la pousse à partir, mais jamais très loin de sa « deuxième maison ». Elle intègre le service grands reporters du journal en 2002 : « J’avais envie de découvrir d’autres choses. Certaines personnes sont plus heureuses en restant dans un domaine qu’elles connaissent, ce n’est pas mon cas. »

Aujourd’hui, elle traite de tous les sujets, sur tous les terrains, et elle aime ça. « Ce qui la caractérise, c’est son éclectisme. Elle aime aussi bien écrire sur la Corse ou sur les coulisses de l’élysée que sur le passage d’un ouragan », confie son amie de longue date et collègue Raphaëlle Bacqué.

Parfois, son travail l’amène un peu plus loin qu’elle ne l’avait imaginé. Le 18 juillet dernier, la journaliste publie dans Le Monde une enquête qui identifie Alexandre Benalla prenant à partie des manifestants place de la Contrescarpe à Paris. Le premier article d’une longue série… « Personne n’avait compris à ce moment qu’Alexandre Benalla n’était pas seulement l’homme qui usurpait une  fonction, mais qu’il était aussi un personnage au cœur de l’Elysée. Au fond, c’est une affaire qui raconte le fonctionnement d’un pouvoir. »

Un combat

Au fil des années, la femme de terrain est aussi devenue une femme de combats. En 2012, dans une série consacrée à l’histoire de son journal, Ariane Chemin revient sur l’année 1978, celle où Le Monde avait offert une tribune au négationniste Robert Faurisson. Un peu plus tard, l’article est repris dans le livre Le Monde, 70 ans d’histoire et le négationniste décide d’attaquer Ariane Chemin et le journal en justice pour diffamation. La journaliste gagnera son procès. « C’est l’une des choses dont je suis la plus fière », confie-t-elle.

En racontant son histoire, elle paraît très calme. Mais son regard, lui, ne perd jamais de sa force. Vincent Martigny est l’un de ses amis proches. Ensemble, ils ont animé pendant un an l’émission « L’Atelier du pouvoir » sur France Culture. Il se souvient du jour du procès : « J’ai vu quelqu’un de très différent de la personne que je voyais tous les jours. Une femme tenace et déterminée à ne pas laisser le mensonge l’emporter. »

Emmanuel Haddek Benarmas 

BFMTV, LCI et Franceinfo… Des sœurs jumelles, vraiment ?

Les chaînes d’information en continu sont au cœur de la tourmente. Dès les prémices du mouvement des Gilets jaunes en novembre 2018, la défiance affichée par une partie des Français contre les médias et en particulier les chaînes d’info en continu n’a fait qu’augmenter. Nulle n’est épargnée, de BFMTV à LCI en passant par Franceinfo. Ces chaînes sont-elles toutes les mêmes ? Nous avons visionné trois chaînes en simultané le jeudi 7 mars à 14 heures puis à 18 heures, pendant une heure à chaque fois. Si le contenu se ressemble, la façon de raconter l’information est, elle, différente selon les chaînes.

BFMTV, « priorité au direct »

Contrairement à ses trois concurrents diffusant au même moment le dixième débat d’Emmanuel Macron à Gréoux-les-Bains, dans les Alpes-de-Haute-Provence, BFMTV reste sur l’information en continu avec comme sujet phare la démission du cardinal Barbarin. « C’est un choix totalement assumé. Cela fait écho à notre volonté de donner la priorité au direct et à l’information à nos téléspectateurs », explique Laurent Drezner, secrétaire général de la rédaction de la chaîne. Au fil de ses éditions de flashs infos, BFMTV joint l’analyse au factuel, à grand renfort de chroniqueurs, à l’image du journaliste Nicolas Prissette, revenu à trois reprises pour décrypter l’annonce de la démission du cardinal.

LCI, gare au duplex

Si les sujets abordés dans ses JT diffèrent peu de ceux du leader d’audience BFMTV, LCI se démarque par ses duplex. Au risque de tourner en rond, comme le confirme Julien Garrel, journaliste pigiste sur la chaîne. « Pendant les matinées des premiers samedis de mobilisation des Gilets jaunes, nous faisions des “duplex teasing”, qui ne servent finalement qu’à introduire ce qui allait se passer l’après-midi. » Un procédé sans valeur ajoutée que la chaîne du groupe TF1 a rapidement abandonné ensuite.

Franceinfo, la différence

Sur Franceinfo, à la fois la forme et le contenu diffèrent de ceux de BFMTV et de LCI. La chaîne publique lancée en 2016 met l’accent sur l’explication par un journaliste, souvent en images, sur le plateau plutôt que de multiplier les interventions sur le terrain. Même les flashs infos s’articulent différemment. Leur longueur, une demi-heure pour Franceinfo, quinze minutes pour les deux autres, change la hiérarchie de l’information et le choix des sujets. À défaut d’être rapide, Franceinfo s’octroie la liberté de proposer des sujets un peu plus longs et de contenus plus divertissants comme la séquence « VU » (similaire à l’ancien « Zapping » de Canal+), impensables dans le quart d’heure de BFMTV. Le paysage de l’information en continu ne serait donc pas aussi uniforme que certains pourraient le penser. Si BFMTV et LCI présentes des similitudes, Franceinfo propose un regard et un rythme différents. Pourquoi alors ces chaînes sont-elles autant critiquées ? « Peut-être pour la simple raison qu’elles n’ont jamais été autant regardées », conclut Laurent Drezner.

Benjamin Baixeras et Louis Boulay

[ENQUÊTE] : Journalistes, au tableau !

Le conseil de la presse : un outil de régulation magique à brandir à loisir pour faire respecter les règles de démocratie. (Photo : Suzanne Rublon)

 

La création d’un conseil de presse fait de nouveau débat chez les journalistes et les éditeurs. Certains plébiscitent un outil de régulation. D’autres craignent la censure. 

Entre les médias et leur public, le climat est délétère. Les journalistes sont régulièrement pris pour cible dans l’espace public. Une fracture symbolisée par le mouvement des Gilets jaunes. Alors comment rétablir la confiance entre la profession et la population ? Une proposition revient souvent dans les débats : l’autorégulation des médias, avec l’instauration d’un conseil de presse déontologique. Jean-Luc Mélenchon avait porté cette idée dans son programme lors de l’élection présidentielle de 2017, avant, quelques mois plus tard, de lancer une pétition en ligne qui avait recueilli plus de 190 000 signatures. En 2014, Aurélie Filippetti, alors ministre de la Culture, avait lancé une mission sur le sujet qui avait conclu à l’absence de consensus entre syndicats de journalistes, ouvertement favorables, et éditeurs.

« Sujet sensible »

En octobre 2018, le ministère de la Culture s’est réemparé du dossier en confiant une mission sur le sujet à Emmanuel Hoog. Initialement prévue en janvier, la publication du rapport, qui n’engage pas le processus de création d’un conseil de presse, devrait être faite d’ici quelques jours.

Franck Riester, le ministre de la Culture, se dit « prudent » quant à cette démarche, parlant même de « sujet sensible » dans les colonnes du JDD du 10 mars. « Le rapport et ses conclusions pourront être une base de travail pour les journalistes, mais sa vocation première sera de faire de la pédagogie : expliquer ce qu’est un conseil de presse. C’est aux professionnels de s’entendre sur le périmètre d’action », précise Emmanuel Hoog.

La déontologie occupe d’ores et déjà une place importante au sein du paysage médiatique du pays. La presse française se réfère à différents textes déontologiques, comme la Charte de Munich, quand les rédactions n’ont pas leur propre code, à l’image de Ouest-France ou France Télévisions. Radios et télés, quant à elles, relèvent du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) qui peut, dans les cas les plus extrêmes, émettre des sanctions.

Mais la France demeure une exception sur le Vieux continent. Une vingtaine de pays européens se sont déjà dotés d’un conseil de presse, parmi lesquels figurent la Belgique, la Suède, le Danemark ou la Norvège, membres du top 10 du classement de la liberté de la presse de Reporters sans frontières.

Soupçon de corporatisme

« La présence d’un conseil de déontologie de la presse n’entraîne pas automatiquement une montée au classement, mais cela peut expliquer en partie la bonne place qu’y occupent certains pays comme le Danemark », analyse Paul Coppin, le responsable des activités juridiques de l’organisation. Selon les pays, les priorités de ces instances diffèrent. Régulièrement mis en avant, le traitement des plaintes du public n’est pas forcément la tâche principale de ces conseils conçus pour être des médiateurs forts entre le public et les journalistes.

Leur composition varie également selon les pays. La plupart ont une représentation tripartite, avec des journalistes, des éditeurs et des représentants de la société civile, afin d’éviter les soupçons de corporatisme. Une particularité que le futur conseil de presse français pourrait présenter. « Ceux qui se sont montrés favorables à un conseil de presse ont tous dit qu’il fallait une représentation de la société civile au sein de cette instance », confirme Emmanuel Hoog. Le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil) se dit ouvert au principe d’un conseil de presse. Tout comme le Syndicat national des journalistes (SNJ) qui revendique la « création d’une instance nationale de déontologie » et demande l’inscription de la Charte de Munich dans la convention collective des journalistes. Jean-Marie Charon, sociologue au Centre national de la recherche scientifique et spécialiste des médias, estime que cette dernière requête suffit. « Reconnaître un texte qui soit opposable par les journalistes serait beaucoup plus intéressant que d’avoir un conseil au-dessus de tout », juge-t-il, considérant comme « inutile » la création d’un conseil de presse. « On peut envisager la médiation d’une autre manière, comme par exemple avoir des structures au sein des rédactions », argue encore Jean-Marie Charon. Mais la création de ce conseil ne solutionnerait pas tout. Plusieurs critiques reviennent souvent sur la mission d’Emmanuel Hoog.

La principale : que l’État soit à l’initiative du projet. « Même s’il n’aura aucun pouvoir dans le conseil une fois celui-ci créé, cette démarche n’envoie pas un bon signal », estime par exemple Jean-Christophe Boulanger, président du Spiil. Emmanuel Hoog tempère : « Ce n’est pas parce que l’État me missione qu’il jouera un rôle dans le futur conseil de presse. Sa place sera nulle. »

La solution aux problèmes déontologiques pourrait d’abord passer par les rédactions et par des journalistes qui se remettent quotidiennement en question. En janvier 2018, le quotidien La Voix du Nord a officiellement mis fin à la relecture de ses papiers par les interviewés. Une pratique imposée par certains hommes politiques, mais aussi, parfois, par ceux qui militent pour la création d’un conseil déontologique…
Les spécificités des conseils de presse à l'étranger

Ariel GUEZ et Camille MONTAGU

[INTERVIEW-WC] Aude Lalo, fondatrice de Flush

À 34 ans, Aude Lalo est la fondatrice de Flush, magazine trimestrielle décryptant l’actualité « à travers le prisme de la lunette des toilettes ». Issue d’une  école de commerce et après une douzaine d’années à travailler entre culture et communication, elle s’occupe aujourd’hui de la direction, de la publication et de la rédaction au sein de ce média. Présente mercredi, lors de la conférence « Nouveaux médias, ils se sont lancés cette année », aux Assises internationales du journalisme de Tours, elle est revenue sur le développement de Flush, de sa création aux premiers retours, et nous a livré une interview privée.

Harcèlement : « Les écoles de journalisme doivent donner la possibilité à leurs étudiants de parler»

Canulars malveillants, sexisme et pressions… L’affaire de la Ligue du LOL a relancé le débat sur le harcèlement dans les écoles de journalisme. Nassira El Moaddem, journaliste et diplômée de l’École supérieure de journalisme de Lille (ESJ), insiste sur la nécessité de briser la spirale du silence.

La prépa égalité des chances présente chaque année un taux de réussite de 80 % selon Nassira El Moaddem. (Photo : Twitter : @NassiraELM)

Pensez-vous qu’une plus grande attention doit être portée à ce qu’il se passe entre les murs des écoles de journalisme ?

Nassira El Moaddem : Il faut prendre des pincettes et garder en tête que j’ai quitté l’ESJ il y a sept ans, en 2012. Je pense qu’il y avait à l’époque un vrai problème de domination d’un groupe sur le reste de la promotion. Un groupe de jeunes hommes encensés par la majorité, qui faisaient la pluie et le beau temps, distribuaient les bons et les mauvais points, et faisaient et défaisaient les réputations. Ils rendaient l’atmosphère toxique, de telle sorte que certaines personnes, notamment les étudiantes, dont certaines ont témoigné depuis, ont expliqué à quel point il leur devenait difficile de venir à l’école et ont fait en sorte de tirer un trait le plus vite possible sur leurs deux années d’études. On a tous travaillé très dur pour entrer à l’ESJ et ces années sont beaucoup de souffrance pour un certain nombre de personnes. Je pense qu’il faut que les écoles donnent la possibilité à leurs étudiants de parler, de mettre des mots sur leur situation et faire comprendre que les portes des encadrants sont réellement ouvertes. Par réellement ouvertes, j’entends par le temps et les moyens accordés, l’opportunité de pouvoir parler. Mais il faut que des systèmes d’écoute soient mis en place pour que les étudiants se sentent suffisamment en confiance pour raconter leurs difficultés et leurs souffrances.

En 2012, les conditions n’étaient donc pas réunies pour que les élèves de votre promotion expriment leurs souffrances ?

N. EM. : Au vu de ce que j’ai lu et écouté comme témoignages, souvent venus d’étudiantes, ça me semble encore très peu le cas dans les écoles et je pense que celles-ci doivent y travailler. Les écoles nourrissent et alimentent par ailleurs la notion de « réseaux d’anciens ». Mais encore faut-il vouloir en faire partie. Un réseau d’anciens s’entretient, et on peut ne plus avoir envie d’y appartenir après ce genre d’expérience. D’anciennes étudiantes m’ont dit être dégoûtées par cela, parce qu’elles n’ont jamais eu l’impression d’être considérées à leur juste valeur à l’école. Si ce n’était pas le cas pendant leurs études, pourquoi faire semblant d’appartenir à un réseau d’anciens auquel elles ne s’identifient pas ? Ces réseaux ont pourtant de nombreux avantages, notamment pratiques, mais aussi en tant que lieu de nombreux débats sur la profession. Ils devraient aussi jouer un rôle dans la valorisation de tous les profils, et assurer l’intégration pour ces étudiantes qui se sont senties délaissées, et abandonnées durant leurs études. Je pense que les écoles ont un vrai travail à faire là-dessus.

« On ne peut pas faire comme s’ils n’existaient pas car ils s’imposent à nous. »

 

Ces étudiantes, se sont-elles également senties mises à l’écart après leur entrée dans le monde du travail ?

N. EM. : Ce qui est certain, c’est que ce qu’elles ont subi les a suivies. Soit parce que ça a eu une incidence sur leur parcours professionnel, soit parce qu’à un moment elles y ont repensé. On évolue dans un milieu assez réduit, dans le sens où l’ont peut être amenés à travailler ensemble, on se croise dans les rédactions, dans les soirées d’anciens, et il y a quand même souvent des opportunités de se retrouver. Malheureusement c’est compliqué pour ces personnes de tirer un trait sur ce qu’elles ou ils, ont vécu. Plus encore lorsque l’on se retrouve face à ceux qui ont infligé des souffrances, qui sont parfois devenus des personnalités médiatiques. On ne peut pas faire comme s’ils n’existaient pas car ils s’imposent à nous.

Mais quelles incidences ont réellement ces comportements néfastes ?

N. EM. : Je me suis aussi intéressée aux conséquences de ces situations de domination une fois le diplôme obtenu, dans l’exercice du métier. J’ai fini par regarder ce qu’étaient devenus les étudiants de ma promo. On était un peu plus de cinquante étudiants, tous diplômés en 2012. En 2019, à l’aune de tout ce que j’ai pu dire de mon parcours à l’ESJ de Lille et tout ce dont on m’a parlé, j’ai remarqué quelque chose de très frappant. Les filles sont encore trop nombreuses à être dans des situations de précarité, sept ans après avoir été diplômées. Lorsque je parle de situation de précarité, j’entends non titularisées dans les rédactions, avec parfois un statut de pigiste qui est subi, certaines ont même complètement abandonné le métier. J’en ai identifié trois au moins. Et à l’inverse, des garçons qui sont plus souvent titulaires, en CDI dans les rédactions, occupant parfois des postes de chefs et pour certains une exposition médiatique très forte. Bien sûr, il faut prendre en compte que nous étions une majorité d’étudiantes dans ma promotion. Mais il faut garder en tête que ces systèmes de domination d’un groupe masculin sur d’autres personnes était infligés, le plus souvent, à des filles d’origine modeste, ou d’origine étrangères.

Avez-vous constaté des résistances face à l’emploi du terme harcèlement ?

N. EM. : Moi je l’ai directement exprimé de cette façon quand j’ai informé la direction des études de ce que ces trois étudiants me faisait. C’est le mot que j’ai utilisé. Je l’ai dit, je l’ai écrit, et la direction n’a pas pris la mesure de ce qui s’est passé à ce moment-là, ni sur les actes en eux-mêmes, ni sur ce qu’ils voulaient dire de ces personnes durant ces deux années.

Propos recueillis par Eléa Chevillard

Ça bouge dans… le monde des podcasts

Le secteur des podcasts est en plein effervescence : créateurs indépendants et studios de production se multiplient. Mais ce nouveau format peine encore à toucher un large public.  

 

PODCAST

Depuis « Serial », sorti en 2014, le secteur du podcast vit un véritable boom. Les deux premières saisons de ce feuilleton radiophonique américain portent sur des affaires judiciaires. Elle ont enregistré plus de 350 millions de téléchargements.

Deux catégories de podcasts existent : les réécoutes d’émissions de radio et les podcasts natifs, des contenus audio produits directement pour Internet.
A l’instar des studios de production comme Nouvelles Écoutes, Louie Média ou Binge Audio, de nombreux créateurs et studios indépendants ont émergé ces dernières années.
Mais avoir des chiffres précis sur le nombre d’écoutes reste compliqué car les supports sont nombreux. Les applications dédiées (elles-mêmes nombreuses), les sites des studios de production et les sites de streaming audio ne permettent pas la production de statistiques communes.

Un public restreint

Ce que l’on sait c’est que le secteur est encore loin de toucher tous les public. Selon les chiffres de Médiamétrie publiés en avril 2018, l’audience des podcasts est plutôt jeune (56 % ont entre 25 et 49 ans), urbaine (25 % des auditeurs sont parisiens) et les catégories socio-professionnelles supérieures sont surreprésentées (49 %).
Le problème d’accès au podcast est souvent pointé du doigt par les acteurs du domaine. Contrairement à la radio, où un auditeur peut écouter par hasard une émission, trouver un podcast demande plus d’engagement. L’auditeur doit d’abord télécharger une application dédiée, chercher le contenu et le télécharger ou l’écouter en streaming. Cette multiplication d’étapes avant de pouvoir écouter un podcast entretient un certain flou pour les non-initiés.
Mathilde WARDA

[ENQUÊTE] Tous les mêmes ?

Tous les mêmes ?

Les écoles de journalisme reconnues fabriqueraient-elles des clones qui inondent ensuite les médias ? C’est oublier que seuls 19 % des titulaires de la carte de presse sont passés par une école de ce type… (Photo : Alice Blain)

De gauche, europhiles, parisiens…Les journalistes sont-ils tous pareils ? Dans un contexte de défiance, la profession cherche des solutions. Collabos », « macronistes », « journalopes »… Les mots pour dénigrer les journalistes ne manquent pas. Pour ceux qui les critiquent, les journalistes sont tous les mêmes, au point de tenir le même discours. Comment expliquer une telle perception ?

 

Pour certains, la formation pourrait être l’une des causes de l’uniformisation des troupes. Mais pour Cédric Rouquette, directeur des études du Centre de formation des journalistes (CFJ), les écoles de journalisme ne mènent pas forcément à l’homogénéisation des profils. « Nous ne donnons aucun prêt-à-penser, assure-t-il. Nous leur transmettons une méthode de travail et de la rigueur. » Certains avancent aussi que les écoles reconnues par la profession ne dispensent pas les mêmes enseignements. « On ne forme pas de la même façon dans les DUT de Tours, de Cannes ou de Lannion que dans les masters des autres grandes écoles », considère Claude Cordier, président de la CCIJP (Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels).

Diversité à l’école

Pour certains, c’est la sélection des étudiants qui ne favoriserait pas la diversité. C’est le point de vue de Denis Ruellan, sociologue des médias et directeur adjoint des études du Celsa : « Les écoles de journalisme prennent les meilleurs, qui sont en fait ceux qui possèdent les valeurs des classes sociales dominantes, analyse-t-il. C’est ce qui conduit ensuite à avoir une homogénéité blanche et originaire de la classe moyenne supérieure dans les rédactions. » Pourtant, certaines écoles de journalisme ont mis en place des mesures destinées à diversifier les promotions. L’École supérieure de journalisme de Lille (ESJ) a par exemple créé sa propre prépa « Égalité des chances ». Des jeunes « avec un bon dossier scolaire et universitaire, mais issus de familles à revenus modestes », selon le site de l’ESJ, se voient chaque année offrir l’opportunité d’intégrer l’une des meilleures écoles de journalisme de France. Il existe également des dispositifs externes aux écoles. Depuis 2007, l’association La Chance aide des étudiants boursiers à préparer les concours des écoles de journalisme gratuitement. Cette démarche porte ses fruits : 80 % de ses anciens étudiants travaillent dans le journalisme. Mais un problème persiste : certaines classes sociales ne se dirigent pas naturellement vers le journalisme. « Beaucoup de jeunes sont faits pour ce métier, mais n’osent pas tenter les concours, déplore Cédric Rouquette du CFJ. La majorité de ceux qui se présentent proviennent de la classe moyenne supérieure. » Denis Ruellan trouve une explication logique à ce phénomène : « Dans ces milieux, les gens ont tendance à être très portés sur les médias. Donc forcément, ça aide à aller vers le journalisme. »

Le fossé

Ces inégalités se retrouvent dans le profil des professionnels, à la télévision en particulier. Selon le baromètre annuel de la diversité dans les médias publié par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), en janvier 2018, les catégories socio-professionnelles supérieures occupent 74 % de la représentation à la télévision alors qu’elles ne représentent que 27 % des Français, d’après l’Insee. Pour autant, il serait faux de penser que les journalistes sont formés dans le même moule. Les écoles de journalisme ne représentent pas la seule voie d’entrée dans la profession. En réalité, cette origine est même très minoritaire. « Seulement 19 % des journalistes professionnels sont issus de ces écoles reconnues », atteste Claude Cordier, de la Commission de la carte de presse. N’en déplaise à ses plus ardents détracteurs, la profession ne se résume pas aux quelques figures médiatiques qui occupent les plateaux de télévision ou qui signent des tribunes à succès. Du pigiste pour M6 à la localière de Ouest-France à Bayeux, en passant par le secrétaire de rédaction de L’Humanité : les statuts sont divers. De multiples fractures existent, comme celles concernant la rémunération et les types de contrat (lire ci-dessous). Un journaliste en contrat indéterminé exerçant pour un quotidien national gagne, en moyenne, deux fois plus qu’un journaliste en contrat déterminé. Alors pourquoi les journalistes continuent-ils de renvoyer une image éloignée de la réalité ? « C’est trop facile de chercher une explication de type purement sociologique. Quand les gens parlent de cet éloignement entre les journalistes et la société, ils prennent pour exemple Jean-Michel Aphatie. Pourtant, ce journaliste politique a un parcours complètement différent du reste de la profession », pointe Jean – Marie Charon. Après son brevet des collègues, Jean Michel Aphatie a arrêté l’école pour enchaîner les petits boulots. Il a repris ses études plus tard et passé à son bac à 24 ans, avant de s’orienter vers le journalisme.

Les médias, conscients du problème de représentativité, placent désormais la diversité au cœur de leurs priorités. Chacun tente de recruter des profils plus représentatifs de la société. France Télévisions accueille par exemple dans ses rédactions des stagiaires boursiers ou issus de zones urbaines sensibles. Radio France réserve un nombre de places défini pour les boursiers et favorise la formation en alternance. Ces efforts semblent porter leurs fruits, avance Jean Marie Charon. « Le journalisme est aujourd’hui une profession hétérogène en termes d’origines sociales. Cela permet une meilleure représentation de l’ensemble des Français », considère le sociologue des médias. Mais le chemin, de l’avis de tous, est encore long.

 

Le revenu mensuel médian des Français s’élevé à 1 710 euros, selon les chiffres de l’Insee publiés en septembre 2018. Un journaliste au CDI gagnerait 3 591 euros brut, 2 000 euros pour un pigiste et 1 954 euros pour

 

Lorène BIENVENU, Léa SASSINE et Théo TOUCHAIS

Partenaires particuliers

(Infographie : Benjamin BAIXERAS)

La majorité des médias nationaux appartiennent à de puissants hommes d’affaires. Cette situation crée de la défiance. Pourtant, sans actionnaire stable, difficile pour les médias d’atteindre un équilibre financier.

(suite…)

Les Assises 2019, un nouveau virage

La cité de la création et de l’innovation, Mame, accueillera la 12e édition des Assises du Journalisme. (Photo : Suzanne Rublon)

 

Les médias, « tous les mêmes » ?

Cette 12e édition des Assises du Journalisme de Tours se questionne sur la diversité du monde journalistique. Si le thème a été choisi en juin dernier, cette problématique semble aujourd’hui répondre à la crise des gilets jaunes et aux reproches faits aux professionnels. Médias alternatifs, de l’éducation aux médias et à l’information (EMI), les réseaux sociaux, les femmes dans les médias, le factchecking notamment, sont autant de thèmes qui seront abordés au travers de 24 ateliers et 5 débats. 

Mame, un lieu chaleureux

Les Assises quittent le Palais des Congrès, le Vinci, pour investir les locaux du Mame. Cette « Cité de la création & de l’innovation » est un incubateur tourangeau d’entreprise. Un espace sûrement moins pratique que le Vinci, qui se trouve en face de la gare de Tours, mais « chaleureux », comme l’affirme Jérôme Bouvier, le président des Assises : « C’est un lieu chargé de symboles, qui correspond idéalement à l’état d’esprit des Assises. » Il mêle la tradition professionnelle et les nouvelles technologies, à l’image des bouleversements auxquels font face les secteurs de la presse.

L’angle international 

En novembre dernier, la première édition des Assises du Journalisme de Tunis a rassemblé plus de 800 professionnels. Cette année, les Assises sont animées par de nombreux étudiants en journalisme, venant d’horizons internationaux. De Tunisie, de Belgique ou du Québec, les futurs professionnels s’allient le temps de trois jours pour couvrir cet évènement. Pour Jérôme Bouvier, cette édition semble concrétiser un vieux rêve : celui de faire « dialoguer les deux rives de la Méditerranée. » 

Perrine Basset